L’accueil des demandeurs d’asile a fait l’objet d’une privatisation partielle en Belgique. Des entreprises privées comme G4S fournissent désormais, au même titre que Fedasil ou les CPAS, l’hébergement, les soins de santé ou l’accompagnement psychosocial aux demandeurs d’asile.
Article publié le 3 février 2016.
Tout le monde connaît le groupe G4S, la plus grande société de sécurité et de gardiennage au monde qui emploie plus de 650.000 personnes dans plus d’une centaine de pays, dont la Belgique. Son terrain d’activité est énorme et l’entreprise dispose aussi d’une expérience en matière d’accueil des demandeurs d’asile, notamment en Angleterre et en Autriche. Depuis l’été dernier, l’État fédéral a décidé de sous-traiter ses obligations à cet opérateur privé, en lui confiant l’accueil et les soins à prodiguer à des demandeurs d’asile. Au terme d’un marché public, c’est ce groupe qui a été choisi, en consortium avec la société Corsendonck, active dans le tourisme social, pour gérer deux nouveaux centres d’accueil qui ont été ouverts dans l’urgence à Turnhout et à Retie, en province d’Anvers.
Les premiers demandeurs d’asile y sont arrivés en octobre dernier. On compte 377 lits à Turnhout et 125 à Retie. Les demandeurs d’asile devraient y séjourner plusieurs mois. Il s’agit essentiellement de personnes en familles, adultes et enfants, et d’hommes isolés, originaires de régions en conflit comme la Syrie, l’Irak ou l’Afghanistan. L’accueil comprend les besoins de base et un accompagnement social et médical. «C’est une première en Belgique, et elle s’est faite via un marché public et une publication de l’appel d’offres au Moniteur, nous explique Benoît Mansy, responsable de la communication chez Fedasil. Concrètement, il n’y a pas de différence entre un centre Fedasil classique et un centre géré par un opérateur privé. L’objectif est le même, à savoir assurer et garantir l’accueil d’un demandeur d’asile.»
Ce recours aux opérateurs privés est dû à l’augmentation significative du nombre de demandeurs d’asile. «Chaque jour, nous devons trouver des places pour 300 personnes. Et même si d’autres demandeurs quittent quotidiennement nos centres d’accueil, il est nécessaire d’ouvrir rapidement de nouvelles structures», ajoute Benoît Mansy. Face à cette situation, Fedasil a d’abord activé ses places de réserve, à savoir 2.000 places supplémentaires. Mais cela n’a pas suffi, vu la demande importante. «Deux chiffres pour résumer notre situation: en juillet dernier, nous avions 16.000 places actives, en janvier, nous en sommes à 33.000 avec des places urgentes», poursuit-il. Par ailleurs, c’est l’opérateur privé lui-même qui se charge du recrutement. «De notre côté, nous proposons des sessions de formation pour le personnel nouvellement engagé. À cela s’ajoutent des visites de terrain avant et pendant l’ouverture du centre.» Quant au coût, on reste dans les mêmes tarifs que pour un suivi chez Fedasil avec la somme de 40 euros par personne et par jour. «Cela ne revient pas plus ni moins cher. Actuellement, nous comptons neuf centres gérés par des partenaires privés, soit un total 1.767 places», continue Benoît Mansy.
Accueil temporaire
À côté de Retie et Turnhout, gérés par G4S et Corsendonk, plusieurs opérateurs privés sont entrés dans ce nouveau business à Binche, Chastres, Berchem-Sainte-Agathe ou Thy-le-Château; on y retrouve Senior Assist, société spécialisée dans les maisons de repos, qui gère actuellement six centres et le quotidien de 665 demandeurs d’asile. À Mouscron, la société irlandaise Bridgestock, spécialisée dans le domaine depuis 25 ans, s’occupe de 600 personnes. À côté de cette liste, le gouvernement fédéral a décidé fin décembre de confier 645 places supplémentaires à d’autres opérateurs, dont G4S qui s’occupera également dans les prochaines semaines de 250 demandeurs d’asile à Gand.
Du côté de Fedasil, on tient pourtant à rappeler que tous ces nouveaux centres sont prévus pour une durée temporaire. «Les centres gérés par des partenaires privés sont tous prévus pour une durée d’un an», ajoute Benoît Mansy.
Interrogée par nos soins, la société G4S nous explique que l’hospitalité et les soins font partie de ses activités en Belgique. En outre, à côté de Turnhout, Retie, et prochainement Gand, la société évalue d’autres projets d’accueil de demandeurs d’asile en fonction de la demande du gouvernement belge. Quant à l’encadrement, la société explique qu’il est assuré par des travailleurs sociaux, des infirmières, des enseignants et du personnel administratif afin de maintenir la qualité de vie dans le centre de façon optimale. «Nous nous assurons que l’exploitation se fait selon les standards de qualité de Fedasil et les normes européennes en matière d’accueil des réfugiés. D’ailleurs, nous sommes audités par Fedasil de façon régulière et continue», souligne Katrinka van Driel, la responsable communication au sein de la société G4S, qui rappelle qu’elle prône une vision allant bien au-delà du principe «lit-bain-pain». «Nous trouvons que l’intégration locale est très importante. C’est pourquoi notre équipe travaille avec des bénévoles locaux, nous fournissons des activités locales et nous considérons l’autonomie des réfugiés comme une priorité. Les résidents peuvent cuisiner, faire leurs achats chez le boucher et le boulanger locaux», poursuit Katrinka van Driel.
L’argent de l’accueil
Si cette gestion de l’accueil par le secteur marchand est une nouveauté en Belgique, il faut relever que la pratique au niveau européen connaît pourtant depuis plusieurs années un certain succès, mais aussi certaines dérives, comme l’a relevé le Ciré dans une analyse récente à ce sujet (1).
En Suisse, ce sont près de 5.000 places d’accueil qui sont gérées par une seule entreprise, tandis que la sécurité des centres est confiée à quatre compagnies de sécurité privées. En Suède, plusieurs sociétés sont actives dans ce marché, dont une qui gère plus de trente centres d’accueil. En Autriche, la gestion d’une société qui gère plus de 500 travailleurs et 6.000 places d’accueil a fait l’objet d’une sévère critique par Amnesty International qui «a comptabilisé environ 1.500 personnes contraintes de dormir à l’air libre, auxquelles s’ajoutaient celles qui passaient la nuit à l’extérieur du terrain». En Allemagne, une entreprise gère plus de 15.000 places d’accueil dans 90 centres avec près de 900 travailleurs, et la sécurité des centres est sous-traitée à des sociétés de sécurité privées. «Ces dernières ont été liées à plusieurs scandales de maltraitance de candidats réfugiés», rappelle le Ciré. En Angleterre
, trois sociétés privées gèrent des centres pour demandeurs d’asile pour un total de 23.000 places dans des conditions considérées comme insatisfaisantes. En Irlande, de nombreuses sociétés privées sont actives pour un accueil de 4.000 demandeurs d’asile répartis en 34 centres d’accueil. En Italie, les centres d’accueil sont là aussi gérés par des compagnies privées. «Ce marché de l’accueil est tellement juteux qu’il se retrouve au cœur du procès Mafia Capitale. Les principaux inculpés considéraient l’accueil comme la poule aux œufs d’or», relève encore le Ciré dans son analyse sur la privatisation de l’accueil des demandeurs d’asile. Dans ce nouveau marché, les profits sont donc bel et bien au rendez-vous, y compris en Belgique. «Les chiffres d’affaires des entreprises actives dans le secteur européen se comptent en centaines de millions d’euros», poursuit le Ciré, rappelant que les marges bénéficiaires peuvent aller jusqu’à 10%. Avec surtout une crainte, quant à l’avenir, et cette marchandisation de l’accueil, celle de voir le développement d’un marché plus large: le business de la gestion des flux migratoires, tout simplement…
«Réfugiés et associatifs, le (sur)vivre ensemble» dans Alter Échos n°411, octobre 2015 (dossier)
En savoir plus
(1) «Business de la gestion des flux migratoires: la privatisation de l’accueil des demandeurs d’asile», Ciré, décembre 2015.