D’ici à 2040, 435.000 nouveaux habitants sont attendus en Wallonie. Comment les loger sans (trop) multiplier les lotissements? Le ministre wallon de l’Aménagement du territoire, Carlo di Antonio (cdH), veut développer des «quartiers nouveaux», des quartiers – et peut-être même des villes – où la densité d’habitat mais aussi la qualité de vie seront déterminantes. Fin novembre, les communes ont été appelées à rentrer des projets. Dix seront sélectionnés en avril. Carlo di Antonio veut aller vite pour donner un signal politique fort.
Article publié le 3 février 2015, AE n°417.
Alter Échos: L’objectif du plan «Quartiers nouveaux» est de répondre à un défi démographique, celui de devoir accueillir plus de 300.000 ménages dans les 25 années à venir. Mais sait-on de quel type de ménages il s’agit? Des familles avec enfants? Des isolés? Cela conditionne le nombre et le type de logements nécessaires.
Carlo di Antonio: En effet. Nous sommes à la fois confrontés à une augmentation de la population en tant que telle mais aussi à de plus en plus de ménages de petite taille. Il faut donc prévoir plus de logements. Par ailleurs, cette population sera aussi en moyenne plus âgée d’où la nécessité d’avoir des logements adaptés à tous les âges. Nous connaissons déjà aujourd’hui une forte demande de terrains pour de nouveaux projets immobiliers et les réponses apportées ne sont pas les plus adéquates puisqu’on essaie de trouver l’espace qui soit le plus facile à urbaniser, soit la périphérie des villes et villages existants. Ce qui a pour effet de morceler toujours plus les zones agricoles et de créer des problèmes de mobilité.
A.É.: Plus de logements et plus de logements adaptés, le projet «Quartiers nouveaux» est-il la seule réponse possible?
C.D.A.: Il y a deux manières de répondre à la demande de logements. La première réponse est dans le code territorial. Il faut se donner un outil qui permette facilement de construire «la ville sur la ville». On a en effet un certain nombre de «trous» dans les villes: des bâtiments qui doivent être profondément rénovés, des zones qui ont accueilli autrefois des entreprises. Mettre en œuvre un nouveau projet urbanistique est compliqué, surtout parce qu’il prend du temps. L’investisseur a du mal à mettre en œuvre le projet en moins de quatre ou cinq ans. C’est long, cela coûte puisqu’il faut mobiliser des moyens sans pouvoir prévoir l’échéance. Pour pallier ces difficultés, les investisseurs préfèrent chercher de beaux terrains hors des villes où toute une série de règles urbanistiques ont été édictées. Il y a une véritable lasagne de réglementations qui s’appliquent sur un mètre carré. La réponse est de créer une nouvelle zone au plan de secteur, la zone d’enjeu communal (ZEC). Le principe est de permettre aux communes de partir de zéro. Le plan de secteur ancien disparaît, on crée une zone dont les fonctions sont multiples, une zone mixte nouvelle qui est la somme de ce qu’on peut faire aujourd’hui en zone d’habitat mais aussi d’équipement communautaire, de zone PME. Cela donnera les outils pour pouvoir plus facilement rebâtir en ville tout en gardant une certaine densité de population. Mais ce ne sera pas suffisant pour répondre aux exigences démographiques. Cela ne résout que la moitié du problème. D’où l’idée de créer des quartiers, des villes nouvelles dans les zones proches des villes existantes. Nous avons fait un travail d’identification des friches sur tout le territoire wallon. Certaines sont assez importantes et le but est qu’elles servent aussi à Maxime Prévot, ministre en charge des zonings, pour en faire de futurs zonings et là encore éviter de modifier des plans de secteur qui pourraient «manger» des zones agricoles. Ces zones, qui couvrent parfois plusieurs hectares, pourraient devenir des villes nouvelles.
A.É.: En novembre, vous avez lancé aux communes un appel à «manifestation d’intérêt» et vous insistez sur la dynamique locale. C’est pour éviter les éventuels recours fréquents lors de tout nouveau projet immobilier?
C.D.A.: La particularité de ce plan est la dynamique locale et c’est ce qui le différencie de celui de mon prédécesseur (NDLR : le ministre Écolo Philippe Henry). Nous ne voulons pas dire depuis Namur: ici, on veut un quartier nouveau et là pas. Il faut que cela vienne de la base sinon on se heurtera de toute façon à des recours. C’est aux communes de nous faire des propositions, de discuter avec un partenaire privé sur la manière dont elles peuvent mettre leur projet en œuvre. La condition, c’est d’avoir la maîtrise du sol pour éviter les situations compliquées. On veut des projets qui aboutissent rapidement. Pour le mois d’avril, les dossiers doivent être rentrés. En juin, on sélectionnera les projets.
A.É.: Vous êtes pressé? Promettre un accompagnement technique aux communes sera-t-il suffisant pour susciter leur intérêt?
C.D.A: Il y aura aussi un accompagnement politique. Ces projets passeront au gouvernement qui déterminera quels projets il veut soutenir et développer. Ce n’est pas rien. Ce sont tous les ministres qui en feront une priorité. L’accompagnement juridique, administratif permettra de franchir rapidement toutes les étapes. Pour chacun des projets sélectionnés, nous prendrons en charge un chef de projet et une équipe pluridisciplinaire composée de spécialistes de l’agriculture urbaine, du développement du commerce local, des nouveaux modes de transport… Oui, on veut avancer le plus vite possible car l’idée est d’en faire des quartiers exemplaires à la fois quant à la manière dont ils sont conçus mais aussi par la rapidité avec laquelle on pourra les mettre en œuvre. Pour donner un signal aux investisseurs, pour que dans le sillage des dix à quinze projets retenus, d’autres suivent un ou deux ans plus tard et dans la même dynamique. C’est aussi un message que nous voulons faire passer à notre administration: il est possible en Wallonie, grâce aux nouveaux outils législatifs, d’aller vite, d’être efficace. Et si on s’aperçoit que ces outils législatifs ne sont pas suffisamment adaptés, on les adaptera encore à la lumière des expériences menées avec ces nouveaux quartiers.
A.É.: Les nouveaux quartiers s’inscrivent dans la démarche du développement durable. Il est question de mobilité douce, de l’utilisation rationnelle de l’énergie, de mixité sociale… Pour vous, quel est l’aspect le important dont il faudrait tenir compte?
C.D.A.: La question de la mobilité est assez simple à résoudre. Pour chaque quartier, on connaîtra le nombre d’habitants, les besoins en termes de mobilité. On peut dès le départ concevoir des initiatives où la voiture a une place relativement limitée. Le plus difficile, c’est de réussir la mixité sociale. Il faut certes faire intervenir des investisseurs privés dans ces projets mais il faut qu’il y ait aussi un investissement public si on veut avoir des logements accessibles à tous. Je ne veux pas que ces quartiers nouveaux soient
des clos réservés à une partie seulement de la population qui aurait la chance d’avoir un logement peu consommateur d’énergie, un environnement naturel. Nous serons très attentifs à la question de la mixité sociale. Dans ces quartiers et ces villes nouvelles, il faudra aussi un centre sportif, une école, des bus. Le plan doit concerner tout le monde.
A.É.: Une école, un centre sportif… On est là dans l’hypothèse d’une ville nouvelle. Vous vous attendez à voir des projets de ce type rentrer auprès de votre administration?
C.D.A.: Il y a tout de même des endroits identifiés qui font une centaine d’hectares. Dix, vingt mille logements, c’est déjà une ville. Ce sont des projets évolutifs évidemment. Celui qui défendra un projet de ce type ne va pas urbaniser les cent hectares d’un seul coup. Cela se passera un peu comme à Louvain-la-Neuve où dès le départ il y avait des visées sur les terrains périphériques au centre urbain.
A.É.: Mais vu les exigences du plan – un minimum de quinze hectares –, les plus petits projets sont-ils d’office écartés?
C.D.A.: Je n’ai pas envie que la densité soit le seul critère. Si un dossier entre dans les conditions en présentant 14, 15 hectares mais que, dans le site, il y a une zone naturelle à préserver, ce qui diminuera la partie urbanisable, le projet passera. Ce n’est pas automatiquement autant d’hectares, autant de logements, on fait une règle de trois et on tranche. Un bourgmestre m’a téléphoné en évoquant le projet de construire un stade de foot et, dans le bâtiment des tribunes, prévoir un hôtel, des commerces, des parkings sous le stade. On perd de la densité avec le terrain de football mais pourquoi pas? Et pour les plus petits terrains, on fera quelque chose. Nous sommes sollicités par plusieurs bourgmestres dans les régions rurales qui souhaitent éventuellement construire un village parmi les autres de l’entité. S’il est bien positionné, il est peut-être préférable d’organiser un village plutôt que de voir des maisons se disséminer dans toute l’entité.
A.É.: Vous avez déjà des réponses à votre appel à projets?
C.D.A.: Nous avons déjà reçu entre 30 et 40 dossiers sérieux. Il y aura un deuxième appel à projets plus tard, qui permettra aux communes qui ne sont pas prêtes aujourd’hui de monter dans le train. Un mot encore sur ceux qui n’entrent pas dans les conditions du plan parce que le terrain disponible est trop petit mais qui ont tout de même un projet de développement intéressant. Nous préparons quelque chose pour qu’ils puissent aussi bénéficier du label «Quartier nouveau». Ils n’auront pas le même soutien mais pourront bénéficier de la visibilité donnée à ces nouveaux quartiers. Ce qu’il faut, c’est répondre à toutes les ambitions que nous avons listées pour qu’ils puissent être aussi de beaux laboratoires pour les autres communes.
A.É.: Donc votre label est perçu de manière très positive.
C.D.A.: C’est clair. Nous avons fait dans notre référentiel la synthèse de ce qu’aujourd’hui tout le monde recherche: une mobilité alternative, des espaces naturels, des espaces communs… Qui peut ne pas être d’accord avec ça? Maintenant, il s’agit de mette cela en œuvre tout en gardant l’aspect attractif et rentable pour l’entrepreneur. Nos exigences sont en fait toutes celles dont il faudra tenir compte dans les villes de demain. Pour voir leur projet sélectionné, les gens vont devoir nous montrer ce qu’ils ont dans le ventre, ce qu’ils veulent voir se développer chez eux. Et pour nous il ne s’agira pas seulement de choisir les projets les plus emblématiques, les mieux localisés mais aussi d’apprécier la solidité des partenariats proposés.
Alter Echos n°401, « En 2050, à quoi carburera la Wallonie ? », Amélie Mouton, 5 mai, 2015