La mendicité infantile existe au sein de la communauté rom. Mais elle n’est pas une fatalité. Explications avec Darius Mihai, médiateur rom, qui travaille à la scolarisation de ces enfants venus de l’Est.
Darius Mihai est médiateur rom. Pour l’association Le Foyer, il parcourt les rues de Bruxelles. Il part à la rencontre de jeunes gens, venus de Roumanie, de Bulgarie, de Slovaquie, qui parfois mendient, parfois s’esquivent de l’école. «Nous travaillons essentiellement sur la scolarité», précise-t-il. Créer des ponts, faire du lien entre les familles roms et l’institution scolaire, telle est la tâche de Darius Mihai.
La mendicité infantile, à Bruxelles, Darius ne la nie pas. Elle existe et implique souvent des Roms, venus de pays de l’Est. Mais il relativise: «Les familles qui mendient avec leur enfant ne sont pas nombreuses. Elles ne sont pas représentatives et, surtout, elles traversent une période difficile, une période transitoire. Car l’argent qu’ils gagnent leur permet tout juste de se nourrir et de se loger.»
Bien loin de cette image des «réseaux organisés» qui prospéreraient grâce à la mendicité. «Le Rom un peu mafioso avec sa BMW, ça n’existe pas à Bruxelles», lâche-t-il. Au contraire, ici on parle bien d’extrême pauvreté. «C’est souvent les plus pauvres des plus pauvres de notre communauté qui mendient», précise Darius.
Des enfants, avec leurs parents pas loin, tentent leur chance rue de Brabant ou rue Neuve et ramènent quelques dizaines d’euros. Il existe bien des formes «d’organisation», mais celles-ci se cantonnent au réseau familial, nous apprend le médiateur. «Une tante peut prendre le relais de la grand-mère qui mendie rue de Brabant.» Rien de plus.
«Obligés d’en passer par là»
Darius Mihai ne verse pas dans l’angélisme. Il comprend la gêne que peut générer la mendicité, lorsqu’elle a lieu accompagnée d’un enfant. «Si on s’arrête à ce que l’on voit, bien sûr que l’on pense à un chantage émotionnel. Mais si on voit plus loin, si on prend en compte les problèmes auxquels ces familles sont confrontées, alors on peut peut-être mieux comprendre qu’elles sont souvent obligées d’en passer par là.»
Notre médiateur se qualifie lui-même de Rom. Il vient de Roumanie. Lui aussi a fait le voyage pour mieux gagner sa vie. Pour rejoindre sa famille présente en Belgique et échapper aux discriminations massives qui frappent les Roms dans les pays de l’Est.
Le fait de parler la même langue, de partager des codes culturels, est un ticket d’entrée lorsqu’il part à la rencontre de familles fraîchement débarquées à Bruxelles. «Si on les aborde dans leur langue, ils répondent. Cela crée une sorte de familiarité qui permet d’entamer un dialogue. Car en français, ils se méfient directement.» Une méfiance bien ancrée dans leurs vies, qui prend sa source dans des générations de mise à l’écart.
Le premier contact créé, Darius fait connaître à ces familles le système belge, ses possibilités. «Car bien peu de gens leur présentent les possibilités, ici, en Belgique. On l’oublie parfois, mais ce sont des citoyens européens, ils peuvent envisager de travailler ici. Même si cela demande un travail de long terme.»
La scolarité comme levier
Pour Darius, la mendicité infantile n’est pas une fatalité. Pour sortir les enfants de la rue, il utilise la scolarité comme levier. Cela passe d’abord par l’inscription des nouveaux venus. «Nous allons les voir, on fait du travail de rue», explique Darius. «Un travail qui porte souvent ses fruits. Il y a toujours une maman avec un enfant qui mendie. Nous lui demandons depuis quand ils sont ici, quel est l’âge de leur enfant. Nous leur expliquons l’obligation scolaire. Et surtout, nous leur disons que l’école est une chance à offrir à leur enfant. Une chance qu’ils n’ont pas forcément eue eux-mêmes.»
Darius peut en témoigner, ce message est payant dans la plupart des cas, «car pour beaucoup, le voyage vers la Belgique fut justement motivé par l’idée d’offrir un meilleur futur à leurs enfants».
L’inscription à l’école se heurte parfois à des obstacles délicats à surmonter. Certaines familles arguent que la scolarité engendrera une perte sèche de revenus. Sans les gains issus de la mendicité, il leur sera difficile de payer leur logement. Des cas très difficiles à gérer pour le médiateur, mais qui restent «extrêmement rares».
Les choses se compliquent aussi avant l’âge d’obligation scolaire. «Nous essayons de pousser les familles à inscrire leur enfant à l’école maternelle, mais elles sont plus réticentes, déclare Darius. Nous essayons de les sensibiliser sur le fait qu’avec l’école maternelle leurs enfants auront moins de retard une fois en primaire.» Un argument qui fonctionne parfois, mais qui fait aussi face à des réactions dubitatives. Car souvent, les familles roms «préfèrent garder leur enfant avec eux le plus longtemps possible». Et puis l’école n’est pas toujours considérée a priori avec un regard bienveillant. «C’est avant tout une institution gadjé, donc non-rom. Ils n’en voient pas toujours l’importance.
Des réticences qui ne sont rien en comparaison avec celles qui concernent les crèches. Là, les choses se corsent. Pas question de séparer les jeunes mères de leurs enfants: «La crèche est un énorme tabou, nous éclaire Darius. Ils craignent alors qu’on les sépare de leur enfant ou qu’on les mette en maison de repos.»
De la scolarisation… à l’accrochage scolaire
Une fois qu’un enfant rom est scolarisé, le travail de Darius se poursuit. Il travaille à l’accrochage scolaire et surtout à la bonne compréhension entre les familles et le corps enseignant. «Nous avons constaté que lorsqu’un message est transmis aux parents, par lettre ou dans le journal de classe, via les bulletins, celui-ci n’est pas compris. Notre culture est essentiellement basée sur des traditions orales. De plus, beaucoup ont des difficultés à lire. Certains sont analphabètes.»
Alors Darius prend son bâton de pèlerin. Se rend aux domiciles des familles, explique, lève les incompréhensions. «Les parents ne savent pas forcément qu’il faut envoyer un mot du médecin à l’école lorsque leur enfant est malade.» Darius traduit, passe les informations et intervient en cas d’absentéisme.
«Les écoles nous sollicitent souvent, notamment pour les enfants qu’on a trouvés dans les rues. Ils s’adaptent difficilement. Car se retrouver du jour au lendemain assis sur une chaise à écouter une institutrice alors qu’avant la vie se passait en rue, en compagnie de membres de la famille, ce n’est pas évident.» Pour dépasser ces difficultés, tout dépend des parents: «Lorsque les parents ne collaborent pas et que le jeune décide de tout, tout seul, alors, là, on est dans une impasse.»
Malgré ces situations inextricables, Darius garde le sourire et s’inscrit en faux face aux discours essentialistes qui rangent les Roms au rang de «non-intégrables». «La jeune génération apprend la langue, essaye de travailler, elle perçoit les possibilités qui existent ici», plaide-t-il.
Depuis 1993, la mendicité n’est plus un délit. Néanmoins, son exploitation est punissable depuis l’entrée en vigueur de la loi du 10 août 2005 sur la traite des êtres humains. Ainsi, l’article 433 ter du Code pénal précise que «sera punissable d’un emprisonnement de six mois à trois ans et d’une amende de cinq cents euros à vingt-cinq mille euros:
- quiconque aura embauché, entraîné, détourné ou retenu une personne en vue de la livrer à la mendicité, l’aura incitée à mendier ou à continuer de le faire, ou l’aura mise à la disposition d’un mendiant afin qu’il s’en serve pour susciter la commisération publique;
- quiconque aura, de quelque manière que ce soit, exploité la mendicité d’autrui».
L’article 433 quater ajoute que l’infraction visée précédemment sera punissable d’un emprisonnement de un à cinq ans si elle a été commise «à l’égard d’un mineur». Dans les faits, c’est donc au juge de se prononcer sur l’exploitation éventuelle de la mendicité d’un enfant par ses parents.