«Vent de panique dans l’associatif», titrait le quotidien Le Soir à la veille du conclave budgétaire wallon. Même si les mesures d’économies ne sont pas toutes aussi catastrophiques qu’annoncées, l’inquiétude reste bien présente. La baisse des subventions et du point APE frappera de manière très inégale le non-marchand. Un vent de rigueur souffle sur le secteur et pourrait bien emporter les petites associations.
Les rumeurs allaient bon train début octobre quand le gouvernement wallon planchait sur le budget 2015 et sur la diminution des dépenses publiques. Parmi les mesures envisagées, certains avaient annoncé une baisse de 7% de la valeur du point APE (aides à la promotion de l’emploi) qui, cumulée à celle des subventions, risquait de déclencher une catastrophe sociale dans les associations et le secteur non marchand en général. La Fédération des employeurs des secteurs de l’éducation permanente et de la formation des adultes (Fesefa) avait déjà fait ses calculs et estimait à 350 le nombre d’emplois perdus pour ses associations affiliées. D’autres employeurs prédisaient la perte de plus d’un millier d’emplois pour l’ensemble du non-marchand.
Les chiffres sont à présent connus. Ou plus ou moins connus. La valeur des points APE qui permettent à bien des associations d’engager leur personnel va diminuer de 1,5%, soit une économie de dix millions d’euros dans le budget de l’emploi. Les subventions décrétales seront réduites de 32,2 millions, les subventions facultatives de 55,5 millions d’euros. Cela ne sera pas indolore. Mais avec quel impact pour l’emploi? C’est la baisse de la valeur du point APE qui a, au départ, suscité le plus d’inquiétudes. Il est vrai que 43.000 équivalents temps pleins dépendent de cette forme d’aide à l’emploi dans le secteur public et le non-marchand. On comprend que certains employeurs aient craint une «casse sociale». La ministre wallonne de l’Emploi Éliane Tillieux a très vite temporisé. Les pouvoirs locaux, les associations devront compenser la diminution d’aide pour maintenir les salaires de leurs employés APE mais cette différence, dit-elle, sera infime, d’autant plus que le point sera indexé. L’économie du budget des APE pourrait n’être que de 0,5%. «Les employeurs, dit la ministre sur son site, devront peut-être faire quelques économies sur le biscuit qu’ils mettent avec le café mais pas plus.»
Pas plus? Pour Pierre Georis (Fesefa), l’impact sur l’emploi ne sera pas le même pour les petites ou les grosses associations. Et certaines devront économiser davantage que sur les biscuits. «L’évolution des dépenses en matière de personnel, c’est 3% en plus chaque année. Alors avec 1,5 % de moins…»
Christian Masai, secrétaire fédéral du Setca, n’est pas très rassuré non plus. «Il est difficile de mesurer pour le moment l’impact réel de cette diminution. Certaines associations ne bénéficient que de cette forme de subsides, ce sont leurs seules ressources. Par ailleurs, les emplois APE ne sont pas ‘neutres’. Ils permettent d’assurer une série de missions pour le public. Ce sont des emplois de qualité et les APE, c’est un dispositif de mise à l’emploi pour des jeunes très qualifiés. Dans un secteur où les moyens financiers sont limités mais les missions de plus en plus complexes, ces aides considérées au départ comme un simple coup de pouce sont devenues indispensables.» Au point de devenir un élément structurel des politiques menées par les différents ministres wallons.
Au cabinet d’Éliane Tillieux, on dit être «très conscient» de l’impact potentiel de la diminution du point APE sur l’emploi. «Nous sommes en train de l’évaluer mais, a priori, cela ne devrait pas conduire à des licenciements.» Mais on ajoute aussitôt: «Évidemment si cette adaptation du point APE se combine avec une baisse des subsides, cela peut poser des problèmes.»
«On est à l’os»
Un problème? Le mot est faible pour Christophe Schoune, secrétaire général d’Inter-Environnement Wallonie. L’association a mis en place un plan social dès l’été, quand le débat sur la déclaration de politique régionale a suscité les premières inquiétudes. «Nous avions des indices qu’un désastre se préparait et nous avons prévenu l’équipe. Les mauvaises nouvelles se sont confirmées. Chez nous, sur une trentaine d’emplois, quatre ou cinq équivalents temps pleins sont concernés. Il n’y aura pas de licenciements secs mais des départs volontaires et une réduction du temps de travail pour les autres. La force de travail va bien sûr diminuer parce qu’on est vraiment ‘à l’os’.»
Inter-Environnement, comme d’autres associations environnementales, est totalement dépendante des subventions facultatives. «Ce ne sont pas les points APE qui nous préoccupent mais la diminution linéaire des subventions, explique Christophe Schoune. Ce sont elles qui financent 85% de nos emplois. Depuis peu, un décret reconnaît les associations environnementales mais on a peur qu’il ne soit pas mis en œuvre pour des raisons budgétaires.» Christophe Schoune comme Christian Masai du Setca soulignent aussi que la non-indexation des subsides, régulièrement dénoncée, n’arrange évidemment en rien les finances de l’associatif.
La diminution des subventions décrétales et facultatives, c’est au total 88 millions d’euros. Un chiffre élevé. Chaque ministre wallon est à présent tenu d’atteindre l’objectif fixé dans le cadre de sa politique fonctionnelle et en tenant compte de «ses» associations. Au cabinet de Maxime Prévot, chargé notamment de la Santé et de l’Action sociale, on reconnaît que le téléphone a chauffé depuis la fin du conclave budgétaire. «Mais beaucoup de questions des associations portaient sur les points APE, ce qui n’est pas de notre ressort. Pour ce qui est des subventions, nous travaillons sur des propositions d’économies dans le secteur. Nous évaluons en fonction des besoins, du public touché. Cela se fait secteur par secteur. Tout cela se décidera en concertation avec les fédérations d’employeurs et les syndicats.» Au cabinet de Maxime Prévot, on insiste sur le fait que le «travail ne fait que commencer. On verra plus clair dans un mois ou deux mais l’idée est de tout faire pour ne pas toucher à l’emploi.»
Nous avons obtenu la même réponse ailleurs, dans d’autres cabinets. Mais est-ce possible? La plupart des employeurs associatifs ne le pensent pas. La Fesefa indiquait déjà, avant le conclave, que le secteur de la formation des adultes «ne bénéficiait d’aucune marge» et que «toute diminution des aides publiques se traduirait par une perte sèche d’emplois».
Au sein de l’opposition, Ecolo et le PTB se montrent également très sceptiques quant aux possibilités d’économiser sans casse dans l’associatif. Le gouvernement a fait un choix, celui de l’austérité pour 2015, dit Ecolo. «Les mesures prises en matière de réduction des subventions ou de limitation de la valeur des points APE seront sanglantes pour une série d’opérateurs dans le non-marchand et le tissu associatif, dans un contexte déjà difficile. Elles seront aussi très dommageables pour l’emploi.»
Alors, moins de biscuits avec le café ou vraie casse sociale? Les deux ou trois prochains mois devraient apporter des réponses. Mais les rumeurs ont déjà repris. Certains craignent déjà des économies au moins aussi importantes sur le dos du non-marchand, en 2016 ou 2017. Alarmisme? Réalisme? La confiance et l’optimisme ne règnent en tout cas pas dans le secteur.