Permettre aux détenus d’accéder à l’enseignement et préparer leur réinsertion, telles sont les ambitions de l’asbl La Touline. Pour mener à bien ce projet, l’association se bat pour rapprocher la prison de Nivelles et l’Université libre de Bruxelles (ULB).
Au cœur de la prison nivelloise se trouve le centre de sécurité donnant sur les trois ailes principales. L’une d’elles mène au bureau d’Anthony Parisotto, membre de La Touline et coordinateur local à la prison de Nivelles. Deux détenus y prennent successivement place et discutent de détails pratiques. «Je peux passer mon examen ce jour-là?», demande l’un d’eux à M. Parisotto. Après quelques hésitations, ils s’accordent sur une date. Le coordinateur a un rôle essentiel de relais entre l’ULB et les étudiants incarcérés, qu’il rencontre chaque semaine et dont il relaie les demandes auprès des responsables et professeurs de l’université.
Les deux hommes, proches de la trentaine, sont actuellement les seuls étudiants universitaires de la prison. Max (nom d’emprunt) est en première année tandis que Jean (nom d’emprunt) est à la fin de son parcours. Quatre autres détenus devraient se lancer à la rentrée. Bien que l’essence même du projet consiste à démocratiser l’accès à l’enseignement, «certaines conditions restent de mise pour suivre des cours universitaires», dit M. Parisotto. «J’attends du détenu qu’il fasse preuve d’une motivation à 100%, les raisons qui le poussent à suivre des études ne peuvent être simplement occupationnelles», précise-t-il. L’université intervient également dans le processus d’admission en évaluant la pertinence et la faisabilité du choix d’études. La direction de la prison vérifie quant à elle le dossier disciplinaire.
Projet pilote
L’univers carcéral, de grands murs de briques rouges, d’étroites cellules et des citoyens privés de liberté, confrontés à leur passé. À une trentaine de kilomètres de là, des étudiants libres de préparer activement leur futur se réunissent dans de spacieuses salles ou sur les larges plaines du campus. A priori, ce sont deux univers aux enjeux très différents. «La privation de liberté n’est pas synonyme de privation de l’enseignement», rappelle toutefois Anthony Parisotto, pour qui rassembler ces deux mondes est apparu indispensable.
Ce projet est né fin 2011 à la suite de la demande d’un jeune détenu incarcéré au cours de sa première année d’université et désireux de poursuivre ses études. «Au départ, je n’ai essuyé que des refus, sous prétexte qu’il ne s’agissait que d’un cas isolé», explique M. Parisotto, qui avait entrepris plusieurs démarches. «Mais le fait qu’un détenu fasse une telle demande justifie déjà de permettre un tel projet», estime-t-il.
Anthony Parisotto a dû interpeller le service social et le recteur de l’ULB pour qu’un partenariat puisse s’établir. «Dans certaines universités, les professeurs ne sont pas forcés d’adapter leurs cours aux détenus, mais le recteur de l’ULB s’est positionné en obligeant les enseignants à tout mettre en œuvre pour permettre leurs réussites, il s’agit de ma plus grande victoire», se réjouit-il. Reconnu par le gouvernement fédéral un an plus tard, le projet permet désormais aux étudiants incarcérés à Nivelles de s’inscrire officiellement à l’ULB.
Dispositif précieux de réinsertion
Ce projet n’aurait sans doute pas pu voir le jour sans la motivation commune de ces différents acteurs: donner un maximum d’outils aux détenus pour qu’ils préparent au mieux leur réinsertion professionnelle et sociale. «En prison, il n’y a pas toujours la volonté d’aider à la réinsertion. Au lieu d’essayer de reconstruire les personnes condamnées, beaucoup de choses les détruisent. Il est important qu’ils aient la chance de se reconstruire afin de garder espoir», juge l’ancien ingénieur Bernard Spinewine, faisant partie de la dizaine de bénévoles, majoritairement des professeurs, qui complètent le dispositif en donnant des cours de remédiation aux détenus.
«En occupant ma détention de façon constructive, ma confiance en moi n’en a été que renforcée. Cela procure également une certaine maturité, on évite les frictions avec les agents ou avec les autres détenus pour ne pas mettre à mal le projet. C’est pour moi une grande fierté et je réalise que je serai mieux armé pour affronter ma sortie», confie Max. S’ils insistent tous les deux sur les bénéfices du projet, Max et Jean restent prudents quant à l’avenir. «On verra comment se profile le futur, je préfère ne pas trop me projeter pour le moment. Je suis aussi conscient qu’on n’a pas les mêmes acquis que les autres étudiants, je devrai mettre le côté autodidacte en avant», souligne Jean.
Le cadre ne porte pas à l’étude
Dans une pièce exiguë, Anthony Parisotto retrouve Max pour lui faire passer son examen de droit public. Les yeux écarquillés, le jeune détenu semble désorienté. «C’est un questionnaire à choix multiples?», demande-t-il, surpris. Pas question toutefois de modifier l’examen. Si le détenu n’est pas au courant, c’est qu’il n’a pas effectué les démarches pour obtenir l’information, explique le coordinateur. «Je ne me mêle pas de leurs cours et je ne suis pas constamment derrière eux. Je trouve important qu’ils puissent travailler en autonomie, c’est à eux de venir me voir pour me faire part de leur questionnement», estime-t-il.
Étudier en prison nécessite de nombreuses adaptations et efforts supplémentaires de la part des détenus. Si les contacts avec les professeurs sont limités, les échanges avec les autres étudiants sont totalement inexistants. Participer aux cours pratiques s’avère bien entendu impossible, ceux-ci sont donc remplacés par des examens. L’accès à la documentation constitue une difficulté. «Il ne faut pas croire que les détenus ont accès à Internet», souligne Anthony Parisotto, ajoutant que la prison dispose d’une «petite bibliothèque, mais totalement insuffisante pour des étudiants.» «Il y a un décalage complet entre la vie estudiantine et la vie carcérale. En journée, on est souvent dérangé par le bruit ou par les gardiens. Alors, on étudie la nuit», relate Max. Résultat, le détenu a généralement besoin de deux ans pour réussir une année. De plus, suivre des cours universitaires a un certain coût. Certains reçoivent une aide extérieure de la part d’un proche ou de l’université. Jusqu’en 2014, les étudiants incarcérés en Belgique pouvaient aussi compter sur une prime d’encouragement accordée par l’État fédéral.
En Belgique, seule une petite vingtaine de détenus suivent des cours universitaires. Ils sont par contre plus nombreux à suivre des cours d’alphabétisation, de langue ou un cursus professionnel. Sur la base de cet argument de fréquentation et pour des raisons budgétaires, l’administration pénitentiaire annonçait en mars 2015 la fin des subventions pour les études supérieures. Mais la reconnaissance du projet de La Touline par l’État a permis à l’asbl de faire figure d’exception et de garder ses subsides. Les détenus nivellois continuent à recevoir 62 centimes par heure de cours. «Cette subvention ne prend pas grand-chose en charge, il s’agit surtout de soulager les détenus qui peuvent difficilement travailler en prison en plus de leurs études», admet M. Parisotto. «Mais c’est tout de même scandaleux de récupérer de l’argent sur l’enseignement. Les détenus n’ont pas à être sanctionnés sur l’éducation», proteste-t-il. Alors que le projet atteint une vitesse de croisière,
cette décision représente un bond en arrière. «Ce projet, j’y crois plus que tout. Je veux qu’il soit systématisé, reconnu de manière nationale. Tant que cela ne sera pas écrit noir sur blanc, je continuerai à me faire entendre», promet-il.