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Economie

Anatomie d’un e-consommateur à la belge

Qui achète en ligne en Belgique? Et comment? Profils socio-démographiques, habitudes d’achat, pratiques durables (ou pas), voire risques d’endettement, Alter Échos tente de brosser le portrait des clients de l’e-commerce.

Marie-Flore Pirmez 03-12-2024 Alter Échos n° 520
(c) Jérôme Delhez pour Alter Echos

75,26%, c’est la part de Belges qui ont effectué des achats en ligne en 2023, selon les derniers chiffres du Service public fédéral (SPF) Économie. Soit à la louche 8,8 millions d’e-consommateurs. Un fameux boom depuis 2019, où le taux était de 66% selon Statbel: «Certaines sources estiment que la pandémie de Covid-19 a fait avancer les tendances de l’e-commerce de six à sept ans, lance Kathleen Cauwelier, doctorante en e-commerce durable à la Vrije Universiteit Brussel (VUB). Bpost, PostNL, tous les services de livraison observent une augmentation de commandes ces quatre dernières années. Depuis 2020, la courbe à la hausse s’est légèrement tassée, mais les taux actuels ne sont pas revenus aux moyennes pré-Covid.»

Lorsqu’on dézoome, le score belge se situe nettement au-dessus de la moyenne européenne de 69,6%, toujours selon le SPF Économie. En comparaison avec ses voisins, le consommateur belge est toutefois plutôt sage. Au nord, les Néerlandais explosent les statistiques et sont 92,41% à acheter en ligne, contre 79,79% au Luxembourg, 77,48% en Allemagne, ou 76,93% en France. «Il ne faut pas être biaisé par la moyenne européenne qui prend en compte tous les pays de l’Union, poursuit la chercheuse. En Europe de l’Est, la consommation en ligne est bien moins ancrée culturellement.»

Davantage d’acheteurs en ligne en Belgique donc, mais légèrement moins de clients habitués. C’est ce que souligne le dernier baromètre de l’e-consommateur édité chaque année par GeoPost. Leader européen de transport et de livraison de colis à l’international, GeoPost détient notamment DPD ou Chronopost et s’attache surtout à étudier le comportement de ces «habitués». Selon la typologie du transporteur, les «regular e-shoppers» sont des acheteurs âgés de 18 à 70 ans qui commandent en ligne au moins une fois par mois. Moins nombreux qu’en 2021 où ils étaient 51%, les habitués représentent encore près de la moitié (48%) des e-consommateurs belges et restent de bons clients. En 2023, ils ont reçu pas moins de 5,1 colis par mois en moyenne (contre 4,2 en 2022).

GeoPost note également que ces habitués sont devenus plus sensibles au prix qu’auparavant. «En raison de l’inflation élevée», suggère l’entreprise de livraison dans son enquête. En 2023, 64 % des acheteurs réguliers affirment que le prix est désormais le facteur le plus important lors de l’achat. C’est huit points de plus qu’en 2022. D’où le fait que la livraison gratuite gagne elle aussi sept points.

Qui, quand, où…

Parmi les études et les instituts consultés pour brosser ce portrait, beaucoup s’attachent à vouloir déterminer l’e-consommateur belge selon ses caractéristiques sociodémographiques: quel âge a-t-il, quel est son sexe, son niveau d’éducation, vit-il plutôt en ville ou à la campagne? «De ce point de vue pourtant, on ne peut pas dire qu’il y ait un paramètre qui sorte du lot, répond Kathleen Cauwelier. Dans la pyramide des âges, on observe naturellement une légère différence. Les personnes de 65 ans et plus, plus facilement en proie à la fracture numérique, effectuent moins d’achats en ligne.» Selon Eurostat, elles constituent 9% des e-consommateurs en Belgique. Mais la doctorante précise que cet écart entre jeunes et aînés tend à se réduire.

Dans le lot des e-consommateurs et toujours selon les dernières données d’Eurostat, on remarque un peu plus d’urbains (33%) que de ruraux (13%). Idem lorsqu’on se penche sur le niveau d’éducation: les personnes ayant suivi des études supérieures sont légèrement surreprésentées (45%) par rapport à celles qui se sont arrêtées au secondaire (37%). «D’un point de vue sociodémographique, ces chiffres permettent d’établir que la consommation en ligne a été globalement adoptée par la population dans son ensemble.»

«D’un point de vue socio-démographique, ces chiffres permettent d’établir que la consommation en ligne a été globalement adoptée par la population dans son ensemble.»

Kathleen Cauwelier, doctorante en e-commerce durable à la Vrije Universiteit Brussel (VUB) 

… et comment?

C’est peut-être en termes de pratiques – «comment» les consommateurs achètent en ligne – que notre portrait va pouvoir s’affiner. Spécialisée dans l’étude du comportement des cyberconsommateurs au sein du département Mobilise de la VUB, Kathleen Cauwelier se consacre à l’étude de la livraison du dernier kilomètre. «C’est la phase de livraison la plus coûteuse, pas seulement d’un point de vue économique mais aussi environnemental, explique-t-elle. C’est également à cette étape qu’on entre en contact avec le consommateur et que son choix en matière de livraison a un impact concret.»

Dans un de ses derniers travaux publiés en mars 2024, la chercheuse explore les comportements de 2.105 cyberconsommateurs belges en matière de livraison. Ces derniers étant classés en quatre groupes – le consommateur négligent, le non-engagé, l’ignorant et le pro-durabilité –, l’enquête met en évidence que ces e-consommateurs ont des notions quant à la durabilité ou non du mode de livraison qu’ils choisissent, mais que cette conscience écologique ne se traduit pas systématiquement dans leurs actions.

Pour 58% des e-consommateurs belges, la livraison à domicile reste le choix numéro un, selon le rapport sur l’e-commerce mené en 2024 par Comeos. La fédération du commerce en Belgique note toutefois que la livraison en points de retrait est en légère hausse (de 12% en 2023 à 14% en 2024). Les observations de Kathleen Cauwelier abondent dans le même sens, mais avec ses collègues de la VUB, elle a démontré que cette livraison à domicile n’est pas spécialement le nœud du problème écologique: «Si on habite en ville, clairement, ça l’est. Mieux vaut choisir un point de retrait, ou les casiers à colis déployés par Bpost qui centralisent les livraisons et réduisent le nombre de trajets. Mais dans certaines régions rurales, nos calculs montrent que la livraison à domicile n’est pas moins durable. Surtout parce que la voiture reste le moyen de transport privilégié par une majorité des cyberconsommateurs pour aller chercher leurs colis en dehors du domicile, même pour les ‘pro-durabilité’.»

Dans la famille gratuité, je demande le retour

Outre les modalités de livraison, celles du retour ont aussi leur importance. Neuf Belges sur dix souhaitent pouvoir renvoyer un colis sans frais, selon un sondage du transporteur DPD. La fédération sectorielle BeCom, qui analyse l’évolution du commerce électronique en Belgique, a récemment soulevé un autre marqueur concernant l’utilisation du retour gratuit: près de trois quarts des e-consommateurs indiquent ne jamais ou rarement retourner leurs achats, mais, parmi les 25% qui usent régulièrement du retour gratuit, on retrouve presque exclusivement des milléniaux [NDLR: génération Y, ceux qui sont nés entre 1980 et 1995]. «Les jeunes ont pris l’habitude de retourner les articles qu’ils achètent en ligne, bien plus que les consommateurs plus âgés, indique Greet Dekocker, directrice générale de BeCom. C’est surtout une problématique qui touche le secteur de la mode. Ils commandent plusieurs couleurs, plusieurs tailles, pour se créer un assortiment et s’assurer de recevoir un vêtement qui leur conviendra au mieux.» Les plus jeunes e-consommateurs sont aussi les plus grands acheteurs de seconde main. «Ils ont beaucoup d’exigences quant à la durabilité des produits qu’ils achètent, remarque-t-elle. On suppose qu’ils ne sont pas conscients de l’impact environnemental du retour gratuit qui implique toujours un double trajet.»

«Les jeunes ont pris l’habitude de retourner les articles qu’ils achètent en ligne, bien plus que les consommateurs plus âgés. C’est surtout une problématique qui touche le secteur de la mode. Ils commandent plusieurs couleurs, plusieurs tailles, pour se créer un assortiment et s’assurer de recevoir un vêtement qui leur conviendra au mieux.»

Greet Dekocker, directrice générale de Becom

Mais l’étude de Kathleen Cauwelier rappelle aussi le nerf de la guerre: les e-consommateurs ne sont pas prêts à changer leurs habitudes de livraison pour un mode plus durable si ça touche au portefeuille. «Il faut alors investiguer les stratégies de communication à implémenter au moment de la commande sur les webshops», suggère la chercheuse de la VUB. Le département Mobilise a d’ailleurs mis au point un outil, intitulé Smartdrop, encore peu utilisé, mais prometteur. Testé sur le site de vente Vanden Borre, il permet au consommateur d’entrer son code postal au moment de l’achat afin de lui proposer l’option de livraison la plus durable. «Ça s’appelle du ‘green nudging’, explique Kathleen Cauwelier. C’est un concept issu des sciences du comportement pour inciter les individus à adopter des attitudes écoresponsables. À voir dans quelle mesure ce genre d’outils peut réduire l’écart entre les intentions et les actions des cyberconsommateurs.»

Achète maintenant, paye plus tard, et achète encore plus

Au-delà des modalités de livraison ou de retour, les options de paiement ont aussi toute leur importance aux yeux des cyberconsommateurs belges. Le rapport de Comeos mentionne d’ailleurs que 24% d’entre eux sont prêts à stopper l’achat si leur mode de règlement favori n’est pas proposé. Bancontact, PayPal et la carte de crédit forment le trio de tête des systèmes de paiement préférés des Belges.

Depuis le début des années 2010, une modalité de paiement d’un nouveau genre a fait son apparition sur certaines plateformes de commerce en ligne, même si son essor n’est qu’assez récent: le «Buy now, pay later». Le BNPL – pour les aficionados de l’achat en ligne – permet au consommateur d’effectuer des achats en ligne et de les payer ultérieurement sans frais supplémentaires. Par exemple, après la livraison, pour s’assurer qu’un produit répond à nos exigences.

Dans un communiqué où BNP Paribas se targue de ce «facilitateur d’achat» désormais incontournable, la banque française souligne que 43% des Européens utilisent la fonction. Selon l’Association belge de recherche et d’expertise des organisations de consommateurs (AB-REOC), les applications de type BNPL ont bel et bien fait leur entrée sur le marché belge également: 37% des Belges connaissent ce mode de paiement et 18% l’utilisent déjà activement.

Lors du dernier colloque sur le crédit à la consommation donné par l’Observatoire du crédit et de l’endettement, Leen De Cort, secrétaire générale de l’AB-REOC, partageait les résultats d’une enquête sur l’utilisation du BNPL: «Nous ne sommes pas hostiles aux innovations qui facilitent la vie du consommateur, mais on s’attache aussi à vérifier que ces nouvelles pratiques ne soient pas à double tranchant.»

Risques d’endettement, encouragement à la surconsommation, ce mode de paiement divise les utilisateurs interrogés par l’AB-REOC, mais est actuellement assez prisé par deux catégories de publics plus vulnérables: les jeunes (28,5% des 16-24 ans l’utilisent déjà) et les personnes présentant un comportement d’achat compulsif (soit 26 % des utilisateurs du BNPL). Dans cette même étude, on lit que chez 17% des utilisateurs du BNPL, une agence de recouvrement est déjà intervenue pour des dettes. Parmi eux, on trouve proportionnellement plus de 16-24 ans (29%) et d’acheteurs compulsifs (36%).

Potentiellement incité à consommer davantage avec des allers-retours de livraison gratuits, séduit par l’accessibilité du BNPL, mais parallèlement confronté à l’urgence d’une consommation plus écoresponsable, l’e-consommateur belge avance sur une ligne de crête, oscillant entre des offres alléchantes et les conséquences parfois lourdes que ces choix de consommation en ligne peuvent avoir, tant sur son portefeuille que sur la planète.

 

L’achat de vêtements en baisse

Tendance 2023 insoupçonnée dans l’e-commerce: la consommation de mode est en berne. Si le Belge semble désormais davantage tourné vers l’expérientiel plutôt que le matériel pour sa consommation en ligne, cette baisse d’achat de fringues n’a pas pour autant provoqué une diminution générale des dépenses: l’année dernière, les Belges ont effectué pas moins de 16,3 milliards d’euros d’achats en ligne. Soit une hausse de 10,7% par rapport à 2022, selon les rapports de BeCom. Une augmentation nettement supérieure à l’inflation de 2,3% en 2023. «Cette forte croissance est liée au fait que le Belge a davantage dépensé dans le secteur des services», déclare Greet Dekocker. En 2023, les cyberconsommateurs ont dépensé 3,5 milliards d’euros en voyages à forfait (+ 28% par rapport à 2022), 2,1 milliards d’euros en billets d’avion et en hébergement, et plus loin dans le classement, 1,6 milliard en vêtements (en baisse de 1,8% par rapport à 2022).

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