Souvent évoqués et encore peu souvent réalisés sous nos latitudes, les budgets participatifs faisaient l’objet de deux journées d’étude les1er et 2 octobre derniers à Anderlecht. Originalité de l’approche : aborder la participation des citoyens à travers le prisme de la multiculturalité.Leçons et inspirations en droite ligne d’Amérique du Sud.
Les responsables politiques, les « méthodologues » et les praticiens se demandent souvent comment s’assurer de la participation de certains groupes ou catégories socialesà la décision. C’est vrai chez nous des Plans communaux de développement rural, par exemple, où la participation des plus jeunes ou des agriculteurs est souventproblématique, tant en nombre que dans la durée. C’est vrai aussi si l’on songe aux contrats de quartier, à Bruxelles, où la participation des femmes,singulièrement celles issues de certaines communautés immigrées, n’est jamais acquise. À cet égard, l’expérience de villessud-américaines, membres du programme européen URB-AL1, les 1er et 2 octobre derniers à Anderlecht, fut riche d’enseignements, de questionnements etd’inspiration.
Si les budgets participatifs sont nés il y a une vingtaine d’années au Brésil, ils ont aujourd’hui essaimé en Amérique du Sud et ailleurs dans lemonde. L’enjeu multiculturel de la participation citoyenne sud-américaine peut se résumer par ces chiffres : « dans 4 000 des 16 000 municipalités, les Indiens– ou « premières nations » – sont majoritaires ou presque, a rappelé Yves Cabannes, président de Périféria2 et professeurà l’University College London. Plus généralement, le nombre de migrants est appelé à croître dans un monde globalisé, jusqu’à 500 millionsde personnes d’après certaines estimations. » Comment s’assurer de la participation de ces populations – le plus souvent socialement invisibles, nonreprésentées – à l’organisation de la vie en société ?
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Budget participatif : mode d’emploi
Le cas de Rosario, en Argentine, permet de rappeler les principes fondamentaux d’un budget participatif. La ville, qui compte plus d’un million d’habitants, concentre 53 % de lapopulation de la province de Santa Fe, réceptacle de multiples flux migratoires européens au cours du XXe siècle. La ville compte en outre de nombreuxaborigènes, dont une forte communauté indienne Tobas issue du nord du pays et 12 % de personnes vivant sous le seuil de pauvreté. Comme l’a rappelé Ana Laura Pompei,agent municipal responsable du budget participatif, celui-ci repose sur quatre éléments importants : la participation directe des habitants, des élections, le contrôle del’action du gouvernement et l’arbitrage entre les priorités des citoyens et celle du « gouvernement » local.
Sur un cycle annuel, les habitants se retrouvent lors de trois assemblées générales dans les cinquante-six assemblées de quartier que compte chaque district (la villeest décentralisée en six districts de +/- 200 000 habitants) : la première pour énoncer et lister les projets, la deuxième pour élire les projetsprioritaires et la troisième pour faire le bilan de l’année écoulée et présenter les projets de l’année à venir. Lors du premier «round », l’assemblée générale élit ses délégués au conseil participatif de district. Pour choisir les projets prioritaires, les savoirspopulaires et les savoirs techniques sont croisés ; des formations thématiques sont organisées au bénéfice des conseillers de districts. Une fois choisis, lesprojets prioritaires sont inscrits dans l’ordonnance de budget de la municipalité.
En 2008, 10 000 personnes ont participé au budget participatif qui décide de l’affectation d’un peu plus de 3 % du budget municipal (soit 10 millions de dollars sur300 millions).
Langue et attentions préférentielles
À Cotacachi, commune andine d’Équateur de 40 000 habitants, la majorité issue des urnes en 1996 et reconduite depuis lors a mis en place des dispositifs participatifsjusqu’à élaborer l’ensemble du budget municipal sur cette base. Alors qu’en 1996 « 70 % des ressources budgétaires étaient concentrées surla zone urbaine du territoire et 20 % étaient affectés à la zone rurale, la proportion s’est inversée aujourd’hui, se réjouit Tatyana Saltos,employée municipale. De ce fait, les quarante-trois communautés vivant principalement dans les zones rurales bénéficient toutes des politiques sociales, éducatives,environnementales et économiques de la municipalité. » Deux éléments en particulier permettent d’obtenir ce résultat : parler dans la langue descommunautés concernées et fonder l’intervention publique sur des « attentions préférentielles » – version sud-américaine du principe de« discrimination positive ». En tout, 5 000 leaders locaux participent au processus décisionnel à travers les 12 assemblées cantonales décentraliséesqui maillent la commune (d’une superficie – 1 809 m2 – de plus de 11 fois la région bruxelloise).
Multidisciplinarité et foot
À Azoguès, commune équatorienne de 65 000 habitants, les autorités communales ont d’abord voulu faire évoluer les pratiques administratives. Ce n’estqu’après avoir inversé la logique et commencé par instaurer des pratiques participatives que la sauce a pris : dès lors, 72 % de la population a participéà la dynamique, a expliqué Remigio Gonzales, employé municipal. Ensuite, des équipes multi-disciplinaires ont été mises en place au sein del’administration (250 employés) : « tous les agents concernés y participent, pas seulement les directeurs de services. » Dans cette commune, la participation a aussipris une tournure particulière, à travers un club de football créé avec les contributions volontaires des habitants. Le parcours rapidement couronné desuccès de son équipe (qui évolue désormais en 1ère division) a renforcé l’identité commune et l’estime positive de l’ensemblede la population, jure le maire Victor Hugo Molina. Une source d’inspiration pour le RSC Anderlecht ?
Tant à Cotacachi qu’à Azoguès, les intervenants considèrent que légiférer sur les processus participatifs n’a de sens qu’une fois lalégitimité de ces derniers bien établie. En Région bruxelloise, les contrats de quartier seraient-ils victimes d’une inversion de cette logique ?L’expérience men&eac
ute;e actuellement à Anderlecht pourrait laisser penser que l’institutionnalisation des dispositifs ne suffit pas à assurer la participation.
Étendre l’expérience
Au vu de ces expériences sud américaines, « Anderlecht a tant de choses à apprendre en termes de budget participatif ! », a reconnu l’échevin MustaphaAkouz (PS – Volet espaces publics des contrats de quartier). L’ambition affichée de concert avec son collègue Fabrice Cumps (PS – Finances et Projets subsidiés) est,après l’avoir testé au niveau d’un quartier, d’étendre le budget participatif à l’ensemble de la commune.
Dans un premier temps, il s’agit, dans le contrat de quartier Lemmens (Cureghem), d’aller plus loin que le prescrit légal en doublant le dispositif de la Commission locale dedéveloppement intégré (CLDI) d’une dynamique d’ateliers de travail urbain animés par l’asbl Périféria. La CLDI, institutionnalisée,est composée sur une base représentative d’habitants et des associations du quartier. « Les ateliers de travail urbain, tels que nous les expérimentons, sont ouvertsà toutes et à tous et permettent d’informer les participants sur les tenants et aboutissants d’un budget afin de leur permettre de faire de véritables choixd’aménagement », explique Fabrice Cumps. « De plus, sur la base des travaux d’un Atelier urbain, la commune pourrait investir sur fonds propres si la Régionestime ne pas pouvoir le faire elle-même », poursuit Mustapha Akouz.
Et de citer l’exemple de la place Lemmens dont l’éclairage serait à re-concevoir et à adapter, alors qu’il fut récemment aménagé dans lecadre d’un précédent contrat de quartier. La Région refusant pour cette raison d’investir une nouvelle fois, la commune apportera les fonds nécessaires, maisfera précéder les nouveaux aménagements lumineux d’un atelier de travail urbain : « tout le monde pourra se rencontrer : habitants, comitéd’accompagnement « éclairage » de la commune, fonctionnaires, échevins. » C’est rien moins qu’une « nouvelle culture de la gestion des contratsde quartier » que revendique l’édile. À suivre.
1. Le programme Urb-AL de l’Union européenne favorise les échanges et inspirations entre villes européennes et latino-américaines. Depuis 2007, un groupecoordonné par Cotacachi (Équateur) s’est constitué autour des « impacts des pratiques et budgets participatifs dans des contextes multiculturels et pluriethniques».
2. Périféria :
– adresse : rue de la colonne, 1 à 1080 Bruxelles
– tél. : 02 544 07 93
– courriel : contact@periferia.be
– site : www.periferia.be