Les anti-vaccins ne sont pas nombreux en Belgique. Mais on les entend beaucoup. Ils assoient leur argumentaire sur des demi-vérités scientifiques et quelques mensonges. Leurs idées pénètrent lentement différentes strates de la société. Pendant ce temps, la rougeole et la coqueluche font leur grand retour.
Une photo choc: un bébé mort à cause d’un vaccin. Les causes réelles du décès: exclues des rapports officiels. L’affiche de Corvelva, association italienne anti-vaccin, avait fait parler d’elle dans le monde entier. Et certainement pas pour sa pertinence. Car le bébé en question, celui de la photo, était bien vivant… et vacciné.
Complotisme, buzz et demi-vérités. Tel est le triptyque des associations les plus radicales qui militent contre la vaccination. «Ces mouvements se basent sur des informations en apparence sérieuses mais sans validité scientifique», estime Marie-Christine Miermans, psychologue experte en promotion de la santé à l’ULg, qui participa au programme de vaccination de la Fédération Wallonie-Bruxelles (Provac).
Pour le droit des patients… mais contre la santé publique
En Belgique francophone, c’est un petit groupe, Initiative citoyenne, qui tient le flambeau de l’anti-vaccination. Son argumentaire, très fouillé, fourmillant de référence à la validité scientifique erratique, rencontre un certain succès dans toute la francophonie. Contactée par nos soins, Initiative citoyenne a préféré l’échange par e-mails plutôt que de vive voix. «Car ce genre d’articles a donné lieu à une caricature scandaleuse des associations de défense de la liberté vaccinale», nous est-il écrit.
Ces mouvements se basent sur des informations à l’apparence sérieuses mais sans validité scientifique. Marie-Christine Miermans, psychologue experte en promotion de la santé à l’ULg
Plutôt que de s’afficher comme «anti-vaccins», Initiative citoyenne met en avant la loi du 22 août 2002 relative aux droits des patients qui stipule que le patient a le «droit de consentir librement» à toute intervention d’un praticien. Cette loi n’est «jamais respectée», dénonce-t-on chez Initiative citoyenne.
En Belgique, seul le vaccin contre la poliomyélite est obligatoire. Grâce à la vaccination, le dernier cas de poliomyélite a été recensé en 1979 en Belgique et le nombre de cas a diminué de 99% à l’échelle mondiale en 20 ans. Ce qu’omet de dire l’association anti-vaccins, c’est que cette obligation est tirée d’une base légale solide, qui est certes l’objet de disputes juridiques. Il s’agit de l’arrêté royal du 26 octobre 1966, pris en exécution de la loi sanitaire du 1er septembre 1945. Les bases de cette législation sont la sauvegarde de l’ordre et de la santé publique (alors que le droit du patient concerne la relation du patient avec son médecin). La législation pour protéger la santé publique est-elle supérieure au droit du patient? En 1997, la Cour de cassation le pensait. En 2011, le tribunal correctionnel de Tournai n’était pas du même avis.
La vieille rengaine de l’autisme et des vaccins
Mais pour Initiative citoyenne, le combat est plus vaste. D’autres pratiques s’apparentent à de l’obligation vaccinale. En effet, l’Office de la naissance et de l’enfance (ONE) utilise l’accès aux lieux de garde comme un levier pour vacciner massivement. Afin d’accéder à une crèche, cinq vaccins contre neuf maladies doivent avoir été inoculés à leurs enfants. Coqueluche, rougeole, rubéole, hépatite B, etc.
Pour Initiative citoyenne, non seulement ces vaccins sont une intrusion dans la liberté du patient, mais ces substances pourraient, en elles-mêmes, être nocives. Porteuses d’effets secondaires volontairement sous-estimés, voire générant des handicaps ou des maladies. La vieille légende d’un vaccin ROR (rougeole, oreillons, rubéole) à l’origine de cas d’autisme est répétée sur le site de l’association.
Elle se base sur une étude de 1988 du professeur Wakefield, publiée dans la prestigieuse revue scientifique The Lancet. Depuis lors, il a été démontré que le professeur avait trafiqué le contenu du document. L’étude ne fait plus partie des publications de la revue britannique. Elle reste une référence pour les anti-vaccins.
Idem au sujet du lien supposé entre vaccination contre l’hépatite B et la sclérose en plaques. C’est justement l’un des grands défis des pro-vaccins. Face à des arguments à l’emporte-pièce, dont certains ne sont pas totalement faux (prenons l’exemple de vaccins contre la grippe H1N1; de rares cas de narcolepsie pourraient être liés à la vaccination, ou certains effets indésirables assez lourds), il faut travailler, vérifier, trier le vrai du faux, pour mieux réfuter lorsque c’est nécessaire. C’est ce qu’explique Béatrice Swennen, médecin spécialisée en santé publique, qui participa aussi au programme de vaccination en Fédération Wallonie-Bruxelles: «Face à un anti-vaccin qui va évoquer sur un plateau télé des effets indésirables graves, qui va affirmer que le vaccin est responsable de décès, la réplique n’est pas immédiate. Il faut analyser les données, monter de nouvelles études assez solides pour infirmer les allégations. Il a fallu trois ans pour démontrer que le lien entre sclérose en plaques et vaccin contre l’hépatite B était faux. Pendant ce temps, l’argument initial a pu déstabiliser des gens.»
Internet comme caisse de résonance
L’existence de mouvements comme Initiative citoyenne n’a rien de nouveau. «L’anti-vaccination, dont les racines idéologiques sont ultra-réactionnaires, est aussi vieille que la vaccination, rappelle Patrick Zylberman, professeur en histoire de la santé à l’école (française) des hautes études en santé publique. Ces mouvements trouvent une caisse de résonance grâce à internet. N’importe quel hurluberlu peut faire croire à un raz-de-marée anti-vaccins, alors que ce n’est pas le cas.»
Ceux qui refusent catégoriquement de faire vacciner leurs enfants ne sont pas nombreux, Clément Brasseur, ONE
Pour le professeur français, les véritables anti-vaccins, les plus radicaux, ceux qui ne combattent pas l’obligation au nom de la liberté individuelle mais craignent le produit lui-même, «ne représentent pas plus de 2 à 3%». Des militants qu’on ne rencontre pas que dans les tréfonds d’une droite radicale conspirationniste. «Certains flirtent avec des mouvements écologistes pour qui il faut avant tout laisser faire la nature, détaille Patrick Zylberman. Lorsque l’homme s’en mêle, c’est la catastrophe.» En France, l’une des voix les plus audibles d’un scepticisme affiché à l’égard des vaccins, n’est autre que Michèle Rivasi, eurodéputée d’Europe-Écologie les Verts.
Malgré quelques relais bien en vue, les anti-vaccins les plus virulents n’auraient donc pas d’impact décisif sur la société. «Ceux qui refusent catégoriquement de faire vacciner leurs enfants ne sont pas nombreux», confirme Clément Brasseur, collaborateur au programme vaccination de l’ONE. Et, en effet, si l’on prend comme exemple la vaccination ROR, le taux de couverture vaccinale est supérieur à 95%. Elle touche toutefois différentes couches de la société, y compris parmi les plus éduquées. C’est ce qu’explique Patrick Zylberman: «Cette opposition aux vaccins dans certains milieux très éduqués est un phénomène relativement nouveau, explique Patrick Zylberman. Elle est en partie liée au fait que les gens se croient experts en tout et viennent faire la leçon aux médecins, aux épidémiologistes.»
Certains flirtent avec des mouvements écologistes pour qui il faut avant tout laisser faire la nature. Patrick Zylberman, professeur en histoire de la santé
Il serait toutefois hâtif de conclure à l’absence d’influence de ces mouvements. Leur discours imbibe une frange non négligeable de la société en proie au doute à l’égard des experts et de la science et questionnant les pratiques d’entreprises pharmaceutiques suite à plusieurs scandales sanitaires. Il s’agit des «hésitants vaccinaux». Cette hésitation n’est pas nécessairement négative: «Il existe un aspect positif. Les gens se réapproprient leur santé, se posent des questions légitimes, auxquelles il faut répondre», pense Béatrice Swennen. Les effets indésirables des vaccins, l’impact réel des adjuvants, les cocktails de vaccins, les gains des multinationales peuvent questionner et certaines pratiques médicales peuvent être débattues.
En 2016, en Belgique, 79% des répondants au sondage «The State of Vaccine Confidence» étaient convaincus que les vaccins étaient sûrs, contre 14% qui pensaient le contraire et 7% qui «ne savaient pas». Une proportion non négligeable d’hésitants, mais qui reste faible si on la compare aux 41% de sceptiques que compte la France. Béatrice Swennen constate que l’hésitation, tant en France qu’en Belgique, s’est renforcée après la campagne de vaccination contre le virus de la grippe H1N1. «Les coûts investis pour diffuser rapidement et à grande échelle ce vaccin ont été mal perçus par une large frange de la population; la pandémie anticipée n’a pas eu lieu.»
Une montée des égoïsmes
En Europe, lors des six premiers mois de 2018, 41.000 cas de rougeole ont été comptabilisés. Trente-sept personnes en sont mortes, surtout des enfants. Est-ce à cause des anti-vaccins et des hésitants? Cela serait trop simple. Les raisons de ce retour de la rougeole, et avant elle de la coqueluche, sont nombreuses. D’abord, l’Europe est victime du fameux «paradoxe de la vaccination». Plus le vaccin est efficace, plus on oublie les maladies et leurs effets, plus on baisse la garde. Quant à la fameuse couverture vaccinale, si elle dépasse les 95% pour la première vaccination (qui concerne des nourrissons), elle descend à 75% pour le rappel, 10 ans plus tard.
Selon Clément Brasseur, de l’ONE, cette difficulté à augmenter le taux de couverture vaccinale pour le deuxième rappel peut, en partie seulement, s’expliquer par cette «hésitation vaccinale et cette sous-estimation du danger». Au-delà, le collaborateur de l’ONE pointe une «société davantage individualiste», dont les membres auraient tendance à ne pas assumer une «responsabilité collective». Car, pour éradiquer une maladie et protéger ceux qui sont dans l’impossibilité de se vacciner pour raisons médicales, il n’y a qu’une solution: vacciner au maximum.