Alter Echos : Vous reconnaissez-vous pleinement dans le terme « antispéciste » ?
Victoria Austraet : Oui, tout à fait. C’est le terme le plus important, celui qui résume mon combat! Un combat que j’essaie de faire avancer au sein du parlement. Evidemment, on en est très, très loin. Mais c’est un terme que j’utilise de plus en plus souvent pour qu’il soit de plus en plus accepté notamment au parlement.
AE : Vous estimez que c’est un terme qui reste mal compris? Notamment en politique…
VA : Quand je suis arrivée au parlement, c’est un terme que j’ai préféré éviter d’utiliser parce que je n’avais pas envie de « faire peur ». Pour les personnes qui ne se retrouve pas dans la cause animale, lorsqu’elles entendent le mot « antispécisme », elles peuvent avoir l’impression que c’est une idéologie qui promeut l’action directe, voire la violence. Elles pensent que c’est une forme d’extrémisme aussi. C’est donc un terme que je me suis abstenue d’utiliser au départ. Au fur et à mesure que mes collègues ont appris à me connaître, voyant que j’abordais d’autres sujets de société, j’ai revendiqué de plus en plus ce terme au parlement pour montrer qu’en réalité, c’est tout à fait logique d’être antispéciste. Quand on lutte contre les discriminations, il faut prendre en compte les intérêts de tous les êtres vivants, y compris non humains.
Quand je suis arrivée au parlement, c’est un terme que j’ai préféré éviter d’utiliser parce que je n’avais pas envie de « faire peur ».
AE : Continuez-vous à être militante dans des associations ?
VA : C’est en étant militante, en étant sur le terrain, que j’ai pu rencontrer beaucoup de personnes qui partageaient mon combat, grâce à elles que j’ai pu arriver là où j’en suis. Bien que députée, je reste évidemment en contact avec les activistes. J’ai moins de temps, par contre, pour participer aux actions, mais j’essaie quand même d’être là le plus possible. Je ne pense pas que ce soit deux engagements distincts, au contraire, cela va de pair. L’engagement sur le terrain renforce l’engagement politique.
AE : Par rapport aux militants et à leurs actions, justement. Il y a quelques années, on entendait davantage parler de mouvements ou d’actions antispécistes en Belgique. Comment expliquez-vous cette « discrétion » ?
VA : Tout d’abord, il y a eu un frein par rapport aux actions plus directes, parce qu’il y a beaucoup de procédures judiciaires à l’encontre de ces activistes. Donc cela a coupé l’herbe sous le pied d’une partie de l’activisme. C’est la raison pour laquelle il y a eu moins d’actions de ce genre. Personnellement, je n’ai participé qu’à des mouvements de sensibilisation parce que je pense qu’un activiste en prison, ou qui risque des actions judiciaires, ne peut plus être aussi efficace. Le critère le plus déterminant dans la cause animale, c’est de voir ce qui est le plus efficace pour aider le plus grand nombre d’animaux.
AE : Quant au terme d’écoterrorisme souvent associé à celui d’antispécisme par les autorités ou les médias, avez-vous l’impression que c’est un terme qui stigmatise votre action auprès de l’opinion ?
VA : Il y a clairement une volonté de faire peur avec un tel terme, en effet. On le voit aussi au travers de toutes les actions judiciaires contre des activistes. Je pense qu’il y a beaucoup de moyens qui sont mis pour lutter contre ces actions. Personnellement, je ne trouve pas ce choix judicieux. Mais c’est clair que cela reflète la volonté d’étouffer cette cause. Je crois, plus largement, que c’est la logique de tout mouvement progressiste : cela commence toujours par des actions plus directes, avec des militants poursuivis. La désobéissance civile est intrinsèque à tout combat social, tout combat progressiste, à l’instar de l’antispécisme. Dans l’histoire, ce mouvement s’inscrit autant chez les suffragettes que les militants anti-esclavagistes qui ont été les premiers à s’intéresser aux droits des animaux.
Je pense qu’il y a beaucoup de moyens qui sont mis pour lutter contre ces actions. Personnellement, je ne trouve pas ce choix judicieux. Mais c’est clair que cela reflète la volonté d’étouffer cette cause.
AE : Seule députée antispéciste en Belgique, vous vous intéressiez à la politique avant de vous lancer ? Beaucoup de militants antispécistes semblent assez déçus des élus politiques…
VA : Personnellement, je ne m’intéressais pas beaucoup à la politique parce que je constatais qu’il n’y avait pas à ce niveau-là beaucoup d’intérêt pour la cause animale. Aucun parti ne défendait suffisamment cette problématique. J’ai accepté de me lancer en politique dans un parti animaliste dans lequel je me retrouvais. Un parti traditionnel qui ne s’occupe pas des animaux, qui n’a pas cette même vision d’une défense poussée des droits des animaux, cela ne m’intéressait pas. Obtenir un siège prouve que le droit des animaux est une préoccupation majeure pour la société et les citoyens. C’est un signe aussi que les mentalités évoluent. C’est surtout une question qui est loin d’être dérisoire, qui doit être davantage prise en compte par les partis traditionnels.
AE : C’est votre première expérience politique, visez-vous un second mandat ?
VA : Le politique est beaucoup plus lent. C’est vraiment grâce aux citoyens que l’évolution se fera… Quand on voit tous les produits vegan, on voit que l’évolution est massivement en marche, mais à côté de cela, la législation a tendance à stagner. On reste dans un système spéciste, alors que les mentalités évoluent plus vite que les changements politiques. Il y a toujours des personnes qui me demandent l’arrêt pur et simple des abattoirs. J’aimerais beaucoup y arriver, mais c’est impossible à l’heure actuelle, en étant la seule députée antispéciste, d’avoir des propositions aussi drastiques. C’est inaudible malheureusement aujourd’hui. Si on veut diminuer la souffrance animale, ce qui est mon but premier, il faut y aller pas à pas. Texte après texte, pour réduire la souffrance à tel ou tel endroit, c’est la seule manière de faire. C’est la raison pour laquelle la société est hyper importante dans ce combat, car souvent, elle est le vecteur de changements de politiques.
Obtenir un siège prouve que le droit des animaux est une préoccupation majeure pour la société et les citoyens. C’est un signe aussi que les mentalités évoluent.
Idéalement, je visais un mandat de 5 ans uniquement, me disant que ce serait suffisant pour faire avancer mes idées, déposer des textes, mais je me suis rendu compte dans la pratique que le temps en politique est un temps extrêmement long. Pour cette raison, j’aimerais me représenter.
AE : Dans l’article consacré à l’antispécisme dans notre magazine, on évoque le poids psychologique de cet engagement. L’avez-vous aussi ressenti durant vos années de militante ?
VA : On a une tendance à se dire en voyant les douleurs infligées aux animaux : “ce n’est pas possible, il faut que tout le monde se réveille…” On a beaucoup de colère en soi. Tous les antispécistes ont eu cela, en se rendant compte de toutes les atrocités qu’on fait subir aux animaux tous les jours. C’est difficile à accepter, en tant que militant, de devoir rester dans son coin pendant longtemps parce que la société prend du temps à évoluer, parce qu’il y a un lobby énorme que ce soit celui du secteur de la viande, des produits laitiers… C’est un endoctrinement, et c’est très difficile de sortir de celui-ci. Cela prend du temps, et c’est extrêmement frustrant, autant pour les activistes sur le terrain que pour moi au sein du parlement.