Combien notre pays compte-t-il de personnes qu’aucun État ne considère comme faisant partie de ses ressortissants ? Les chiffres sont flous, comme les limites juridiquesentourant ce statut pourtant régi par deux conventions internationales1. Conventions que la Belgique peine à ratifier, elle qui n’a pas traduit en droit interne lesdispositions de cette protection.
« La mise hors cause de l’État belge se justifie au motif qu’il n’a pas de compétence pour statuer sur l’absence de nationalité dans le chef d’une personne. »Cette réponse est celle de Laurette Onkelinx, ministre de la Justice, à une interpellation au Sénat sur la procédure en matière de reconnaissance du statutd’apatride 2. Car c’est bien là que le bât blesse : aucune instance n’est reconnue officiellement pour octroyer ce statut à l’intérieurde nos frontières. On pourrait penser d’emblée au Commissariat général aux réfugiés et apatrides (CGRA) mais le « A », enl’occurrence ici, est mal désigné car ce service fédéral ne peut « que » délivrer des documents aux apatrides reconnus. Reconnaissance acquise auterme d’une procédure le plus souvent introduite par défaut devant les tribunaux de première instance et, plus rarement, aux ministres de la Justice ou del’Intérieur eux-mêmes.
Qui es-tu, apatride ?
Dans le cadre d’une table ronde3 sur l’apatridie en Belgique organisée par le ministère de l’Intérieur le 23 novembre dernier, le directeurgénéral de l’Office des étrangers, Freddy Roosemont, s’est montré plus qu’évasif sur les statistiques. En effet, étant donnél’inclusion des apatrides dans le flot de demandes du statut de réfugié sous l’article 9.3. de la loi belge – circonstances exceptionnelles laissées àl’appréciation du ministre de l’Intérieur – les chiffres sont biaisés. « Je peux vous dire que sur les quatre dernières années, neufdossiers ont abouti à la reconnaissance effective du statut d’apatride ». Neuf, sur combien ? Nul ne le saura.
D’emblée, force est de constater l’a priori négatif qui pèse sur ces personnes qui soit n’ont aucune nationalité reconnue, soit ont renoncé àla leur. D’où la suspicion partagée par l’Office des étrangers que certains abuseraient de ce statut quand la procédure d’asile a échoué.Pourtant, le démantèlement récent des pays balkaniques, de l’ex-URSS ou de l’ex-Yougoslavie, les transferts de territoires dus aux conflits civils, certainespolitiques de « dénationalisation » orchestrées ou encore les conflits de lois entre pays pratiquant le droit « du sol » et le droit « du sang » nepeuvent qu’aggraver ce phénomène. D’après le dernier rapport de l’Office (2005), les candidats apatrides en Belgique sont issus principalement du Kosovo, de laSerbie, du Monténégro et des anciens pays satellites de la Russie. Pour l’avocate Sylvie Saroléa, « la précarité des candidats apatrides émane ducaractère non contraignant de certains instruments internationaux comme la Déclaration universelle des droits de l’homme, qui édicte pourtant le droit à toutindividu à avoir une nationalité ». Nationalité qui constitue le sésame pour l’obtention du « droit à avoir des droits ». Dans les faits,cette effectivité est relative car la Belgique reste souveraine en matière d’octroi de la nationalité belge
Apatride et réfugié : même combat ?
Après un parcours parallèle des réfugiés et apatrides à la suite des deux premières guerres mondiales, une Convention relative au statut des apatrides aété adoptée à New York en 1954, soit trois ans après la Convention de Genève sur les réfugiés. Cette fracture met en évidencel’équation suivante : un réfugié peut être apatride, mais tout apatride n’est pas réfugié et ne peut donc se prévaloir de la protection desaccords de Genève, qui plus est si l’apatride fuit un pays pour d’autres motifs que la crainte pour son existence. L’apatride doit lui-même apporter la charge de lapreuve de sa non-nationalité devant le tribunal tandis qu’un candidat réfugié espère compter sur les démarches effectuées par le CGRA pourdéterminer l’existence ou non de persécutions ou risque de persécution à son égard.
À côté de la procédure elle-même « plus favorable » au candidat réfugié, voire au demandeur d’asile, une seconde distinctions’opère dans l’obtention du droit de séjour. Comme le souligne une étude de Marie De Hemricourt de Grunne, conseillère adjointe au ministère del’Intérieur, la loi belge ne prévoit aucun droit de séjour automatique pour l’apatride contrairement aux réfugiés reconnus. Or, lorsqu’on prend enconsidération le délai de constitution de dossier, l’apatride risque bel et bien de se voir expulser du territoire avant l’issue de sa demande au tribunal et verserindéniablement dans l’illégalité.
Fusionner les statuts de réfugié et apatride ?
C’est l’idée émise par la majorité des défenseurs des droits de l’homme. Pour la conseillère de l’Intérieur, le CGRA devraitêtre le seul garant de l’octroi du statut d’apatride…tout comme de celui de réfugié. Vu que l’État belge manque à ses obligations enrefusant de se reconnaître compétent en la matière, un autre organe doit être désigné. Car, dans la jurisprudence actuelle, aucune tendance ne confirme lavolonté réelle de sortir ces fantômes de l’ombre.
1. La Belgique a ratifié la Convention de New-York de 1954, mais refuse de faire de même pour la Convention sur la réduction des cas d’apatridie (1961) malgré lesinvitations du HCR.
2. Question posée par la sénatrice Defraigne (MR) en décembre 2005 quant au nombre exact de cas d’apatridie en Belgique.
3. Table ronde organisée par le Haut Commissariat aux réfugiés (HCR) – contact : Gert Westerveen –tél. : 02 627 17 34 –
courriel : westerve@unhcr.org