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Regard critique · Justice sociale

Le dispositif APE (aides à la promotion de l’emploi) va être réformé de fond en comble. Les emplois existants seront pérennisés. Mais ceux créés à partir du 1er janvier 2016 seront limités à trois ans. Une disposition qui inquiète le secteur non marchand.

Place aux choses sérieuses. En votant en première lecture l’avant-projet de décret relatif à la réforme des aides à la promotion de l’emploi (APE), le parlement wallon a mis les mains dans le cambouis. Les APE constituent en effet un soutien à l’emploi important pour l’enseignement, les pouvoirs locaux régionaux, communautaires et les employeurs du secteur non marchand. Un soutien très souvent structurel, notamment pour le non-marchand. Or, s’il prévoit de pérenniser les emplois existants, le projet de réforme propose de mettre fin à ce soutien structurel pour les APE futurs. Ceux-ci seront limités à une durée de trois ans. Ce qui fait tiquer le secteur non marchand.

Pour savoir d’où l’on vient, il faut savoir que les mesures d’aide à l’emploi dites «groupes cibles» ont été transférées aux Régions suite à la sixième réforme de l’État, en plus d’autres systèmes tels que les articles 60 ou encore les APE. Une occasion en or de rationaliser tout le bazar. Et de diminuer le nombre d’aides. On passera ainsi d’une quarantaine à neuf.

Le système APE tel qu’on l’a connu, c’est fini.

Parmi les nouvelles aides, le cabinet d’Éliane Tillieux (PS) – ministre wallonne de l’Emploi – a prévu la création de trois dispositifs centrés respectivement sur les moins de 25 ans, les travailleurs âgés à partir de 55 ans et les chômeurs de longue durée. Les six autres systèmes – APE, Sine, les articles 60/61, Sésame et les réductions de cotisation sociale pour le gardiennage d’enfants et les artistes – constituent en revanche des «rescapés». Ils seront maintenus, moyennant des modifications plus ou moins grandes. Enfin, quand on dit «maintenus», il faut voir. Pour les APE, le chambardement est tout de même assez important. Le système APE tel qu’on l’a connu, c’est fini. Pour rappel, il fonctionnait jusqu’ici avec deux «sources» d’aide couvrant tout ou partie de la rémunération du travailleur. Des subsides sous forme de points, auxquels correspondaient des montants en espèces sonnantes et trébuchantes, ainsi que des réductions de cotisation sociale. Les subsides dépendaient notamment du budget de la Région wallonne. Les réductions de cotisation sociale, elles, du budget de l’État fédéral. Avec la sixième réforme de l’État, ces réductions sont passées dans le giron des Régions. Après ce changement, la Région wallonne a donc décidé de fusionner les deux sources de financement dont elle est maintenant responsable – subsides et réductions de cotisation – en une seule. Les budgets totaux des subsides et des réductions APE pour l’année de référence 2015 seront ainsi fusionnés. On y ajoutera également les budgets des conventions premier emploi et des «emplois jeunes non-marchand», deux dispositifs également transférés du fédéral. On divisera ensuite le montant obtenu par le nombre de points APE effectivement réalisés en 2015. Ce qui donnera la nouvelle valeur du point APE, source unique de financement.

APE «anciens» vs APE «nouveaux»

Ici, deux cas de figure sont possibles. Premier cas de figure, on se trouve en présence de postes APE créés avant le 1er janvier 2016. «Pour ces anciens postes APE, nous allons consolider l’emploi existant, explique-t-on au cabinet d’Éliane Tillieux. Nous allons nous assurer que chaque employeur bénéficiaire ne connaîtra pas de perte de moyens qui pourrait justifier une disparition d’emplois. Pour une ministre de l’Emploi, ce serait le comble.» Les emplois issus de l’ancien système APE seront donc pérennisés. Pour ce faire, le montant de subsides APE (subsides sous forme de points et réductions de cotisation sociale) de chaque employeur sera arrêté pour l’année de référence 2015 à partir des données du Forem et de l’Office des régimes particuliers de sécurité sociale. Ce montant sera ensuite divisé par la nouvelle valeur du point APE. Ce qui déterminera un nouveau nombre de points destinés à l’employeur, figés dans une annexe au projet de décret. Il pourra les conserver pour une durée indéterminée à condition qu’il maintienne son volume global de l’emploi. Des vérifications seront faites par le biais de la déclaration multifactorielle à l’ONSS. Si l’employeur ne maintient pas son volume d’emploi, une «correction» de l’aide sera effectuée. Notons que des dérogations sont prévues si la diminution du volume global de l’emploi est causée par des circonstances imprévisibles, une perte de subventions émanant de pouvoirs publics ou si l’employeur est sous plan de gestion. Une «tolérance» de quelques pour cent de diminution du volume global de l’emploi sera également instaurée. «Mais nous n’avons pas encore établi le chiffre exact», prévient-on au cabinet d’Éliane Tillieux.

Le deuxième cas de figure concerne les postes APE créés à partir du 1er janvier 2016. Ceux-ci s’adresseront aux demandeurs d’emploi inoccupés inscrits au Forem. Ils seront désormais limités à trois ans et cumulables avec le contrat d’insertion. Notons que les APE créés entre le 1er janvier 2016 et l’entrée en vigueur du décret seront renouvelés automatiquement pour trois ans dès cette entrée en vigueur. Fini donc le soutien structurel à l’emploi dans le secteur du non marchand. Dorénavant, tous les postes APE seront à durée déterminée, d’«impulsion» d’après le cabinet. «Avec le temps, les travailleurs APE étaient devenus des employés définitifs, presque des fonctionnaires, explique-t-on. Le levier sur l’emploi était donc devenu inexistant.» Autre «détail» qui a son importance: les APE ont régulièrement été utilisées pour pallier les manques de financement structurel de la part des ministres fonctionnels de différents secteurs. Au point de parfois détourner les APE de leur fonction d’aide à l’emploi. «Certains ministres ont parfois failli à financer leurs secteurs. C’était confortable: on finançait la brique et puis les APE finançaient l’emploi», continue-t-on au cabinet.

«Pour la création des nouveaux APE, le gouvernement décidera en effet de thèmes transversaux répondant à des besoins sociétaux prioritaires, comme la mobilité.», le cabinet Tillieux.

Clairement, Éliane Tillieux entend donc (re)faire des APE une politique de mise à l’emploi, de pied à l’étrier, si possible à destination de travailleurs fragilisés. Et plus une politique de soutien structurel à l’emploi dans des secteurs qui ne dépendent pas d’elle. Une précision toutefois: dorénavant les ministres fonctionnels devraient être associés davantage aux décisions d’octroi de points. «Pour la création des nouveaux APE, le gouvernement décidera en effet de thèmes transversaux répondant à des besoins sociétaux prioritaires, comme la mobilité. Ce seront des thèmes accessibles à tous les secteurs, il faut éviter les guerres sectorielles», précise le cabinet. Notons que chaque poste bénéficiera de quatre points au maximum. Le nombre de points attribués à l’employeur sera fonction du niveau d’éloignement du travailleur par rapport au marché de l’emploi. Un objectif de simplification est aussi clairement poursuivi par le biais de la «forfaitarisation» du soutien à l’employeur. Un soutien qui sera versé en trois tranches par an, contre 12 paiements et quatre «phases» de réductions de cotisation sociale par an aujourd’hui.

Rayon financement, pour l’ensemble du système, on fonctionnera à enveloppe fermée, soit un peu moins d’un milliard d’euros pour 41.000 postes APE (hors convention enseignement) en 2015. Comment la ministre entend-elle dès lors financer de nouveaux postes APE alors qu’elle pérennisera les anciens? En allant piocher dans les APE ayant disparu «naturellement» tout d’abord. Et puis en se servant dans l’enveloppe des PTP (programme de transition professionnelle), eux aussi passés du fédéral aux Régions suite à la sixième réforme de l’État et qui seront supprimés. Il se chuchote depuis longtemps que celle-ci n’est pas toujours utilisée à fond. Le cabinet entend donc peut-être le faire. Il compte plus sûrement utiliser les fonds qui ne manqueront pas de se dégager lorsque les derniers PTP octroyés au niveau fédéral prendront fin d’ici deux ans.

Des employeurs inquiets

Du côté des employeurs du secteur non marchand, la réforme inquiète. Si on salue la simplification du système et la pérennisation des APE existants, on s’alarme par contre à propos des APE d’impulsion. «Nous sommes un peu dubitatifs, lâche-t-on à l’Unipso (Union des entreprises à profit social). Pour notre secteur, la réforme et la création des APE d’impulsion va entraîner un arrêt de l’effet de levier que l’APE pouvait avoir pour des structures au début de leur projet.» Pour l’Unipso, cette réforme positionnerait même le dispositif sur «un cadre extinctif à très long terme», étant donné que l’on ne créera plus d’APE «à l’ancienne» et que les «nouveaux» APE… n’en seront plus vraiment. Précisons à ce sujet que le dispositif sera rebaptisé d’un nom encore à définir. «Les APE ‘nouveaux’ sont destinés à remplacer les PTP, mais ils s’en rapprochent finalement beaucoup», note-t-on à l’Unipso.

Les PTP?

La mesure PTP (programme de transition professionnelle) octroyait des réductions ONSS ainsi qu’une activation des allocations de chômage ou du revenu d’intégration sociale pour l’engagement à durée déterminée de chômeurs de longue durée dans le but de leur offrir une formation qualifiante et une expérience professionnelle leur permettant d’améliorer leur position sur le marché de l’emploi. Il s’agissait d’une mesure réservée aux employeurs publics, aux asbl et autres associations du secteur non marchand. (Source: ConcertES.)

Autre sujet d’inquiétude: l’«opérationnalisation» de la réforme. En choisissant l’année 2015, le cabinet a fait un choix dicté par le fait qu’«il s’agit du dernier exercice annuel pour lequel la Région dispose de l’ensemble des données complètes et vérifiées», peut-on lire dans une note au gouvernement wallon. Ce choix pourrait néanmoins avoir des conséquences. On a vu que le calcul du montant des subsides de chaque employeur dépendra des subventions sous forme de points et des réductions de cotisation sociale pour 2015. «Mais imaginons que ces subventions et réductions aient été basses en 2015, que l’employeur n’ait pas ‘consommé’ toutes ses aides APE pour des raisons diverses comme une absence maladie longue durée d’un travailleur, il risque de se retrouver pénalisé», explique-t-on à l’Unipso.

«La simplification du système est importante. Elle peut se révéler profitable, mais elle est fragile d’un point de vue du droit», Pierre Malaise, directeur, Cessoc

À la Confédération des employeurs du secteur sportif et socioculturel (Cessoc), on partage les constats de l’Unipso, notamment concernant l’année de référence. D’après Pierre Malaise, directeur, la Cessoc a effectué quelques simulations concernant les APE pérennisés. Et pour certaines, «on est sur des pertes de plusieurs milliers d’euros par an. Des solutions devront donc être trouvées». Pierre Malaise note cependant que le cabinet d’Éliane Tillieux «joue pour l’instant l’ouverture, même s’il y va un peu bille en tête. On nous a ainsi proposé de ‘moyenner’ le calcul sur 2014 et 2015, ce qui n’est pas suffisant pour nous. Nous souhaiterions que l’on tienne compte des points attribués» plutôt que ce qui a été «consommé» par l’employeur. Autre point d’attention: «La simplification du système est importante. Elle peut se révéler profitable, mais elle est fragile d’un point de vue du droit», explique Pierre Malaise. Le fait que le nombre de points pérennisés soit figé dans une annexe au projet de décret pose ainsi question. Qu’en serait-il si un employeur venait à contester ce qui lui est attribué? On devrait alors probablement passer par une révision du décret! «Il n’y a pas vraiment possibilité de recours pour les employeurs, note cependant Pierre Malaise. Je pense que le cabinet voudra mettre le verrou dessus. Ce que nous demandons, c’est que les employeurs puissent vérifier le décompte ou se le faire expliquer.»

Des syndicats plus partagés

Pour ce qui est des syndicats, les réactions sont plus contrastées. Christian Masai, secrétaire fédéral au Setca, affirme ainsi «ne pas vouloir crier au loup trop vite». Le syndicaliste se dit conscient des inquiétudes du secteur. Mais il affirme que les réponses apportées par le cabinet d’Éliane Tillieux – pérennisation des anciens APE, prise en compte de l’ancienneté barémique (voir encadré) – l’ont rassuré. «Je pense que les inquiétudes de certains employeurs proviennent plus de problèmes relevant des financements globaux ou fonctionnels que de l’APE. Il faudrait faire la distinction», explique-t-il. Avant de déclarer qu’«il y a beaucoup d’inactifs, souvent des jeunes, en Wallonie. Cela ne me choque pas qu’une ministre de l’Emploi décide de donner des impulsions pour que ces personnes entrent sur le marché de l’emploi». Un point de vue partagé… plus que partiellement par Patricia Piette, secrétaire nationale CNE. «Je peux entendre ce type de raisonnement, mais il faudrait alors que dans un second temps les nouveaux APE à durée déterminée soient pérennisés par les ministres fonctionnels», explique-t-elle en se déclarant «très inquiète» à propos de la réforme des APE. Ce financement structurel des postes par les ministres fonctionnels plutôt que par la politique de l’emploi est une vieille revendication du secteur non marchand. Paradoxalement, la réforme actuelle des APE est envisagée par la plupart de nos interlocuteurs comme une première étape possible vers ce scénario. On pourrait alors imaginer un transfert des moyens destinés aux «anciens APE» vers les ministres fonctionnels. Inutile de dire qu’il faudrait alors l’accord de la ministre de l’Emploi.

L’ancienneté barémique prise en compte
La subvention APE nouvelle mouture tiendra compte de l’évolution de l’index. Elle comprendra également une majoration de 0,5% destinée à prendre en compte l’évolution barémique des travailleurs travaillant pour des employeurs publics ou le non-marchand, ce qui est nouveau.

Mais on est encore loin de cela. Pour l’heure, Patricia Piette se dit également inquiète des conséquences liées aux APE d’impulsion. «Imaginons que le nouveau point APE vaille 5.000 euros. Chaque employeur pourra bénéficier de maximum quatre points, ce qui fait 20.000 euros. Cela ne fait pas un emploi à temps plein. Il y a donc un risque que certains opérateurs entrent dans une phase de commercialisation pour compenser», suppute-t-elle.

Pour tenter de faire passer leur message, les partenaires sociaux du non-marchand notent que plusieurs réunions sont encore prévues avec le cabinet d’Éliane Tillieux. Un cabinet qui se dit ouvert, mais qui prévient aussi: «Nous sommes dans une phase de consultation, pas de concertation.» Les mots ont leur importance. La marge de négociation sera serrée. Tout comme le calendrier. Le cabinet espère être prêt pour le 1er juillet 2017, sans se presser néanmoins. «Notre but, c’est que cela convienne au secteur. S’il faut que le décret entre en vigueur au 1er janvier 2018 pour cela, nous le ferons. On va se faire allumer par l’opposition, mais ce n’est pas grave…»

 

 

En savoir plus

«Aides à l’emploi wallonnes: en toute simplicité», Alter Échos n°428 du 20/9/2016, Julien Winkel.

Julien Winkel

Julien Winkel

Journaliste

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