Arafox est une jeune coopérative à finalité sociale spécialisée dans les alternatives Open-source en matière de technologies de l’information. Un pointqui révèle une autre face de l’économie sociale marchande à savoir un secteur capable de développer des service à haute valeur ajoutée et impliquantdes technologies de pointe.
Au-delà de cette originalité, à y regarder de plus près, son développement montre aussi l’effet de levier que peuvent avoir le statut de Sociétéà finalité sociale ou les mécanismes financiers spécialisés pour les entreprises sociales, ainsi que le fait de s’inscrire dans des réseaux d’entrepriseformels ou dans les réseaux plus informels de la militance. On voit aussi dans quelle mesure la poursuite d’une finalité sociale amène d’emblée à croiser leschemins de la commande publique.
Informatique propriétaire versus Open-source
Fondée en février 2000, la société coopérative à finalité sociale Arafox1 est partie d’une idée toute simple : saisirl’opportunité que lui donnait le développement récent de l’informatique Open-source en Belgique. « Devant le foisonnement technologique, les entreprises veulenttrouver un partenaire qui leur offre une solution globale alliant à la fois un bon rapport qualité/prix, la fiabilité, la facilité d’utilisation, l’approche »clé sur porte », la facilité d’intégration dans l’architecture existante et la minimalisation du risque dans le choix de la technologie, expose Oliver Schneider,directeur commercial d’Arafox. Or, actuellement deux visions sont en présence. D’un côté, celle qu’on appelle propriétaire, c’est-à-dire desentreprises comme Microsoft, Oracle, SAP, qui développent des solutions informatiques qu’ils commercialisent sous un système de licence. Ces solutions standardisées sontsupportées par un système de distribution étendu (revendeurs, agences commerciales) et une large panoplie de petites entreprises qui offrent le support et la formation.D’un autre côté, on trouve la vision « Open-source » qui se distingue de l’informatique propriétaire en ce sens qu’elle est basée sur une collaborationentre utilisateurs et développeurs ainsi que sur la disponibilité complète, c’est-à-dire gratuite, du code source qui permet à n’importe quel programmeur defaire évoluer le programme à sa guise.
Une opportunité
Inspirés des principes qui sous-tendent l’internet à son origine (liberté d’accès à l’info, gratuité, etc.), les logiciels Open-Source ontété rendus populaires par le système d’exploitation Linux et le serveur Web Apache. L’Open-Source revêt cependant une notion plus large puisqu’il englobeune offre de plus de 6.000 logiciels dans tous les domaines (serveurs, multimedia, bureautique, internet…). « Quoique très récent, tout au plus une dizaine d’années,le système fonctionne très bien mais est parfois victime de son succès », confie Oliver Schneider. En effet, une critique importante faite au logiciel libre vise lesous-développement actuel de l’offre de support commercial : installation, maintenance, support, formations. Une critique en grande partie fondée : il existe actuellement peud’entreprises significatives de ce genre implantées en Belgique. Une opportunité donc se présentait, restait à la saisir…
C’est ce qu’ont fait quelques Bruxellois passionnés d’Open-source qui se réunissent de temps à autre autour d’un barbecue ou d’une copy-party(chacun vient avec son ordinateur pour s’échanger les derniers développements de logiciels). Ils ont ainsi émis au cours d’une de ces rencontres l’idéede créer une entreprise qui pourrait diffuser les logiciels libres et aider à leur installation. Bernard Fauque, économiste passionné d’informatique, co-fondateur duBxLug (groupe d’utilisateurs de Linux de Bruxelles) se lance alors dans l’aventure suivi par Raphaël Baudouin. Les deux compères se positionnent immédiatement àl’intersection du secteur de l’économie sociale et du mouvement Open-source et décrochent une bourse de consultance pour leur projet d’entreprise dans le cadre dudispositif « Alternative business » (partenariat Alter, Fondation Roi Baudouin, etc.). C’est Cedeges, agence-conseil du mouvement ouvrier chrétien liégeois, qui lesaccompagnera.
L’intérêt de l’économie sociale
En février 2000, l’entreprise se constitue en société anonyme, et se rebaptise Arafox, avant de se convertir, en juillet 2001, en société coopérativeà finalité sociale. Une solution qui doit permettre de faire entrer et sortir du capital sans problème, ce que le statut de société anonyme ne permettait pas. Lapart coopérative est fixée à 10 euros.
Depuis mai, la Sowecsom, Société wallonne d’économie sociale marchande, a également accepté de financer l’entreprise. Deux millions et demi ontété injecté en prise de participation dans la coopérative (soit 35% du Capital d’Arafox)2 et 7 millions et demi sous forme de prêts délivrables partranche, la première tranche s’élevant à 1,3 million. Les prêts sont conditionnés au respect du plan d’affaires prédéfini. « Nous avonsatteint 1,7 million de chiffre d’affaire pour 2000, nous étions alors en pleine phase de démarrage, confie Oliver Schneider. Pour 2001, l’objectif est fixé à17,5 millions. » L’accompagnement financier de la Sowecsom devrait ainsi s’étaler sur cinq ans, avec pour 2005, un objectif de 100 millions de chiffres d’affaires. Unaccompagnement qui ne semble pas vécu comme une contrainte par l’équipe d’Arafox « Nous avons effectivement une pression puisqu’il faut atteindre les objectifsfixés mais la Sowecsom nous laisse une petite marge de manœuvre. Il est possible de discuter. De plus, ils effectuent un suivi régulier de notre plan de gestion, de notre comptavia leur mandat dans notre conseil d’administration, cela nous oblige à être pointilleux et exigeant, ce qui n’est pas plus mal. Pour 2001, nous sommes déjàau-delà des espérances, ce qui est très positif mais qui a aussi un revers, il nous faut trouver aussi plus rapidement du préfinancement. » Côté Sowecsom,Michel Colpée se dit « séduit par le côté subversif du projet. Proposer une alternative à des géants comme Microsoft n’est pas banal.L’équipe est composée de gens à la pointe dans leur boulot et réellement militants. En général l’économie sociale hérite de ce queles gens ne veulent pas, ici, il s’agit réellement d’une innovation. Mon seul regret est ne pas pouvoir passer plus de temps à suivre la coopérative et les projets engénéral soutenus par la Sowecsom. Une situation qui devrait chang
er à terme puisque nous allons engager une personne supplémentaire. »
Le choix de l’économie sociale
« Si la facilité de flux de capitaux est une des raisons de notre passage en coopérative, d’ailleurs demandé par la Sowecsom, son choix repose aussi sur une philosophiepropre au milieu Open-source : on travaille collectivement, insiste Oliver Schneider. Le logiciel libre a en quelque sorte réinventé la coopération, il fait sortir les gens dechez eux grâce à Internet. » Mais Arafox ne s’arrête pas à la coopérative, c’est également une entreprise d’économie sociale quis’affirme en tant que tel et revendique sa filiation. « Nous adhérons aux principes de l’économie sociale tels que définis par le Conseil wallon del’économie sociale. Ces principes sont en discussion permanente au sein d’Arafox. Notre fonctionnement et notre organisation interne sont également fondés sur unecharte qui définit le niveau de qualité et de service au-delà de ce qui est traditionnellement proposé par le secteur informatique. » Parmi ces principes : le client doitpouvoir garder la maîtrise complète des logiciels qu’il fait développer, améliorer ou simplement installer par Arafox. D’où, un pôle formationfortement développé. Arafox participe également au déboguage des logiciels libres mis en œuvre et fait profiter la communauté de toutes lesaméliorations effectuées pour le compte de l’utilisateur.
L’équipe
Arafox dans sa forme actuelle est une entreprise de taille modeste mais en forte croissance. Son noyau dur est composé de compétences techniques qui ont été et sont encoreà la base de la structuration du milieu Open-source belge. Ce noyau, composé de sept temps plein, se complète par une série de techniciens qui se rapprochent petità petit d’Arafox et devraient rejoindre progressivement la nouvelle structure coopérative. Cette équipe technique est adossée à des compétencescommerciales et de gestion (en interne et parmi les actionnaires) et à une série de partenariats industriels.
Les compétences et les projets
L’objet social d’Arafox est à la fois simple et compliqué (surtout pour les non initiés) : il s’agit « d’intégrer des outils puissants et de lesmettre en valeur par son expertise interne et un engagement fort au sein de la communauté Open-source dans le but de fournir, d’installer et d’assurer la maintenance de solutionscommerciales de haute qualité basées sur l’Open-source. » En clair, Arafox s’occupe de conception, d’étude, de consultance, de développement,d’implémentation, d’administration et de maintenance-réseau, le tout, toujours basé sur l’Open-source. Parmi les projets déjàdéveloppés, citons la création d’un lieu d’échange sécurisé de fichiers informatiques (dépôt, transfert lecture, classement) entreles différentes administrations fédérales, la participation à un programme pluriannuel de soutien au développement de la société del’information (via les Services scientifiques fédéraux) qui consiste en un projet de création d’un portail web pour le secteur de l’économie sociale(voir l’édito d’AE n°103 sur Res-e-Net), l’installation d’une salle de formation informatique à ID-Tubize, etc. Parmi les propositions à court terme, citons unecollaboration avec l’agence spatiale européenne et l’ULB, l’informatisation de la 6e chambre correctionnelle du Burundi, l’informatisation des tribunaux populaires(Gacaca) au Rwanda via Avocats sans frontières, le développement de logiciels pédagogiques pour les écoles, de logiciels de gestion pour les asbl, les cabinetsmédicaux, etc.
Développer un réseau
Autre grand projet : l’offre Plume. « Suite aux contacts noués avec l’école de la Futaie à Watermael Boitsfort, Arafox a développé un prototype desolution assez original : Arafox Plume. Les écoles peuvent récupérer de vieux ordinateurs qui ne sont plus utilisés dans les entreprises et les combiner avec un serveurpuissant. » Arafox négocie ainsi actuellement avec le ministre Daerden la possibilité de généraliser ce projet à d’autres écoles dans le cadre du planCyber-écoles. Huit sites pilotes devraient bientôt voir le jour en Wallonie. « Nous avons voulu aussi à travers ce projet développer nos liens avec d’autresentreprises d’économie sociale. Pour la récupération des PC, nous faisons appel, par exemple à Euro-services à Charleroi. » Une idée qui nes’arrête pas à une collaboration ponctuelle, puisqu’à l’image du réseau français « E-toile » qui regroupe des entreprises d’économiesociale actives dans le domaine des hautes technologies, Arafox envisage elle-même membre la création d’un réseau similaire en Belgqiue baptisé « E-coop ». « C’estune volonté mais aussi une nécessité si nous voulons pouvoir décrocher de gros contrats et être concurrentiels par rapport à des entreprises qui travaillentdans le domaine de l’informatique propriétaire. »
S’inscrire dans des réseaux
Aidé par quelques gros projets dans le secteur public, Arafox, d’abord perçu comme un Ovni dans le cyberespace des nouvelles technologies, a bénéficiérapidement de l’appui de plusieurs ministres socialistes.
Notamment dans l’entourage du président Elio Di Rupo, on s’intéresse de près au rôle social et politique des nouvelles technologies (développement du site web du PS,propositions de loi sur l’Open source, programmes de recherche initiés par le ministre Picqué, espace NTIC de l’université d’été du PS fin août,etc.) Il n’est dès lors pas surprenant qu’Arafox ait attiré l’attention d’une partie du monde socialiste, qui entrevoit là une alternative heureuse à l’informatiquepropriétaire et qui semble de plus en plus s’intéresser au monde de Linux.
Mais Arafox n’aime pas cette étiquette et se défend d’un attachement quelconque à une sphère politique. « Nous avons été suivis par Syneco,côté chrétien, nous entretenons également de très bonnes relations avec la CSC et les Écolos. Si nous trouvons des relais au niveau politique, celaréside dans le fait que notre projet n’est pas qu’un projet économique. Mettre à disposition des logiciels gratuits, cela relève aussi du politique et dusocial, tant mieux si cela trouve un écho au niveau politique, cela nous permet sûrement de gagner plusieurs années qu’on aurait dû passer à convaincre laclientèle du bien fondé du système Linux. »
1 Arafox scrl, avenue Léon Champagne 2 à 1480 Tubize, tél. : 02 391 45 51, fax 02 391 45 42, e-mail : info@arafox.com, site : http://www.arafox.com
2 La part de la Sowecsom devrait être rachetée dR
17;ici dix ans. À terme, la Sowecsom ne devrait plus détenir que 14% du capital d’Arafox avec 55% sous forme deprêts délivrés en cinq ans à du 4,7%. Quatorze autres pour cent sont détenus par les partenaires initiaux et 17% devraient être détenus par de nouveauxcoopérateurs (Arafox espère trouver un million par an via de nouvelles souscriptions).
Archives
"Arafox : les réseaux comme facteurs de développement d'une entreprise d'économie sociale"
catherinem
10-09-2001
Alter Échos n° 104
catherinem
Pssstt, visiteur, visiteuse du site d'Alter Échos !
Nous sommes heureux que vous soyez si nombreux à nous suivre sur le web.
Nous avons fait le choix de mettre en accès gratuit une grande partie de nos contenus,
notamment ceux en lien avec le Covid-19, pour le partage, pour l'intérêt qu'ils représentent pour la collectivité,
et pour répondre à notre mission d'éducation permanente.
Mais produire une information critique de qualité a un coût. Soutenez-nous ! Abonnez-vous !
Et parlez-en autour de vous.
Profitez de notre offre découverte 19€ pour 3 mois (accès web aux contenus/archives en ligne + édition papier)
Sur le même sujet
-
Echos du crédit et de l'endettement
Les travailleurs sociaux, débordés par l’accompagnement administratif
-
Focales
CPVS: des victimes dans l’œil
du cyclone -
Edito
Rendez-vous dans dix ans?
-
L'image
Le Gang des vieux en colère
Les plus consultés
- «Derrière les adultes à la rue, il y a des enfants qui trinquent.»
- WhatsApp à l’école: qui a eu cette idée folle?
- Bouillon de lectures
- Communautés d’énergie,
menacées par les entreprises? - Occuper et gentrifier
- La culture au centre
- «Des étudiants s’acharnent alors que l’on sait qu’ils n’y arriveront pas»