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Manger sain quand on est pauvre ? Pas du gâteau !

Les maladies non transmissibles causées par la surnutrition font autant de victimes que la dénutrition1. L’OMS va jusqu’à parler d’une épidémie de l’obésité. Or l’obésité touche davantage les personnes en situation de précarité. Mais quand s’enchevêtrent alimentation et précarité, on s’attaque à une question aux contours plus complexes qu’il n’en a l’air.

14-09-2012 Alter Échos n° 344

Olivier De Schutter, rapporteur spécial de l’ONU pour le droit à l’alimentation, est sans équivoque : les maladies non transmissibles causées par la surnutrition font autant de victimes que la dénutrition1. L’OMS va jusqu’à parler d’une épidémie de l’obésité. Or l’obésité touche davantage les personnes en situation de précarité. Mais quand s’enchevêtrent alimentation et précarité, on s’attaque à une question aux contours plus complexes qu’il n’en a l’air.

L’obésité à toutes les sauces
Le lien entre alimentation et santé dans nos sociétés de surabondance n’est plus à démontrer : diabète, maladies cardiovasculaires, ostéoporose, arthrose et certains types de cancer sont influencés par les habitudes alimentaires. En Belgique, le rapport de l’Enquête Santé 20082 indique que presque la moitié de la population adulte est en surcharge pondérale, tandis que 14 % souffrent réellement d’obésité. 18 % des jeunes de 2 à 17 ans sont en surpoids.

Mais on oublie souvent que l’alimentation n’est pas le seul facteur explicatif de l’obésité. De nombreux éléments interviennent simultanément : génétique, sédentarité, alcoolisme, précarité et conditions de vie. « Aucun discours monodisciplinaire ne peut rendre compte d’un phénomène aussi complexe que l’obésité », écrivait en 2006 Axel Hoffman, médecin généraliste en maison médicale3. « Isoler l’obésité de son contexte socioculturel pour la réduire à un problème médical revient à se priver d’aspects essentiels de la problématique qu’elle soulève. »

Il existe en effet un lien fort entre obésité et statut social. L’obésité, autrefois signe d’aisance sociale, est devenue le reflet de la précarité. L’enquête Santé 2008 confirme que la fréquence de l’obésité et de certaines maladies liées à la nutrition est plus élevée chez les personnes socio-économiquement défavorisées. C’est le niveau de diplôme, et non le revenu, qui paraît significatif : le risque d’obésité est de 2,3 fois plus élevé chez les personnes les moins éduquées par rapport aux plus éduquées. Parmi les autres inégalités de santé les plus importantes : le diabète. En augmentation d’une manière générale, sa fréquence est trois fois plus élevée chez les personnes avec un faible niveau d’instruction que chez celles qui ont fait des études supérieures.

Dès lors, on peut se demander si l’angle d’attaque des grandes campagnes de prévention contre la malbouffe, basé sur des aspects nutritionnels, est réellement pertinent. « Ces campagnes courent à l’échec, écrivait Axel Hoffman (…). Elles postulent un mangeur libre de ses choix et rationnel dans ses décisions, alors que les études montrent que l’acte alimentaire n’est pas un acte individuel (il y a une individualisation des choix, mais ils sont socialement déterminés) et que les connaissances en la matière ne modifient pas nécessairement les habitudes. »

« Ces campagnes ont un impact limité sur la population, confirment Marjolaine Lonfils et Pierre Assenmaker, de l’asbl Cultures et Santé4. Manger cinq fruits et légumes par jour, consommer des produits laitiers, les gens connaissent tout cela très bien. Mais cela n’a pas d’effets sur les manières de s’alimenter. Il faut prendre la question de l’alimentation de manière plus globale. » Les manières de manger sont en effet influencées par de nombreux facteurs : ressources financières, aspects culturels, quartier où l’on vit, rythmes de vie, le fait de manger seul, le goût et le plaisir à manger, le logement et les conditions de stockage… Pour l’asbl d’éducation permanente et de promotion de la santé, l’angle nutritionnel est réducteur et normatif.

La récente campagne de prévention contre la malbouffe à destination des jeunes menée par la ministre de la Santé de la Fédération Wallonie-Bruxelles a d’ailleurs été fortement controversée. Le spot vidéo, se voulant humoristique et décalé, a été réalisé par Nabil Ben Yadil (réalisateur du film « Les Barons »). Deux jeunes côte à côte devant leur ordinateur. L’un, en surpoids, se nourrit d’aliments gras. Le second croque sa pomme et a une idée lumineuse : il dessine le logo de la marque Apple.  Voix off : « Aaah, si Jean-Claude avait mangé plus sainement, il aurait réinventé l’informatique et serait devenu milliardaire. Et surtout, il aurait trouvé une femme ! » Taxé de moralisateur et discriminant, le spot a rapidement été supprimé des sites web et a fait l’objet de trois plaintes au Centre pour l’égalité des chances et de lutte contre le racisme (CECLR). « La campagne, initiée sur la base d’un marché public, n’a pas encore fait l’objet d’une évaluation, nous dit Aurore Dierick, porte-parole du cabinet de la ministre5. Les craintes et les plaintes émises lors de la diffusion seront prises en considération, notamment en ce qui concerne les éventuels effets de stigmatisation. »

Prenant le contre-pied de cette campagne, l’asbl Question Santé6, en collaboration avec le CECLR, a lancé en juin la campagne « Voyons Large » (www.voyonslarge.be). Son but ? Lutter contre les discriminations à l’égard des personnes obèses. « Entre 2009 et 2012, le Centre a ouvert une trentaine de dossiers liés au poids. C’est peu au regard de la réalité », peut-on lire dans le communiqué de lancement. Ces dossiers concernent principalement le secteur de l’emploi mais aussi les biens et services (transports, loisirs, compagnies d’assurances, etc.). Question Santé reproche au discours ambiant d’être moralisateur et culpabilisant à l’égard des personnes obèses, considérées comme responsables de leur état.

Le surpoids et l’obésité ne sont d’ailleurs pas toujours liés à des problématiques médicales. Selon Question Santé, les problèmes de santé sont surtout présents à partir d’un IMC7 supérieur à 35. Et si les bénéfices d’un amaigrissement sont bien présents en cas d’obésité associée à une autre pathologie (arthrose, asthme, tension, etc.), il n’y a pas de preuve que l’amaigrissement diminue les risques de mortalité chez les personnes obèses en bonne santé, ni qu’il soit bénéfique aux patients en simple surpoids et en bonne santé.

L’obésité et le surpoids sont très souvent un problème d’apparence. Une apparence inconciliable avec les normes esthétiques en vigueur. La prévention de l’obésité reste primordiale, notamment chez les enfants et les adolescents. Mais certains auteurs soulignent que la réduction des discriminations liées au poids est tout aussi importante pour le bien-être des enfants. Une chose est sûre, l’obésité dérange. « Notre société crée des obèses mais ne les supporte pas », déclarait déjà il y a plus de 25 ans Jean Trémolières, médecin nutritionniste.

Le « mangeur-consommateur pauvre »
L’Enquête Santé 2008 révèle que les personnes issues des milieux les plus scolarisés consomment davantage de fruits et de poisson. Cela n’a pas changé au cours des dix dernières années. Pour Nicole Darmon, nutritionniste8, les contraintes budgétaires des ménages pèsent très lourd. « Avec un petit budget, explique-t-elle, il est logique de s’orienter vers les aliments qui donnent les calories les moins chères, comme les matières grasses ajoutées, les féculents, les produits gras sucrés et salés. Les aliments riches en énergie sont des sources peu chères de calories. Malheureusement, ces aliments ont d’autres atouts : ils sont pratiques d’emploi, faciles à transporter et à stocker et quand les contraintes de budget sont fortes, il est malheureusement logique de se tourner vers eux. »

Ce que confirme Christine César, socio-anthropologue et consultante sur l’alimentation9 « Contrairement à ce qui est publié dans la presse mais aussi dans la littérature professionnelle, les populations paupérisées ne commettent pas d’erreurs nutritionnelles en choisissant des produits gras et sucrés pour leur alimentation. Ils choisissent ces produits parce que ces substances « calent » car elles ont effectivement un rendement énergétique plus important par rapport au prix investi. »

Selon plusieurs études, ce sont les critères économiques et du goût qui sont les principaux moteurs dans les choix alimentaires. Il faudrait au minimum entre 3,5 et 5 euros par personne par jour pour manger équilibré. Soit un budget de 420 à 600 euros par mois pour une famille de quatre personnes (le seuil de pauvreté d’un ménage de deux adultes et deux enfants est d’environ 2000 euros par mois).
Il va sans dire que la publicité exerce une pression considérable sur les consommateurs. Les populations précarisées y étant plus sensibles. « Comment décoder une publicité, comprendre l’étiquette d’un produit, tout ce qui est mis en place dans un supermarché pour pousser les gens à acheter ? Il y a une réelle méconnaissance des produits, de leur fabrication et de leur contenance, expliquent Marjolaine Lonfils et Pierre Assenmaker. C’est important d’éveiller l’intérêt de tous par rapport à cela, de développer l’esprit critique. Cela permet de réfléchir à la société dans laquelle on vit, puis de voir ce qu’on met en place comme stratégie au niveau individuel, en tant qu’acheteur. Et de conclure : « Manger est une stratégie complexe, qui fait appel à des compétences, des connaissances. Qui nécessite un contexte favorable, une envie de cuisiner et de l’argent. »  

Cultures et Santé sensibilise les professionnels de l’alphabétisation, de l’insertion ou encore des maisons médicales à la problématique. Il s’agit de les faire réfléchir à leurs discours et priorités de professionnels, qui sont parfois aux antipodes de ceux des publics. « Quand on travaille cette question, il faut partir des comportements, désirs et priorités des publics. Voir ce qui est préoccupant pour les gens : ne pas savoir dire non à ses enfants, les problèmes de stockage, il faut travailler le plaisir à cuisiner via des ateliers de cuisine, développer l’esprit critique via des visites de supermarché… ». L’objectif final à poursuivre étant le bien-être.

Eradiquer la malbouffe via l’offre
On peut aussi prendre la question  par l’autre bout : c’est en modifiant l’offre qu’on pourra éradiquer la malbouffe. Olivier De Schutter appelle ni plus ni moins à une refonte complète du paysage de l’agroalimentaire. Pour lui, nos systèmes alimentaires rendent les gens malades : « L’urbanisation, la supermarchéisation et la propagation mondiale des modes de vie modernes ont bouleversé les habitudes alimentaires traditionnelles en privilégiant les aliments transformés et entraînant un désastre en termes de santé publique ». La production, la transformation et la distribution doivent être métamorphosées. Parmi les mesures préconisées : la taxation des produits préjudiciables à la santé, la réglementation des aliments riches en graisses saturées, en sel et en sucre, le frein à la publicité pour la malbouffe, la révision des subventions agricoles et le soutien à la production alimentaire locale.

Encouragées par l’OMS depuis 2003, des politiques taxatoires de la malbouffe ont été mises en place dans différents Etats américains et européens (France, Danemark, Finlande, Hongrie). En Belgique, la sénatrice Christine Defraigne (MR) plaide pour une exonération de TVA sur les fruits et légumes afin d’encourager leur consommation (proposition de résolution déposée en 2009 avec Jacques Brotchi). Elle est également favorable à une hausse de la TVA (de 6 à 12 %) sur les produits trop sucrés, trop gras ou salés.

En mars 2012, la ministre de l’Enseignement obligatoire de la Fédération Wallonie-Bruxelles a quant à elle annoncé qu’elle comptait supprimer la malbouffe dans les écoles : d’ici à 2015, plus de sodas et de junkfood dans les distributeurs automatiques. Fin 2004, la même annonce avait été faite par Marie Arena et avait provoqué un tollé dans le secteur. Car ces distributeurs sont de réelles sources de financement pour les écoles. Sept ans après, Marie-Dominique Simonet remet le couvert. Mais en prônant une interdiction graduelle et en veillant à proposer des alternatives aux écoles. Un projet auquel on reproche d’être trop vague. Le cabinet, qui ne souhaite pas communiquer actuellement sur la question, est en train de travailler avec des experts et le terrain pour le préciser.

Autre initiative à suivre, menée en concertation par la ministre fédérale de la Santé publique et les ministres de la Santé, de l’Enseignement obligatoire et du Développement durable de la Fédération Wallonie-Bruxelles : un cahier spécial des charges type doit baliser les prestations de toutes les structures qui servent des repas chauds aux enfants en Wallonie et à Bruxelles. Il précise les exigences sur les plans de l’équilibre alimentaire et du respect d’une alimentation durable (fruits et légumes de saison, circuits courts, etc.) et doit être accompagné d’actions de sensibilisation et de formation à destination des pouvoirs organisateurs et du personnel de cuisine. L’opération sera lancée fin octobre.

Marinette Mormont

Marinette Mormont

Journaliste (social, santé, logement)

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