SAULE, pour Symbiose Agriculture urbaine Logement Écosystème, est un projet de cocréation (financé par Innoviris) réunissant des citoyens, des professionnels de l’agriculture urbaine, des chercheurs, des spécialistes de l’information sociale et des urbanistes. Le projet s’est centré sur la Ferme du Chant des Cailles, un site d’agriculture urbaine, et sur le quartier des Archiducs – Logis-Floréal à Watermael-Boitsfort. Il a été imaginé à la suite de l’annonce de constructions menaçant le site d’agriculture urbaine. Pendant trois ans, entre 2017 et 2020, l’objectif de cette recherche a été de réfléchir aux liens possibles entre les projets d’agriculture et de nouveaux logements en ville. Rencontre avec Anne Dirix, une membre active de la Ferme du Chant des Cailles.
Alter Échos: SAULE est une recherche de trois ans qui a pour objectif d’interroger les possibles liens entre agriculture urbaine, logement et environnement. La particularité de ce projet est d’avoir été mené en cocréation avec des citoyens, des experts et des acteurs publics. Quel bilan tirez-vous de ce projet?
Anne Dirix: À la Ferme du Chant des Cailles, les positions étaient très duelles avant l’étude SAULE. On était pour ou contre la construction de logements sur le site. Il n’y avait pas de marge moyenne, pas de possibilité d’entente entre ceux qui étaient pour et ceux qui ne l’étaient pas. SAULE a dès lors permis de sortir de cette dualité, en étendant la question même de la construction de logements comme la question de sa compatibilité avec l’agriculture urbaine et l’environnement au-delà du champ, mais surtout à l’échelle du quartier. À partir du moment où on a élargi le périmètre de la réflexion, automatiquement on a rencontré d’autres gens, d’autres idées et cela a permis d’élargir le débat. Pendant ces trois années, SAULE a expérimenté trois thématiques pour renforcer l’interaction de la ferme avec le quartier et ses habitants, à savoir la cohésion sociale et l’emploi autour de l’agriculture et de l’alimentation, les constructions et la production alimentaire, le maillage nourricier à l’échelle du quartier. Sans fournir une réponse définitive, le but de SAULE a surtout été de renforcer la capacité des citoyens sur ces problématiques.
AÉ: On découvre qu’à travers un projet comme SAULE, c’est aussi la rencontre de deux réalités, de deux «mondes» qui avaient peu de choses en commun au fond, entre les habitants des logements sociaux du Logis-Floréal, et de l’autre, les membres de la Ferme. C’est surtout l’enjeu de la cohésion sociale qui apparaît fondamental au final dans cette réflexion.
AD: C’est assez intéressant de constater que les personnes plus précarisées du quartier qui, voilà encore trois, quatre ans, restaient indifférentes à un projet comme celui de la Ferme du Chant des Cailles, ont aujourd’hui un discours tout à fait différent, plus ouvert et positif. Je pense que c’est grâce aux enquêtes et aux ateliers réalisés avec SAULE, autour de l’alimentation… SAULE a en effet permis de faire se rencontrer des communautés différentes, en obligeant la Ferme à s’ouvrir au quartier, à commencer par les habitants du Logis-Floréal. Je pense que les habitants des logements sociaux ont évité pendant longtemps de découvrir le projet d’agriculture urbaine écologique et participatif parce qu’ils le considéraient comme réservé aux bobos. Si on regarde le projet de la Ferme du Chant des Cailles en lui-même, il est certain que, intellectuellement et financièrement, c’est un projet qui n’est pas accessible à tous. C’est sur cette accessibilité que la Ferme veut travailler désormais. Lors des premières années de la Ferme, tout le monde a travaillé pour faire émerger le projet, un projet innovant de surcroît autour de la transition, de l’agriculture urbaine, en faisant naître une alternative en alimentation en ville. Une fois que le projet a été installé, il y a toujours eu ce souci d’aller à la rencontre des habitants du quartier. Mais c’est plus facile à dire qu’à faire… Ces dernières années, la Ferme a participé aux activités du quartier, en lien avec le projet de cohésion sociale, ce qui a permis à chacun de se connaître dans sa réalité respective. En travaillant à l’animation du quartier, on est arrivé à faire se rencontrer des milieux très différents, et maintenant, après quelques années, on se rend compte que des choses s’installent de part et d’autre, et de façon positive, à la grande satisfaction de tout le monde. Par exemple, on est arrivé à réunir les huit associations qui œuvrent au sein du Logis à travers une réunion mensuelle, et elles se sont réunies aussi pour présenter un projet de budget participatif à l’échelle de la commune. C’est un tour de force, et au bout de quatre ans, même si c’est lent, on est arrivé à établir une relation de confiance. Mais au-delà de cette expérience locale, arriver à conjuguer transition écologique et cohésion est un réel défi à l’échelle de la région bruxelloise.
AÉ: Un biais pour favoriser cette cohésion sociale, c’est la jeunesse. La Ferme accueille d’ailleurs de nombreux élèves des écoles du quartier pour les sensibiliser à l’agriculture urbaine et au mouvement de la transition.
AD: Tout à fait. La ferme a mis en place un groupe pédagogique qui permet à des classes de maternelle de venir chaque semaine cultiver, s’occuper de la terre, découvrir les animaux… Il est certain qu’une telle sensibilisation permet aux enfants, une fois rentrés chez eux, de sensibiliser leur famille. Ils viennent alors le week-end à la ferme avec leurs parents, ils viennent leur montrer ce qu’ils ont appris pendant la semaine. C’est vrai que c’est un des vecteurs importants de rencontres et de liens.
AÉ: Au-delà de la cohésion sociale, l’enjeu est aussi de prouver qu’allier la nature et la ville est essentiel pour reconnecter les citoyens à leur alimentation.
AD: C’est un enjeu crucial à notre époque, avec toutes les questions climatiques qui se posent. Si le politique continue d’investir tous les terrains verts pour y construire des tours, on va droit dans le mur. La politique du logement en région bruxelloise est à cet égard une réelle catastrophe: la priorité est donnée aux constructions, donc aux promoteurs, et pas à la rénovation, alors que si on rénovait les logements vides, on ne devrait pas en construire de nouveaux. Voyez aussi les logements sociaux: on est au XXIe siècle, et on continue de les construire comme si on était au XIXe siècle, c’est-à-dire des tours où on empile les gens les uns à côté des autres, en les stigmatisant de surcroît en constituant des ghettos. Le but de SAULE était de montrer qu’il y a moyen de faire autrement, qu’il faut avoir une autre conception de la ville, une autre conception de la société. Je pense d’ailleurs qu’un projet comme celui-là pourrait s’appliquer à d’autres quartiers bruxellois. Les autorités devraient au final considérer un terrain comme un bien commun.
Film et infos sur http://www.saule-webdoc.be/
Podcast autour du projet: open.spotify.com/saule