L’outil d’insertion professionnelle (ISP) par excellence pour les CPAS est l’article 60 § 7 et, dans une moindre mesure, l’article 61 (cf. encadré). Si ces mesures sontrégulièrement décriées pour, notamment, la précarité d’emploi qu’elles entrainent et la subsidiation publique qui est faite aux entreprisesprivées et asbl commerciales, on évoque nettement moins souvent un autre débat : la disparité énorme qui existe entre CPAS quant à la tarification de la miseà disposition de ces « article 60 ». Petits coups de sonde à Bruxelles et en Wallonie.
Avant toute chose, rappelons que dans le cadre de l’article 60 § 7, c’est le CPAS qui est l’employeur et qui verse le salaire et les charges. Le cas échéant,l’utilisateur final paie au CPAS une contribution par tête de pipe et par mois qui va de la gratuité totale à parfois plus de 500 €/mois. Ainsi pour le CPAS deSchaerbeek1,
• si vous êtes une asbl schaerbeekoise avec un but socioculturel qui désirez employer une personne sous contrat article 60, il vous en coûtera 200 €/mois ;
• pour une asbl sans but socioculturel : 350 €/mois ;
•pour une asbl non-schaerbeekoise : 500 €/mois et
• pour une entreprise privée : 750 €/mois + régularisation en fin de contrat (pécule de sortie à charge du partenaire du CPAS).
La « mise au travail » est rendue possible pour les CPAS entre autres par le biais des articles 60 § 7 et 61 de la loi organique des CPAS. Les « articles 60 et 61 »sont proposés par les CPAS aux personnes qui, par le biais de ces « emplois », peuvent atteindre le nombre de jours de travail requis pour obtenir le bénéfice completde certaines allocations sociales (spécialement les allocations de chômage) ou aux personnes qui veulent acquérir une expérience professionnelle (avec une duréelimitée à la durée nécessaire pour l’obtention du bénéfice complet des allocations sociales) ; les contrats sont donc toujours à duréedéterminée. La personne engagée peut travailler au sein du CPAS ou être mise à disposition d’un utilisateur extérieur (commune, association, initiativesd’économie sociale, etc.), le CPAS restant l’employeur. L’article 61 vise l’engagement d’une personne aidée par un CPAS dans une entreprise privéeou une asbl qui a conclu une convention avec le CPAS ; dans ce cas, c’est l’entreprise ou l’asbl qui est directement l’employeur.
Dans le cas de l’article 60, c’est le CPAS qui reste l’employeur, c’est-à-dire que le contrat de travail est passé entre le bénéficiaire de lamesure et le CPAS ; le salaire est donc payé par le CPAS. Dans les cas de mise à disposition, le CPAS passera une convention avec le service concerné et pourraéventuellement demander une rétribution pour cette main-d’œuvre. Le CPAS reçoit une subvention comme employeur de 930 euros par article 60 (équivalent aumontant du RIS pour un personne avec famille à charge) par article 60 pour un temps plein, avec majoration de 25 % si la personne engagée a moins de 25 ans. En ce qui concerne la miseà disposition d’art. 60 pour une entreprise privée, l’entreprise privée doit au moins verser au CPAS la différence entre la rémunération brute etle montant de la subvention (il existe des dispositions particulières pour la mise à disposition d’initiatives d’économie sociale). Il existe aussi une prime detutorat de 250 euros et une prime de la Région wallonne.
Au CPAS d’Ixelles2, qui compte quelque 200 « article 60 » sous contrat et 60 utilisateurs différents en-dehors du CPAS ou de la commune, les entreprisesprivées paient le prix coûtant, soit les charges restant après déduction du subside fédéral. La mise à disposition de la commune est, elle, gratuite,la commune subsidiant par ailleurs le CPAS, justifie-t-on. Pour les asbl, la règle est fixée à 500 €/mois mais il existe des exceptions. En effet, selon la situationfinancière de l’association, le CPAS d’Ixelles accorde ou pas des réductions, voire la gratuité. Il exige alors en échange quelques services tels que la miseà disposition gratuite de salles pour le CPAS, l’accès gratuit aux activités de l’asbl pour les usagers ou le personnel du CPAS, etc. « Nous refusons certainesdemandes de pourvoi d’emplois en article 60 pour des entreprises ou des asbl où les expériences précédentes n’ont pas été concluantes, oùil y a eu des abus manifestes, explique le secrétaire du CPAS d’Ixelles, Jacques Rucquoi. C’est également le cas si les contrôles que nous effectuons révèlentdes conditions de travail non décentes. Quant aux « article 61 », aucune entreprise n’en veut, nous ne mettons à disposition des entreprises privées que des « article 60 »,l’avantage financier étant pour l’entreprise plus important et la gestion administrative prise en charge par le CPAS. »
En 2006, date de la dernière radioscopie des politiques d’ISP dans les CPAS wallons3, la mise à disposition des « article 60 » qui concernait 4 175personnes se répartissait comme suit : 39 % dans les CPAS, 16 % dans les asbl, 16 % dans les communes, 17 % dans l’économie sociale, 7 % dans les entreprises privées et 5 %qualifiées d’« autres ». En ce qui concerne l’article 61, ils étaient 450 à bénéficier de la mesure en Wallonie, un chiffre en constanteaugmentation ces dernières années.
Au CPAS de Soignies4, il en coûte 350 euros par mois pour la mise à disposition des asbl et des communes, prix qui peut être négocié sil’association dispose de peu de moyens. « La gratuité reste exceptionnelle, précise Dominique Baré, responsable du Cric, le service insertion socioprofessionnelle duCPAS. Nous l’avons par exemple pratiquée dans le cadre d’une mise à disposition d’un article 60 au centre culturel, car il servait de relais entre le CPAS et le centreculturel pour la mesure article 27. Nous ne sommes clairement pas favorables à la gratuité. L’objectif, avec cette mesure d’activation, n’est pas de donner del’emploi gratuit à une association. L’article 60, c’est avant tout de la formation professionnelle : un tuteur avec un accompagnement est nécessaire, il doits’agir d’un emploi surnuméraire et non d’un emploi qui en remplace un autre qui coûtait plus cher à l’asbl… » Une position qui tranchesingulièrement avec la politique appliquée sur le terrain par de nombreux CPAS que nous avons contactés, où souvent les tâ
ches effectuées constituent desbesoins permanents, que ce soit dans le CPAS même, à la commune ou dans les asbl. »
Quant à la mise à disposition des « article 60 » pour le privé, au CPAS de Soignies, on est également très clair : « nous n’offrons pourle privé commercial que des « article 61 » qui responsabilisent beaucoup plus les entreprises qui sont alors elles-mêmes employeurs. »
Au CPAS de Namur5, le tarif est de 300 euros par article 60 pour la mise à disposition aux associations. La gratuité pour les associations restant une exception. Et, iciaussi, l’exception dépend de la situation financière de l’association… « Il est clair que les tarifications pour le moins disparates pratiquées dans lesdifférents CPAS, installent une concurrence entre eux qui n’est pas saine. Il se développe un véritable marché des « article 60 » avec une pression à la baissesur la tarification, témoigne Olivier Hissette, chef de cabinet de Philippe Defeyt, président du CPAS de Namur : vous me proposez un article 60 à autant mais au CPASd’à côté, je peux en avoir un gratuitement ou 100 euros moins cher… C’est aussi ça, la réalité. »
Disparité et concurrence
Interrogée sur ce manque d’harmonisation dans la tarification, la Fédération des CPAS wallons7 répond qu’en la matière, l’autonomiedes CPAS est absolue, « il y a bien eu des tentatives d’uniformisation, on en a discuté notamment dans la commission ISP de la Fédération, explique Ricardo Cherenti,chef du service « mise à l’emploi et mesures d’ISP », mais on touche là à la sacro-sainte autonomie des CPAS. Et puis comment harmoniser : gratuité partout,tarification généralisée ? Ceux qui pratiquent la gratuité vont s’y opposer et inversément. Et puis, où met-on le curseur ? On ne fait pas payer lesRestos du cœur mais bien une asbl culturelle, or, elle peut aussi être incluse dans la politique sociale de la commune ; c’est difficile de trancher… »
L’application de barèmes différents est également source de tensions entre CPAS et partenaires associatifs qui doivent parfois jongler avec des « article 60» issus de différents CPAS et pour lesquels le salaire n’est pas toujours identique pour une même fonction. Certains se voient, pour ne citer qu’un exemple, attribuerdes chèques repas alors que d’autres pas. De plus, dans les CPAS, il existe souvent une différence de statut avec les autres agents : pas de prime de fin d’année etune rémunération qui est dans certains cas équivalente au salaire minimum garanti quelle que soit la qualification des personnes alors que, dans d’autres cas plusfréquents, on applique le barème de la fonction publique. Par ailleurs, dans certains centres, la feuille de congés des « article 60 » en contient moins que celle desautres travailleurs.
Des situations qui ont conduit le Collectif solidarité contre l’exclusion8 dans son mémorandum 2006 pour l’amélioration de l’organisation des CPASet de l’aide sociale, à demander que :
• les travailleurs « article 60 » aient la garantie de bénéficier de la même rémunération que celle de tout autre travailleur dans la mêmefonction ;
• soient supprimées les possibilités d’activation des allocations au bénéfice d’une entreprise privée et que celles au bénéficed’asbl soient strictement limitées aux asbl ne fournissant pas de services commerciaux.
Une disposition qui impliquerait une modification importante des « article 60 » et une suppression des « article 61 ». « En outre, ajoutait le Collectif, il doitêtre mis fin à la politique de précarisation de l’emploi, dans les CPAS même, par l’engagement d’article 60 dans les emplois prévus au cadre. Lastabilité et la statutarisation du personnel sont un gage de son professionnalisme, dont les usagers sont les premiers bénéficiaires. »
D’aucuns dénoncent également les faibles moyens qui poussent l’associatif à, fréquemment, avoir recours à ce type de partenariat avec les CPAS. Ilest d’ailleurs assez piquant de voir certaines associations qui dénonçaient la contractualisation de l’aide sociale prévue par la loi du 26 mai 2002 concernant ledroit à l’intégration sociale (dite « loi Vande Lanotte ») faire amplement usage de la mesure article 60. Parmi les autres critiques relevées, citons le manquede transparence sur l’attribution de ces mises à disposition qui peut conduire, dans le chef de certains CPAS, à une gestion purement clientéliste : pourquoi certaines asblen bénéficient-elles et pas d’autres ? comment les allocataires bénéficiaires de la mesure sont- ils sélectionnés ?
Article 60 § 7 versus article 61
Du côté de la Fédération des CPAS wallons, on dit ne pas avoir d’échos de ce genre de difficultés et on évoque plutôt lesrésultats encourageants en matière d’activation des CPAS. Et de comparer la moyenne des taux d’activation entre l’Onem qui serait de seulement 4,7 % contre 12,8 % pourles CPAS9. La Fédération cite ainsi les +/- 40 % des personnes activées via « l’article » qui seraient à l’emploi un an après lafin de l’activation [NDLR : le type d’emploi n’est, ici, pas spécifié], un taux qui avoisinerait les 63 % pour les article 61. Une insertion plus durable, donc, pourl’article 61 qui pousse la Fédération à encourager son utilisation plutôt que la mise à disposition de l’article 60 pour les entreprisesprivées.
« Dans le cas de l’article 60, c’est le CPAS qui est l’employeur, ça ne pousse pas les entreprises à prendre leurs responsabilités vis-à-vis dela personne engagée, argue Ricardo Cherenti. La personne « article 60 » est considérée comme un stagiaire. Au terme de son contrat, bien souvent, l’entreprise ne l’engagepas, elle n’a pas appris à gérer administrativement ce travailleur en son sein. Et que se passe-t-il quand le patron met fin à la convention de manièreprématurée à la suite d’une faillite ou d’un brusque arrêt d’activité ? Le CPAS se retrouve avec une personne pour laquelle il sera trèsdifficile de trouver un « utilisateur » de remplacement dans des délais raisonnables. Il y a aussi un nombre croissant de conflits et de procès lors des mises à disposition des »article 60″, ce qui n’est pas le cas avec les « article 61 ». De nombreux abus ont en effet été dénoncés, on a même connu une entreprise privée quiutilisait quelque soixante « article 60 », ce n’est pas normal. Nous préconisons donc l’utilisation de l’article 61 qui supprime toute différenced’ordre social et salarial au sein de l
’entreprise et serions favorables à la suppression de la mise à disposition de l’article 60 pour le privé. Mais certainsCPAS s’y opposent et il nous faut un consensus pour avancer… » Autre désavantage de cette suppression pour le CPAS, en termes financiers : la perte de la subventionfédérale équivalente au revenu d’intégration le plus élevé, ainsi que celle de la possibilité de subside FSE. Les CPAS peuventgénérer des recettes avec les « article 60 », pas avec les « article 61 ».
À noter qu’actuellement, des discussions sont en cours avec le SPP Intégration sociale sur la facturation aux entreprises privées des « article 60 ».L’administration propose un forfait de 600 euros partout, mais les trois fédérations de CPAS du pays ne sont pas favorables à cette uniformisation. Si on devaitnéanmoins aller dans ce sens, les fédérations de CPAS plaident alors pour un forfait aux alentours de 1 100 euros, ce qui, d’après elles, correspondrait au coûtréel pour un CPAS d’un « article 60 ». Les fédérations demandent dans la foulée à Marie Arena, ministre de l’Intégration sociale, derevaloriser la mesure article 61.
Reste que pour convaincre les CPAS de favoriser les « article 61 » pour les entreprises, il y a du pain sur la planche. En Région flamande et en Région bruxelloise, ilsne sont quasi pas utilisés : 48 en 2007 pour la Flandre et 46 pour la RB10. La Région wallonne est la plus grande utilisatrice : 85 % des « article 61 », ce quine représentait malgré tout que 560 personnes en 2007. Et un peu plus de 32 % de ces « article 61 » sont utilisés uniquement au CPAS de Liège (184 en 2007), undes plus gros de Wallonie, mais surtout celui dont le président, Claude Emonts, n’est autre que le président de la Fédération des CPAS wallons…
1. CPAS de Schaerbeek :
– adresse : rue Vifquin, 2 à 1030 Schaerbeek
– tél. : 02 247 33 32.
2. CPAS d’Ixelles, contact : Jacques Rucquoi, secrétaire du CPAS :
– adresse : chaussée de Boondael, 92 à 1050 Bruxelles
– tél. : 02 641 54 01
– courriel : jacques.rucquoi@publilink.be
3. La radioscopie est téléchargeable à l’adresse : http://www.uvcw.be/espaces/cpas/174.cfm
À noter que la Fédération des CPAS devrait, d’ici quelques semaines, sortir sa radioscopie 2008 (le rythme de publication étant bisannuel).
4. CPAS de Soignies, Cric (Centre de ressources individuelles et collectives) :
– adresse : rue Grégoire Wincqz, 97 A à 7060 Soignies
– tél. : 067 34 81 58
– contact : Dominique Baré, responsable du Cric, service ISP du CPAS.
5. CPAS de Namur :
– adresse : rue de Dave, 165 à 5100 Jambes
– tél. : 081 33 70 11
– courriel : info@cpasnamur.be
– site : www.cpasnamur.be
6. CPAS d’Amay :
– adresse :chaussée Freddy Terwagne, 76 à 4540 Amay – tél. : 085 31 03 30 – courriel : secretariat-general@publilink.be
7. Fédération des CPAS de l’UVCW, rue de l’Étoile, 14 à 5000 Namur
– tél. : 081 24 06 51
– courriel : ricardo.cherenti@uvcw.be
– site : www.uvcw.be/espaces/cpas/
8. CSCE, rue Philomène, 43 à 1030 Schaerbeek
– tél. : 02 218 09 90
– courriel : info@asbl-csce.be
Le mémorandum est téléchargeable à l’adresse : http://www.asbl-csce.be/index.php?option=com_content&task=view&id=9&Itemid=11
9. Courrier du 3 juillet 2008 sur le maintien au Fédéral des dispositifs d’activation des CPAS, adressé à Didier Reynders, Marie Arena, Jean-Marc Delizée etJulien Van Gertsom.
10. Chiffres du SPP Intégration sociale.