Alter Échosr
Regard critique · Justice sociale

AS versus Sûreté de l’Etat

Comment les assistants sociaux font-ils face aux pouvoirs accrus de la Sûreté de l’Etat ?

17-02-2012 Alter Échos n° 332

La Sûreté de l’Etat a des pouvoirs renforcés en matière de recueil de données. Les travailleurs sociaux des services publics sont dans l’obligation de transmettre certains renseignements. Quelle attitude adoptent-ils ?

« On demande aux assistants sociaux d’être assistants de la Sûreté de l’Etat, c’est très problématique », clame Catherine Bosquet présidente du Comité de vigilance en travail social1. Mais les travailleurs sociaux préparent leur riposte. En ce début d’année 2012, ils sont invités par le comité de vigilance à suivre des sessions de formation intitulées : « Entre secret professionnel et contrôle, une éthique pour éclairer les missions du travail social. »

Dans leur viseur : la loi du 4 février 2010 relative au recueil de données par les services de renseignement et de sécurité. Avec cette loi, les employés du service public – en ce compris les travailleurs sociaux des CPAS – sont encouragés à transmettre d’initiative des données relatives à leurs bénéficiaires susceptibles d’intéresser la Sûreté de l’Etat. Mais surtout, lorsque la Sûreté de l’Etat requiert des informations, les fonctionnaires sont dans l’obligation de les transmettre.

Quelles informations intéressent tant les services de renseignement ? Pour Catherine Bosquet, faisant référence à une journée d’étude organisée par la Sûreté de l’Etat, « les exemples qui étaient donnés visaient une communauté précise. C’est inquiétant. Si quelqu’un devient “barbu” ou se met à porter le foulard par exemple. » Une vision que nie la Sûreté de l’Etat, dont les services ont accepté de répondre par écrit à nos questions : « Les agents des services publics peuvent contacter la Sûreté de l’Etat lorsqu’un changement de comportement d’un usager a été constaté : changement d’apparence vestimentaire, changement de discours, etc. Cela permet de constater dès le début le possible processus de radicalisation d’un individu, qu’il s’agisse d’un radicalisme religieux ou idéologique. Lors de la journée d’études, plusieurs exemples ont été cités dont un, en effet, sur la radicalisation religieuse liée à l’extrémisme islamique. Mais un autre exemple concernait la radicalisation idéologique, à savoir l’extrême droite. » Cette précision étant faite, la loi reste sujette à critiques. Notamment de la Ligue des droits de l’Homme. Pour John Pitsey, juriste au sein de la Ligue, « la loi permet de s’ingérer dans la vie privée d’individus alors que la menace qu’ils représentent n’est pas avérée. » Il dénonce au passage le flou dans les définitions : « Les activités de renseignement peuvent toucher des groupes qui sont dans un processus de radicalisation. Mais qu’est-ce que c’est exactement ? »

Préserver le secret professionnel

Le gros enjeu pour les travailleurs sociaux est celui du secret professionnel. Il leur est garanti par le code pénal en son article 458. Mais cette loi prévoit d’y déroger. C’est ce qu’expliquent les services de la Sûreté de l’Etat : « L’obligation de silence des fonctionnaires et agents des services publics ne s’applique pas dans leurs relations avec un membre des services de renseignement. »

Catherine Bosquet n’est pas exactement de cet avis. Certes, elle reconnaît que, dans la loi de 2010, trois professions sont explicitement mentionnées comme pouvant se prévaloir d’un secret professionnel protégé face aux demandes de la sûreté de l’Etat : les journalistes, avocats et médecins. Mais selon elle, « la loi reste floue, car elle ne dit pas clairement qu’on peut déroger au secret professionnel des travailleurs sociaux ». John Pitsey, lui, est plus dubitatif quant à cette interprétation : « Malheureusement, le cadre de la loi va contre l’interprétation des travailleurs sociaux. Car lorsqu’on précise les professions dont le secret professionnel est protégé, il devient compliqué pour les AS de dire qu’ils sont concernés par ces exceptions. »

Alors que faire ? « S’abstenir de communiquer des informations à la Sûreté de l’Etat ». C’est en substance la position de Catherine Bosquet qui s’appuie sur « l’absence de sanctions prévues dans la loi ». La Sûreté de l’Etat confirme : « Aucune sanction n’est prévue dans la loi en cas de refus de transmettre les informations. Dès lors, il apparaît logique qu’une discussion se tienne afin de voir comment les deux parties peuvent s’entendre. » « Mais attention, nous avertit John Pitsey, il n’est pas interdit de penser que des motifs de sanction pourraient être trouvés dans d’autres textes, dans le Code pénal par exemple. Car finalement, il y a des questions d’interprétation de la loi, mais de manière générale, il faut changer cette loi. »

1. Comité de vigilance en travail social :
– adresse : rue du Boulet, 22 à 1000 Bruxelles
– tél. : 02 346 85 87
– site : http://www.comitedevigilance.be
2. Sûreté de l’Etat :
– adresse : bd Albert II, 6 à 1000 Bruxelles
– tél. : 02 205 62 11
– courriel : info@vsse.be

Cédric Vallet

Cédric Vallet

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