Le secteur wallon des services d’accompagnement pour personnes handicapées (SAPH) est à la veille de l’ouverture de la discussion d’une révision du décret quil’organise. Le point sur les enjeux des dernières années, avec Luc Gauthy, président de l’Asah, l’Association des services d’accompagnement et d’action en milieu ouvertpour personnes handicapées.1
Alter Échos – Les SAPH ont leur décret depuis 1996. Comment les choses ont-elles évolué en six ans?
Luc Gauthy – En fait, on sort à peine de la Préhistoire. Avant le décret, les services étaient soutenus par des conventions et par l’octroi de postessubventionnés par les PRC. On avait donc des grandes disparités dans les moyens dont disposaient les services. Puis lors de la création de l’Awiph, on a tout remis a plat. Ledécret a été voté, et tous les services ont depuis vu leurs moyens augmenter, surtout depuis 99. Mais la répartition des subsides se fait toujours en fonction desenveloppes que chaque service recevait avant le décret. On n’est donc pas sortis d’une situation dictée par le fait du prince : à volume d’activité égal, les SAPHont de 3,5 à 8 millions de francs de subsides… Actuellement, le ministre Detienne met le problème à l’ordre du jour et nous le rencontrons en mai. Il veut préparer undécret pour tous les services aux handicapés en milieu ouvert, c’est-à-dire les services d’aide précoce, les nouveaux services d’aide à l’intégration, lesservices de placement familial, et les SAPH. On va donc de nouveau passer par une remise à plat.
AE – Le secteur s’est aussi ces derniers mois lancé dans un grand remue-méninges.
LG – Depuis fin 2000, le ministre Detienne a financé notre demande de nous lancer dans une recherche-action de deux ans. Elle a été menée avec l’Université deLiège et l’asbl RTA, et les résultats en ont été présentés au secteur le 1er mars. Ils sont depuis disponibles sur notre site Web http://www.asah.be (ou provisoirement http://www.rta.be/asah). Cela a permis de décrire l’ensemble des pratiques, mais aussi derevisiter la philosophie de l’accompagnement et de nous interroger sur notre projet politique au vu de ce qu’envisagent les personnes handicapées et les autres services qu’ellesrencontrent.
AE – Vous en sortez avec une nouvelle vision de l’accompagnement?
LG – On a plutôt mis en évidence les demandes non rencontrées et les limites de nos missions, ancrées sur des concepts comme l’autonomie. En particulier,l’accompagnement ne peut plus être vu comme un travail social individuel. L’accompagnement en milieu ouvert, sur le terrain, passe par des pratiques d’action collective, comme de la formation,ou par la mise en place de lieux d’échange entre le monde des handicapés et le reste de la société. De plus en plus, on se rend compte qu’accompagner, cela veut direorganiser la rencontre, de façon transversale, au niveau local. Et même la provoquer, quitte à créer des situations qu’on ne contrôle pas nécessairement toutà fait, où on oblige les deux mondes à interagir, à communiquer, etc.
AE – Vous pouvez illustrer par un exemple?
LG – Si je prends le Saphemo, le service dont je fais partie, à Sambreville, on a voulu réagir au fait que miser sur l’autonomie, pour des personnes handicapées mentalesqui n’ont le plus souvent pas accès à ce que tout le monde fait, c’est les pousser dans la solitude et l’isolement. On a donc créé des groupes d’échange avec despersonnes qu’on accompagne, où ils peuvent se rendre des services les uns aux autres, utiliser leurs compétences. Simplement des choses comme aller à deux ou trois aucinéma à üamur, etc. On est sortis du groupe, en continuant à observer. On voit les choses évoluer, les différents groupes qu’on a créés ont descontacts, certains accueillent des non-handicapés, etc. Un autre service, les Chanterelles, a ouvert ses portes aux habitants de son voisinage. Etc.
AE – Y a-t-il aussi des évolutions des situations individuelles auxquelles vous devez vous adapter?
LG – Oui, et c’est sans doute la chose la plus importante : la problématique de la vie de couple et de la parentalité. 27% des personnes suivies ont un ou pluseurs enfants. Celaconcernait seulement 6% il y a dix ans. En fait, les personnes que l’accompagnement a permis de sortir d’institution ne vivent plus dans un milieu protégé. Les SAPH ont essayé degérer cela, mais n’y sont pas arrivés. Et puis il y a tous les services, CPAS et autres, qui nous contactent dès qu’ils ont affaire à une famille où il y a unepersonne handicapée. Le défi, ici, est de sortir de la représentation selon laquelle une personne handicapée est un mauvais parent. Il faut donc mettre en place desformations, travailler sur leurs compétences, etc., pour qu’ils puissent exercer au maximum leur rôle de parent. Mais cela nécessite un travail fou. Même avec des servicescomme des hôpitaux ou des SAJ, c’est vraiment dur de convaincre que la plupart des handicaps mentaux ne se transmettent pas de façon génétique! Même si les SAPHtravaillent en général dans l’après-coup, on doit aussi s’interroger sur les demandes de prévention de ces situations : les parents de handicapés nous disent : « Onn’a pas envie que nos enfants aient des enfants, parce qu’on a peur de revivre la souffrance qu’on a déjà traversée une fois face au handicap. » Qu’est-ce qu’on fait? On pratiquela contraception? La stérilisation? Et puis, face à des personnes handicapées qui ont des enfants, le SAPH a une obligation d’accompagner le(s) parent(s), mais aussi d’assurerl’épanouissement de l’enfant. Des parents handicapés peuvent s’occuper magnifiquement de leur enfant, mais ne pas les stimuler assez, ou pas de façon adéquate, p. ex. aumoment de les faire marcher, ou jouer avec des jouets plus évolués. Là, les SAPH ont dû inventer, trouver les relais. Par exemple, mettre en place des réseaux debénévoles pour aller simplement jouer avec les enfants, ou les accueillir au service quand les parents y viennent. Des questions aussi énormes, on va encore s’en prendre plein :qu’est-ce qu’on fait avec des handicapés mentaux qui atteignent un certain âge et qui ne vont plus très bien? On les renvoie en institution? Et les enfants qui grandissent,qu’est-ce qu’on met en place avec leur école pour qu’ils soient soutenus convenablement? Et quand ces gosses deviennent ados, il faut les accompagner dans la prise en charge de leursparents… En fait, on doit s’obliger à projeter notre action sur 20 ans. Or toutes ces situations inédites qui deviennent récurrentes et sans doute bientôtmajoritaires, elles ne rentrent pas dans les petites cases du décret et des mécanismes de subventionnement. L’action collective n’est pas reconnue dans nos missions, et donc pasfinancée. Sans parler de l’accompagnement d’enfants non handicapés de personnes handicapées! ou du travail avec des relais comme les médecins, les écoles, etc. Etil faudrait aller plus loin : quand des personnes ne so
nt pas encore reconnues comme handicapées par l’Awiph, c’est un moment où on devrait pouvoir nous laisser intervenir, àtemps, avec une dimension préventive pour éviter justement l’entrée dans le circuit Awiph. De nouveau, on n’est pas financés pour cela… L’Awiph refuse, mêmepour un quota de dossiers plafonné par service, et avec une durée d’accompagnement maximale.2
1 L’Asah regroupe la plupart des SAPH francophones, dont 16 en Wallonie. Elle ne fédère pas, entre autres, une partie des services provinciaux et les services liés auxmutualités chrétiennes, Secrétariat : rue J. d’Outremeuse 27B à 4020 Liège, tél. : 04 343 77 31, fax : 04 341 11 84. Luc Gauthy, Saphemo, tél. :071 77 72 37.
2 Signalons en passant que le Sapha (Mons) vient de finaliser un documentaire d’une trenraine de minutes sur l’accoimpagnement. Rens.
Archives
"Asah : provoquer les rencontres entre les handicapés et le reste de la société"
Thomas Lemaigre
13-05-2002
Alter Échos n° 120
Thomas Lemaigre
Pssstt, visiteur, visiteuse du site d'Alter Échos !
Nous sommes heureux que vous soyez si nombreux à nous suivre sur le web.
Nous avons fait le choix de mettre en accès gratuit une grande partie de nos contenus,
notamment ceux en lien avec le Covid-19, pour le partage, pour l'intérêt qu'ils représentent pour la collectivité,
et pour répondre à notre mission d'éducation permanente.
Mais produire une information critique de qualité a un coût. Soutenez-nous ! Abonnez-vous !
Et parlez-en autour de vous.
Profitez de notre offre découverte 19€ pour 3 mois (accès web aux contenus/archives en ligne + édition papier)
Sur le même sujet
-
Emploi/formation
Des barreaux aux bureaux
-
Vie associative
Trois femmes puissantes
-
Vie associative
Quand politiciens et associations s’aimaient d’un amour vache
-
Vie associative
Collectif21: quel devenir associatif ?
Les plus consultés
- Violences sexuelles, l’injuste prix
- WhatsApp à l’école: qui a eu cette idée folle?
- Communautés d’énergie,
menacées par les entreprises? - «Derrière les adultes à la rue, il y a des enfants qui trinquent.»
- La livraison de colis, enjeu politique en devenir
- Bouillon de lectures
- Le cancer du poumon,
une maladie de pauvres?