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Regard critique · Justice sociale

Asile et aide sociale: le temps des tribunaux

Les trois fédérations de CPAS du pays s’opposent à l’exclusion, par défaut de décision du gouvernement, de près de 3000 demandeursd’asile du système d’aide matérielle.

29-05-2009 Alter Échos n° 274

Les trois fédérations de CPAS du pays s’opposent à l’exclusion, par défaut de décision du gouvernement, de près de 3000 demandeursd’asile du système d’aide matérielle. La ministre de l’Intégration sociale réagit.

Selon la loi de 2007 sur l’accueil des demandeurs d’asile, ceux-ci reçoivent une aide matérielle dans des structures d’accueil gérées parl’Agence fédérale pour l’accueil des demandeurs d’asile (Fédasil) ou par ses partenaires (dont les CPAS, qui gèrent environ 7 500 places d’accueilmatériel sur 16 500 à travers les initiatives locales d’accueil, les fameuses ILA). Cette aide matérielle consiste en un hébergement, des repas, l’habillement,l’accompagnement médical, social et psychologique, de l’argent de poche, une aide juridique, l’interprétariat et des formations. Or, nous en avons parléà plusieurs reprises dans ces colonnes, depuis plus d’un an, ces structures d’accueil sont saturées et ne permettent plus d’accueillir tous les demandeursd’asile primo-arrivants. Des mesures d’urgence avaient été prises pour l’hiver mais très vite, la saturation du réseau d’accueil a à nouveauété atteinte, faute notamment de décision du gouvernement en matière de régularisation.

2 600 personnes dirigées vers les CPAS

Face à cette situation et à l’afflux de demandeurs vers les CPAS et les maisons d’hébergement pour sans-abri, tous les acteurs de l’accueil, la ministre encharge de Fédasil, Marie Arena (PS)1 en tête, ont demandé au gouvernement d’augmenter le nombre de places disponibles. Celui-ci, lors du Conseil des ministres dece 30 avril, s’est contenté de remettre sa décision à plus tard, contraignant les uns et les autres à des solutions « bricolées » et à bomber letorse. Ainsi, le conseil de l’action sociale du CPAS de Bruxelles-Ville a décidé fin avril que le CPAS “se trouvait dans l’impossibilité matérielle et socialede faire face à toute demande d’aide émanant des personnes qui devraient, au regard de la loi sur l’accueil, être prises en charge par le Fédéral et se trouvedès lors dans l’obligation de prendre une mesure drastique consistant dans la non-instruction des dites demandes.” Un geste qui se voulait fort mais qui manifestement n’a pas faitplier le gouvernement…

En l’absence de décision, la ministre de l’Intégration sociale, a donc pris dans l’urgence une mesure visant à désengorger le réseaud’accueil Fédasil, « À défaut d’avoir obtenu le budget nécessaire à la création de près de 2 000 nouvelles places d’accueil,j’ai pris mes responsabilités, explique Marie Arena, et j’ai décidé de modifier le code 207 pour les personnes qui ont une procédure d’asile introduiteavant le 1er juin 2007. Ce groupe est estimé à 2 600 personnes. Par cette mesure, j’ai veillé à ce qu’aucun effet d’appel d’air ne soitpossible. Le groupe cible est en effet déterminé et n’est pas sujet à évolution. »

Afin de limiter autant que possible l’effet de cette mesure sur les CPAS qui devront accorder l’aide financière à ces personnes, la ministre fait appel au plan derépartition. Cela signifie que toutes les personnes concernées recevront un code 207 CPAS et que seul le CPAS désigné sera compétent pour leur accorder l’aidefinancière, qui sera remboursée intégralement par l’État fédéral. Le plan de répartition détermine le CPAS compétent en fonctionde critères tels que la population locale ou le revenu par habitant. La plupart des CPAS recevront, en fonction de leur taille et de leurs moyens, entre un et cinq demandeurs d’asile.Seuls deux CPAS (Genk et Mouscron) recevront plus de vingt demandeurs d’asile.

Inacceptable !

Prenant connaissance de la décision de la ministre, les trois fédérations de CPAS du pays ont immédiatement fait savoir leur mécontentement. Ainsi, ChristopheErnotte, directeur de la fédération wallonne des CPAS2, n’a pas hésité à qualifier d’ « inacceptable » la mesure : « ils’agit d’un retour à la situation pré-loi accueil, avec tous les effets négatifs bien connus du plan de répartition. Si on envoie par exemple un Afghan au CPASde Dinant, comment va-t-il être accompagné ? La plupart n’iront pas dans le CPAS qui leur a été désigné mais afflueront vers les grandes villes.»

Les fédérations de CPAS bruxelloise, wallonne et flamande enfoncent encore le clou : « Cette décision génèrera de nombreuses difficultés : la crisedu logement étant une réalité, les CPAS ne pourront trouver des logements adaptés pour autant de personnes en même temps. Les demandeurs d’asile risquent doncde se retrouver dans des situations précaires » . Un argument que Marie Arena réfute : « La crainte d’exposer ces demandeurs d’asile aux marchands de sommeil etaux difficultés du marché locatif est injustifiée dans la mesure où le plan de répartition évite justement la concentration de ces personnes à un seulendroit de notre territoire. »

Mais les fédérations poursuivent : « Une partie importante des demandeurs d’asile concernés sont en fin de procédure (recours au Conseild’État). Depuis au moins le 1er juin 2007, ils bénéficient de l’aide matérielle. Le retour à la vie en autonomie les placera dans une gravesituation de vulnérabilité. Certains d’entre eux pourraient se trouver en séjour illégal assez rapidement et ne bénéficieront plus del’encadrement psychologique et social adapté des structures d’accueil pour faire face à cette situation. De plus, les demandeurs d’asile arriveront massivement dansles CPAS. La mise en œuvre effective devrait se faire dans les deux mois mais certains CPAS nous ont signalé avoir déjà reçu des demandes. Or les CPAS ne recevrontpas de moyens supplémentaires pour gérer ces dossiers. L’État reporte la responsabilité et la charge sur les CPAS. Au niveau de la responsabilité,l’État ne remboursera pas aux CPAS l’aide financière accordée à ces demandeurs d’asile si les CPAS ne leur proposent pas de logements. Quant à lacharge, les CPAS ne bénéficieront d’aucun subside de personnel ; de plus, ces personnes fortement démunies solliciteront sans doute des aides complémentaires nonremboursées par l’État. »

Le recours aux tribunaux du travail comme ultime menace

« Malgré les craintes légitimes des CPAS, je tiens à préciser qu&rsquo
;il ne s’agit nullement d’un retour à l’aide financière,rétorque la ministre de l’Intégration sociale. Il s’agit d’une mesure unique destinée à résoudre structurellement la saturation du réseaud’accueil. La loi accueil du 12 janvier 2007, et son principe de l’aide matérielle pendant toute la procédure, prévoit en son article 11, la possibilité derecourir à l’aide financière à charge d’un CPAS si la durée de la procédure d’asile telle que prévue dans la réforme de laprocédure d’asile s’avère plus longue. Pour ce groupe cible estimé à 2 600 personnes, nous sommes manifestement au delà des objectifs de laréforme de la procédure d’asile puisque les personnes attendent une décision sur leur procédure depuis au moins le 1er juin 2007 », conclut laministre.

Les fédérations de CPAS campent quant à elles sur leurs positions. Elles demandent un rendez-vous au Premier Ministre afin de régler ce problème via lacréation de 1 800 nouvelles places d’accueil notamment. Si, une fois les élections régionales passées, elles n’ont pas reçu satisfaction, le tonpourrait se durcir en passant notamment par un recours systématique aux tribunaux du travail. « Le tribunal du travail de Bruxelles a, en référé, déjàcondamné Fédasil, sous peine d’une astreinte de 250 euros par jour, à octroyer une aide matérielle à des demandeurs d’asile primo-arrivantsqu’elle avait envoyés vers un CPAS, explique Christophe Ernotte. Le Tribunal a considéré que les « circonstances exceptionnelles » invoquées par Fédasil pour nepas désigner de codes 207 à ces personnes, et donc ne pas les accueillir, étaient prévisibles. La saturation du réseau, qui dure depuis plus d’un anmaintenant, ne constitue effectivement plus une circonstance exceptionnelle. Il nous paraît envisageable que le Tribunal suive un raisonnement similaire en cas d’action contre la mesurede modification de codes 207. » À bon entendeur…

1. Cabinet Arena :
– adresse : rue Ernest Blérot, 1 à 1070 Bruxelles
– tél. : 02 238 28 11 
– courriel : marie.arena@minsoc.fed.be
2. Fédération des CPAS wallons :
– adresse : rue de l’Étoile, 14 à 5000 Namur
– tél. : 081 24 06 50
– courriel : christophe.ernotte@uvcw.be
– site : www.uvcw.be/cpas

Le résumé de la conférence de presse des trois fédérations se trouve sur le site : http://www.uvcw.be/no_index/cpas/3000-DA-exclus-aide-mat%20_3_.pdf

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