Charlie, deux ans. Maelbeek un an. Nos démocraties sont brutalement touchées en plein cœur. Du jour au lendemain, le quotidien des banlieues parisiennes et d’un petit quartier populaire de Bruxelles se trouve braqué sous le feu des projecteurs. Pour tenter d’endiguer la spirale de la violence radicale, à chaque étage de la lasagne institutionnelle belge, les politiques annoncent leur plan de prévention.
« La politique de surveillance a pris le pas sur les politiques sociales », s’inquiète aujourd’hui Fabienne Brion, professeure de droit à l’UCL (lire l’article de Martine Vandemeulebroucke). Dans nos colonnes, la criminologue explique comment les spécialistes de la lutte contre le radicalisme ont construit un modèle « d’une bêtise consternante », celui de « l’escalier de Moghaddam » qui compare la radicalisation à une ascension psychologique en six étapes. Le sentiment d’injustice fonde le socle de la première marche. Voilà qui fait d’une grande partie du public des associations qui nous lisent des suspects potentiels ! Or la stigmatisation est un des mécanismes qui conduit justement à la radicalisation. « Les enseignants, les éducateurs de rue étaient des personnes chez lesquelles pouvaient s’exprimer ces griefs, où pouvait s’élaborer un lieu de mobilisation non violente, et, cet espace-là, on tend à le faire disparaître », regrette encore Fabienne Brion. Tout se passe comme si on avait cessé de croire dans les politiques sociales menées dans ces quartiers au cours de ces 20 dernières années. Comme si on ne croyait plus au travail social et que la surveillance et la sanction étaient désormais la seule issue.
« La récupération du travail social à des ns sécuritaires n’est pas quelque chose de nouveau. Mais les derniers événements pourraient opérer une légitimation de ce phénomène », s’inquiétait-on déjà dans les colonnes d’Alter Échos au lendemain des attaques de Paris (lire « Travailleurs sociaux : détecteurs de radicaux ? », Alter Échos n°397 du 15 février 2015). Deux ans plus tard, le projet de loi sur la levée du secret professionnel vient confirmer ces craintes (lire « Levée du secret professionnel : vers un flicage généralisé ? », Alter Échos n°434, novembre 2016).
« La garantie du secret professionnel […] résulte d’un choix de société fort. Elle donne à tous la possibilité d’être entendus sans être jugés, d’être aidés en continuant à décider pour soi, et permet aux professionnels de poser des actes en en mesurant toutes les conséquences. En cela, il concourt à rendre possible une vie en société », plaide le comité de vigilance du travail social dans son « Manifeste du travail social » (lire la carte blanche publiée dans Alter Échos n°439 du 13 février 2017). Un texte qui devrait servir d’inspiration aux politiques de lutte contre le radicalisme si elles ne veulent pas se prendre les pieds dans l’escalier !