Appel d’offres de la SNCB pour le nettoyage de ses gares bruxelloises. Une entreprise le remporte et sous-traite cette activité à une autre entreprise qui embauche des Roumains sansrespecter la législation sociale. En l’absence d’une loi sur la coresponsabilité des donneurs d’ordre, la SNCB peut difficilement être inquiétée.
Les gares de Bruxelles sont propres. Grâce à quatorze personnes largement exploitées. C’est en tout cas ce que rapportent plusieurs interlocuteurs issus du monde syndical. Queces travailleurs soient roumaines ne change pas grand-chose, sauf que leur situation précaire les pousse probablement à accepter des conditions de travail plus que limites.Bruxelles-Midi, Central, Nord, Luxembourg, Schuman et Etterbeek sont concernées. Sept jours sur sept, sans jour de repos, ils travaillent de 22 heures à 6 heures du matin. Ils sontpayés, mais ne reçoivent pas les primes de nuit ni les primes du travail le week-end. Certains ont vaguement un contrat, non respecté, d’autres ont endossé un statutd’indépendant afin d’éviter à leur employeur d’avoir à débourser des cotisations sociales. Ce que l’on appelle des « faux indépendants ». Enfin,certains n’auraient rien du tout. En cause : la sous-traitance en cascade. Un phénomène que le Centre pour l’égalité des chances décrit avec minutie dans sondernier rapport sur le trafic et la traite des êtres humains.
Une entreprise, ici la SNCB-Holding, fait un appel d’offres en 2008 pour le nettoyage de ses gares. Une autre entreprise remporte cet appel d’offres avec une proposition étonnamment bonmarché. Il s’agit de NV Gom, basée à Anvers. Cette dernière sous-traite à son tour à une autre entreprise : Local Cleaning. Un dernier maillon sur lequel oncompte pour compresser les coûts en ayant recours au travail au noir. Légalement, c’est Local Cleaning qui est responsable de l’éventuelle fraude car la sous-traitance en cascaden’entraîne pas de responsabilité en cascade.
« La SNCB est responsable »
Dominique Fervaille, secrétaire de la centrale générale FGTB, secteur nettoyage industriel, a fait le compte : « Dans le secteur du nettoyage, le barème estconnu. Pour le nombre d’heures annuelles prévues dans l’appel d’offres de la SNCB, le coût salarial total minimum aurait dû être de 1,7 million d’euros. La SNCB aattribué le marché à Gom qui proposait un prix de 660 228 euros. » Donc près de la moitié du tarif légal. La syndicaliste pointe les 430 000 euros quidevraient être versés par l’employeur chaque année à l’ONSS et qui ne le sont pas. Elle a par ailleurs alerté l’inspection sociale. Pour Dominique Fervaille, il estun sujet qu’il ne faut pas éluder : la responsabilité. Selon elle, c’est bien « la SNCB qui est responsable. Quand ils donnent un marché à une entreprise pour lamoitié du prix coûtant, ils savent que ce que propose l’entreprise sera illégal. »
Un avis que confirment d’autres interlocuteurs syndicaux, comme Pierre Lejeune, secrétaire national de la CGSP Cheminots. Il estime que la SNCB « ne peut pas se contenter de dire « letravail est fait ». Elle ne peut pas éluder les fraudes aux cotisations versées à l’ONSS ou le recours massif à de faux indépendants alors même que son cahierdes charges prévoyait un travail salarié. »
Du côté de la SNCB, ces arguments sont rejetés en bloc. Pour Louis Maraite, le porte-parole de la SNCB-Holding : « A l’avenir, il pourra y avoir une clause éthiquedans les cahiers des charges. Mais dans ce cas-ci, nous démentons toute responsabilité. On respecte la loi. Et on reçoit les garanties du contractant qu’il respectera la loi.Ensuite, nous demandons la liste des gens qui travaillent. Mais nous ne sommes pas la police. »
Quant à Gom, ils préfèrent se rattacher à la probité supposée de leur sous-traitant « qui n’a pas de défauts sociaux ou fiscaux, car nousveillons à ne pas travailler avec des sociétés véreuses » tout en ajoutant : « Les gares concernées ont été contrôlées parl’inspection sociale et rien d’anormal ne nous a été signalé. » Une dernière assertion à relativiser : « Nous sommes tenus à un devoir deconfidentialité, mais je ne confirme pas ce que Gom prétend », précise Stéphane Gimts, directeur de l’Inspection sociale à Bruxelles.
En Belgique, plusieurs projets de loi instaurant la coresponsabilité des donneurs d’ordre ont été imaginés. Le dernier accord de gouvernement y fait aussiréférence. Charles-Eric Cleesse, premier substitut de l’auditeur du travail de Charleroi, explique « qu’en l’absence de cette loi, nous sommes souvent bloqués. Et si cetteloi ne passe pas, c’est qu’il y a de gros lobbys derrière ». Nettoyage et bâtiment en tête.
Article partiellement paru dans le blog d’Alter Echos et sur www.lesoir.be le 2 décembre 2011.