À Saint-Nicolas, près de Liège, un groupe de jeunes filles n’en pouvait plus des clichés sexistes et du harcèlement de rue. Elles ont monté le collectif «Barbarie» qui détourne l’image des poupées Barbies pour dénoncer cette situation.
«Femme robot… sors de cette prison rose!» Cet appel à la liberté, on le trouve dans un étrange carnet d’images «Panini» de poupées Barbies détournées et mises en scène dans des positions saugrenues. Ce sont les jeunes filles du collectif «Barbarie», né dans la maison de jeunes (MJ) l’Atelier à Saint-Nicolas, qui ont réalisé ces petits livrets il y a déjà quatre ans. «À l’origine, il y avait un sentiment d’injustice parmi les filles présentes à l’accueil de la maison de jeunes, se souvient Anaïs Linotte, l’une des créatrices du projet. Nous avions des difficultés avec les garçons et un sentiment d’injustice sur la façon d’être dans l’espace public de cette commune très mélangée culturellement. On en avait marre de se faire siffler dans la rue, insulter parce qu’on mettait une jupe ou même de se faire toucher les fesses en attendant le bus.» À l’époque, la maison de jeunes n’est pas le havre de paix tant espéré. «La mixité était assez compliquée à l’accueil de la MJ, explique Anaïs. Certaines filles ne pouvaient plus venir, car leur grand frère le leur interdisait à cause de la présence de garçons. Il nous fallait un moment à nous.»
Les animateur ont dû mettre de côté leur idéal de mixité et installer place un accueil «pour filles». «C’est une réalité dans beaucoup de maisons de jeunes, admet Cassandra Delhalle, animatrice à l’Atelier, les filles ont souvent du mal à trouver leur place. Lorsqu’il le faut, on commence par l’entre-soi pour former un groupe solide avant de se confronter aux garçons.»
«Action subversive dans l’espace public»
Ces filles-là avaient pas mal de comptes à régler. Encadrées par une éducatrice de la MJ, elles se lancent alors dans une méthode «d’intelligence citoyenne» pour faire émerger un projet collectif autour d’injustices qu’elles dénoncent et tournent en «action subversive dans l’espace public». Elles développent des projets originaux et volontiers provocants. Toujours féministes.
(…) lire des textes où l’on parle de tâches ménagères, d’homosexualité, de poils, du refus de l’injonction faite aux femmes de «péter des paillettes»
Très vite, elles souhaitent travailler autour de l’image des poupées Barbie, l’archétype de la femme lisse, parfaite, au corps «hors norme» et sans aspérités – «une femme avec de telles mensurations n’arriverait pas à marcher», dénonce Anaïs. Le symbole de cette fameuse «prison rose». Dans leurs livrets d’images Panini qu’elles confectionnent et présentent à la Foire du livre politique, on peut coller des images étranges de Barbies et lire des textes où l’on parle de tâches ménagères, d’homosexualité, de poils, du refus de l’injonction faite aux femmes de «péter des paillettes», de femmes marchandises. Fait notable, le deuxième livret est réalisé avec la participation de quelques (rares) garçons.
Depuis, ces filles de la MJ font parler d’elles dans les écoles, les centres culturels, à l’Université de Liège. Une petite vidéo sur YouTube, Macho Macho Show, explique leur démarche. Elles ont même participé à un débat sur le genre avec la ministre de la Jeunesse, Isabelle Simonis. Même si le «collectif» s’essouffle un peu, les deux porteuses du projet, dont Anaïs, le font vivre et partagent leur expérience en divers lieux et au sein d’un groupe de maisons de jeunes liégeoises qui réfléchissent aux problèmes que pose la mixité en maison de jeunes.
«On voulait simplement montrer qu’en partant de rien on pouvait faire des choses», conclut calmement Anaïs, fière du chemin parcouru. Derrière elle, dans les locaux de la MJ, trône un tee-shirt sur lequel on peut lire le slogan du collectif Barbarie: «Je suis une femme et j’existe.»
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«Tous genres bienvenus à l’école?», 29 octobre 2014, Lara Leroy (st.), Alter Echos