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Regard critique · Justice sociale

Le statut de cohabitant est identifié comme l’un des enjeux majeurs dans la lutte contre la pauvreté. En marge de son 9ème rapport bisannuel intitulé “Pauvreté et citoyenneté”, le Service de lutte contre la pauvreté, la précarité et l’exclusion sociale a organisé au Sénat, le 19 avril dernier, une matinée de réflexion sur ce thème.

D’abord, il y a l’ironie de l’histoire : vivre à deux, c’est mieux pour le loyer… quand on a un travail. Pour les allocataires sociaux, impossible de réaliser des économies sur ce poste… si ce n’est au prix d’une allocation diminuée. Soit le serpent qui se mord la queue. Mais le désavantage du statut de cohabitant n’est pas seulement économique. «L’impact ne se fait pas seulement au niveau des revenus mais en termes de citoyenneté. Poser des choix libres, fonder une famille, héberger quelqu’un qui ne sait pas où aller sont autant d’actes citoyens qui sont rendus difficiles, voire impossibles par le statut de cohabitant. La vie privée est aussi mise à mal car ce statut implique beaucoup de contrôles», rappelle Françoise De Boe, coordinatrice au Service de lutte contre la pauvreté, la précarité et l’exclusion sociale.

Les acteurs de terrain rapportent ainsi régulièrement les cas de ces pères qui quittent – prétendument ou de fait – le domicile familial pour conserver à leur compagne et/ou à eux-mêmes un revenu d’isolé(e). «Il ne faut pas sous-estimer les problèmes de santé physique et mentale, le stress constant qui est associé à ces situations, avec des enfants qui doivent faire attention de ne pas dire que leur père vit à la maison ou expliquer qu’il est là, mais pas tout le temps. Cette absence fictive ou réelle n’est pas sans conséquence», illustre Françoise De Boe. Les “fausses” domiciliations et le sentiment de clandestinité sont en effet la face cachée de ce statut. «Il est difficile de parler de fraude par rapport à une loi qui semble injuste mais dans les faits, c’est effectivement ce qui se passe : on fraude, avec parfois des conséquences graves quand on est contrôlé», poursuit Françoise De Boe.

Vieux débat

Si le statut de cohabitant est un “vieux débat”, les législations en vigueur n’ont jamais semblé plus éloignées des nouvelles réalités sociales : familles recomposées, départ plus tardif du domicile parental, parents vieillissants, enfants “boomerang”… «Ce statut crée finalement beaucoup de discriminations entre les personnes qui sont bénéficiaires de ces allocations et les personnes qui travaillent, qui peuvent quant à elles chercher des manières de vivre moins cher ou tout simplement des manières de créer du lien social», explique Françoise De Boe.
Une avancée a certes été réalisée avec l’arrêt de la Cour de cassation du 9 octobre 2017 (Alter Echos n°460) qui décrète que des chômeurs vivant sous un même toit doivent désormais être considérés comme a priori “isolés” et non comme “formant ménage”. Néanmoins, pour les acteurs de la lutte contre la pauvreté – qui saluent cet arrêt facilitant la collocation –, “former ménage” ne devrait pas être sanctionné économiquement, et en tout cas pas dans les proportions actuelles. Rappelons ainsi qu’aujourd’hui, en Belgique, le revenu d’intégration s’élève à 595,13 euros pour un cohabitant contre 892,70 euros pour une personne isolée et 1190,27 euros pour une personne qui cohabite exclusivement avec une famille à charge.“Les économies d’échelle existent mais pas dans cette proportion”, commente Françoise De Boe.

Unanimement à revoir

Pour autant, la coordinatrice du Service de lutte contre la pauvreté estime que l’individuation généralisée est utopique. « Les solutions sont extrêmement compliquées à mettre en place. En revanche, chez les acteurs de terrain comme au sein de la classe politique, tout le monde est d’accord pour dire que ce statut crée des situations injustes et qu’il faut faire quelque chose », poursuit Françoise de Boe. Cette matinée de réflexion avait ainsi pour vocation première d’inscrire ce sujet à l’agenda politique.

Le Sénat devrait par exemple être amené à se pencher sur la réévaluation des économies réelles permises par la vie à deux. L’opportunité d’une étude comparative avec les autres pays européens a notamment été évoquée. « C’était important que cette journée se tienne au Sénat, car ce statut a des conséquences dans de nombreuses législations. Dès qu’il y a un supplément social possible, la question du cohabitant se pose, que ce soit pour les allocations sociales, une aide juridique de deuxième ligne, un logement social… Or le Sénat reste un espace interfédéral, avec des sénateurs envoyés par les Régions et les Communautés et qui sont donc en lien direct avec les entités », précise encore Françoise De Boe. À noter que Christine Defraigne (MR), présidente du Sénat, s’est montrée dans son discours introductif particulièrement sensible à la dimension de genre : moins présentes sur le marché de l’emploi, en particulier dans les milieux les plus défavorisés, les femmes restent aujourd’hui majoritairement concernées par ce « demi » statut.

Plus d’infos : http://www.luttepauvrete.be/colloqcohabit2018.htm

Julie Luong

Julie Luong

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