La vérité ne sort pas forcément de la bouche des jeunes mais ce qu’ils ont à dire est toujours bon à entendre. Quel est leur regard sur lasociété ? sur l’enfermement ? sur la sexualité ? sur la violence ? sur la mort ? sur l’environnement ? et sur leur quartier ? Depuis cinq ans, l’AMOSamarcande1 leur laisse libre antenne sur les ondes de Radio Campus2 pour s’exprimer sur ce qui les touche. Percutant.
Un mercredi sur deux, l’équipe – qui varie régulièrement tout au long de l’année – entame l’immuable rituel : chacun grimpe dans leminibus en partance pour le campus du Solbosch, à l’Université Libre de Bruxelles. Ils n’ont pas l’âge d’aller à l’université ?Qu’à cela ne tienne, ils vont seulement s’enfermer dans le studio d’enregistrement de Radio Campus. Aujourd’hui, c’est Pierre, 17 ans, le plus vieux de la bandeet grand habitué des studios radio, qui prend naturellement les choses en mains. « Sans se la jouer ». Plutôt « grand frère protecteur » que donneur deleçons. Il essaie de mettre à l’aise Sarah, la benjamine (douze ans et des poussières) et Drita (treize ans) qui vont animer pour la première foisl’émission. Sanaz, quinze ans, est plus dissipée : ça fait trois ans qu’elle participe, elle est presque blasée. Pas besoin de réexpliquer lefonctionnement des machines, chacun jongle avec le micro, le casque et ses notes, comme un pro de la radio. Aujourd’hui, la fine équipe a invité Béatrix Lekeux,psychothérapeute au Centre de prévention du suicide3, ainsi que Pauline, 15 ans, venue témoigner de son expérience personnelle. Pourquoi est-ce qu’on sesuicide ? Comment empêcher un ami de se suicider ? Comment comprendre qu’il va mal et comment l’aider ? Après quelques minutes de cafouillage typique de débutd’émission, les animateurs en herbe prennent de l’assurance et entrent dans le vif du sujet, ponctué par des micros-trottoirs rondement menés par Drita et Sarah.
Et même si l’on est loin du professionnalisme léché des grandes radios, le résultat s’écoute avec intérêt, l’heure passe sans qu’onne soit tenté de regarder sa montre. En régie, Pauline Bombaert, éducatrice média chez Samarcande, surveille la troupe d’un œil bienveillant, envoie de tempsen temps un signal pour inciter l’un ou l’autre à prendre la parole, ou profite d’une pause musicale pour venir recadrer un animateur sur une erreur – « Lis bien taquestion avant de parler, tu as coupé la moitié et ça ne voulait plus rien dire… ». C’est elle qui, en amont, a préparé l’émissionavec les jeunes après qu’ils se soient mis d’accord sur le sujet du jour. « Ils choisissent seuls le sujet et décident seuls s’ils veulent faire intervenir uninvité ou pas. Pour la dernière émission sur la pornographie, par exemple, ils ont souhaité parler entre eux, sans adulte », explique la jeune femme. Cette parolelibre, non censurée et diffusée en direct sur les ondes de Radio Campus ne subit que peu de contraintes : les jeunes doivent parler dans un français correct, sansgrossièreté et respecter la parole de chacun. Et visiblement, cela fonctionne quelles que soient les velléités de rébellion propres à l’adolescence quiviennent parfois empiéter sur le déroulement de l’enregistrement : « Oui ! Oui, tu dois jeter ton chewing-gum ! Et couper ton gsm aussi ».
Une parole vraie, sans chichis
Ainsi, le suicide cette semaine, la pornographie il y a quinze jours, mais aussi l’homosexualité, les jeux vidéo, la délinquance, la musique, le regard des autres,l’apparence, les drogues, autant de sujets qui tarabustent les jeunes mais dont ils n’osent ou ne veulent pas forcément parler avec leurs parents ou leurs professeurs, sontabordés sans tabou pendant l’émission. Dans un débat ouvert qui tient plus de la discussion entre potes que d’une leçon sentencieuse. Les jeunes osent dire,leur parole est vraie, sans chichis, pas toujours judicieuse, mais éloquente d’une façon de vivre et d’observer le monde et la société quand on a douze, quinzeou dix-sept ans. Tel était le pari de Samarcande en créant le concept en 2003 et il n’a rien perdu de sa pertinence aujourd’hui, bien au contraire. « Àl’AMO, nous estimions que la diffusion de la parole des jeunes n’était pas satisfaisante. Elle était essentiellement « émotive », sollicitée selonl’actualité pour réagir à des faits négatifs, la plupart du temps. Nous voulions développer un outil pratique, facile pour diffuser la parole des jeunes avecun support qui gomme les inégalités, ce qui est le cas en radio », explique Madeleine Guyot, directrice de Samarcande. Après une « émission zéro »concluante, Radio Campus a accepté de laisser son antenne aux ados, une heure par semaine tous les mercredis. Si le produit final n’est pas d’une qualité exemplaire,l’aspect pédagogique de l’expérience compense ses faiblesses et lui confère tout son intérêt. Mais la réussite de l’entreprise n’a pasfreiné les ambitions de ses promoteurs. « Notre objectif, c’est que la parole des jeunes soit entendue au maximum. Nous voulions donc poursuivre la démarche au delàd’une heure en direct sur une radio un peu confidentielle. Depuis quelques mois, nous avons donc mis en place une bibliothèque sonore où sont répertoriées lesémissions de Samarc’ondes »4, poursuit Madeleine Guyot. Idéalement, la directrice aimerait que ces opinions de jeunes voyagent et servent à d’autresjeunes, pourquoi pas pour introduire un débat dans les cours philosophiques à l’école. Pour nourrir la réflexion des pédagogues, animateurs et tout autreprofessionnel de la jeunesse sur leur travail quotidien. Dans le même ordre d’idée, l’Observatoire de l’enfance, de la jeunesse et de l’aide à la jeunesse,ou encore la Ligue des droits de l’homme, ont déjà fait appel à Samarc’ondes pour récolter la parole des jeunes sur un sujet particulier.
Pour les adultes, les émissions apportent sans conteste un éclairage rafraîchissant et actuel sur ce que pensent les jeunes, dans leur diversité mais aussi leurssimilitudes. Pour les jeunes, les bénéfices ne font aucun doute. Outre le minimum de rigueur et d’organisation que demande la préparation, de A à Z, d’uneémission radio d’une heure en direct, l’exercice est un fabuleux moment de valorisation de soi et d’apprentissage de la citoyenneté. C’est déjà, ensoi, une raison suffisante pour applaudir l’initiative.
Une radio sur les routes de traverse
S’il est une parole des jeunes qui a du mal à se faire entendre, c’est bien celle de ceux qui sont coincés derrière quatre murs. Depuis un an, Christian Falone,éducateur chez Samarcande, part donc sur les routes dans sa caravane « Radio Mobile », direction les IPPJ5 pour aller à la rencontre de ces adolescentsqu’on dit à la dérive. Pour entendre et capter leur parole, sur leur vie, sur la société, sur leurs amis…
Portrait intime en soixante minutes, parole libre malgré l’enfermement, l’adolescent est libre d’exprimer sa rage, ses envies, ses révoltes, ses espoirs. Libre depousser un coup de gueule comme de dédier un poème à sa mère, ou de slammer ses émotions pour des amis. L’animateur rencontre le jeune unepremière fois pour parler à bâtons rompus de ses envies de s’exprimer et préparer l’enregistrement. À la rencontre suivante, on branche le micro. Lejeune construit l’enregistrement de la manière qu’il a choisie, en l’entrecoupant de chansons, de témoignages, de lectures… Dans cette formule, pas question dediffusion en direct. Le jeune repart avec un enregistrement sur CD de son témoignage et, s’il le désire, il peut être diffusé sur les ondes de Radio Campus,après sa sortie d’IPPJ, sous le label « Carnet de route », un mercredi sur deux en alternance avec les émissions Samarc’ondes.
Actuellement, Christian a compilé près de 70 témoignages de ces jeunes de 13 à 18 ans, dont on oublie trop souvent que leur parcours est surtout fait de souffrance etde difficultés, avant de verser dans la délinquance.
1. Aide en milieu ouvert Samarcande :
– adresse : rue de Theux, 51-53 à 1040 Etterbeek
– tél. : 02 647 47 03.
2. Radio Campus, sur 92.1 FM (à Bruxelles).
L’émission Samarc’ondes est diffusée un mercredi sur deux, de 15h à 16h. Le site de Radio Campus : http://radiocampus.ulb.ac.be
3. Centre de prévention du suicide, « L’autre temps »
– place du Châtelain, 46 à 1050 Ixelles
– tél. : 02 650 08 69
– numéro vert : 0800 321 23
– site : www.preventionsuicide.be
4. Pour écouter ou réécouter les émissions de Samarc’ondes :
www.samarcande.be
5. Institut public de protection de la jeunesse.