Les traités internationaux consacrent le droit à l’eau comme un bien vital. Pourtant en être privé faute d’avoir pu payer ses factures est une réalité pour un peu plus de 5% des Belges. Faut-il garantir un droit inconditionnel à l’eau avec la fourniture d’un certain nombre de mètres cubes gratuits? À Charleroi, la justice a dit oui mais la question n’est pas (encore) à l’ordre du jour politique.
Article publié le 4 novembre 2015.
Les statistiques relatives aux coupures d’eau sont très différentes d’une zone à l’autre, d’une intercommunale de distribution à l’autre. La situation est globalement plus grave en Wallonie avec plus de 9% de personnes en difficulté, un comble quand on sait que le sud du pays est le réservoir d’eau du pays. En cause, le prix de l’eau. En dix ans, il a plus que doublé en Wallonie et a augmenté trois fois en 2014 pour les clients de la Société wallonne de distribution de l’eau (SWDE) qui approvisionne 65% des ménages wallons. Et ce n’est pas fini. La facture moyenne est aujourd’hui de 485 euros. Elle devrait passer à 600 dans cinq ans.
Pour les 19 communes bruxelloises, la facture des ménages a augmenté de 46% entre 2009 et 2013. À Bruxelles précisément, l’annonce d’une augmentation importante des prix en 2016 par l’intercommunale Hydrobru a suscité une levée de boucliers chez les syndicats et les associations de lutte contre la pauvreté. La redevance annuelle forfaitaire devait doubler en passant de 23,80 euros à 50 euros. Hydrobru assurait que, malgré cette augmentation, ses tarifs allaient rester les moins chers de Belgique mais le gouvernement bruxellois a mis son veto fin août. Dans un communiqué commun, le ministre-président Rudy Vervoort (PS) et la ministre de l’Environnement Céline Fremault (cDH) ont indiqué que cette augmentation du prix de l’eau «n’était pas à l’ordre du jour d’autant que les ménages bruxellois seront touchés par les nouvelles mesures fédérales telles que la hausse de la TVA sur l’électricité, la hausse des accises sur le diesel et le saut d’index».
Le gouvernement bruxellois tacle le fédéral mais les réponses régionales au problème de la précarité hydrique restent timides.
Premier constat: il n’existe aucun tarif social pour l’eau, ce que regrettent les associations de consommateurs. En Flandre, un statut de client protégé a récemment été introduit et donne lieu à certains avantages. À Bruxelles et en Wallonie, tout passe par le Fonds social de l’eau qui peut intervenir partiellement ou totalement dans le paiement des factures d’eau des consommateurs en difficulté. Le Fonds est activé par les distributeurs sur la base des listes de consommateurs en difficultés de paiement transmises aux CPAS. Pour avoir droit à cette aide financière, il faut donc passer par le CPAS. Une démarche que les consommateurs, qui ne bénéficient pas déjà de l’aide sociale, ne font pas ou rarement. Bilan: les coupures d’eau sont un phénomène en augmentation. Hydrobru signale qu’en 2008, il y a eu 99 coupures en Région bruxelloise contre 649 en Wallonie et 467 en Flandre mais en 2012, ce chiffre est passé à 497 à Bruxelles!
Couper l’eau, une atteinte à la dignité humaine
Une coupure d’eau ne peut être décidée que par le juge de paix mais certains distributeurs passent outre. Il est vrai que les juges ne leur sont pas souvent favorables. En février 2014, le tribunal civil de Charleroi a condamné la SWDE en estimant que priver une personne d’eau était «contraire à la dignité humaine» parce que l’eau est «une ressource commune et vitale à laquelle tout être humain a droit». Le juge invitait la SWDE à assurer sa «mission de service public» en maintenant un débit minimal pour le consommateur. La SWDE a vite compris et réagi. Au printemps 2015, les premiers limitateurs d’eau étaient placés sur les compteurs des mauvais payeurs. Une mince pastille posée en amont du compteur limite le début à 50 litres d’eau par heure. De quoi remplir quelques casseroles, pas une baignoire.
L’appréciation du juge, confirmée en appel, selon laquelle l’accès à l’eau est un «droit fondamental de tout être humain» ouvre le débat politique sur un accès garanti à l’eau. Le mouvement Vega estime qu’il faut garantir cet accès inconditionnel «tout en décourageant les gaspillages». Il propose l’instauration d’une tarification progressive en six tranches, le prix augmentant avec la consommation. Les premiers mètres cubes seraient gratuits. Vega propose 10 m³ par personne et par an, de quoi satisfaire les besoins vitaux. La tarification se ferait au nombre de personnes domiciliées dans le logement (à Bruxelles, on tient déjà compte de la composition du ménage, pas en Wallonie). Dans la proposition de Vega, au-delà de 100 m³ par personne et par habitant, le prix serait sensiblement plus élevé qu’aujourd’hui.
Pour José Garcia, secrétaire général du Syndicat des locataires, la revendication d’un accès inconditionnel à l’eau est la «seule solution de bon sens pour répondre à la précarité hydrique». Même si, ajoute-t-il, «nous ne sommes plus dans la situation des années 80 où les distributeurs coupaient les compteurs sans états d’âme». Du côté politique, par contre, cet accès garanti n’est pas la priorité. La ministre bruxelloise en charge de l’Énergie et de l’Environnement, Céline Fremault, nous fait savoir que sa priorité, c’est de maîtriser le coût de l’eau notamment par une fusion des sociétés Vivaqua et Hydrobru. Mais elle va lancer un «comité des usagers de l’eau» qui aura pour mission de donner des avis au gouvernement bruxellois sur les tarifications proposées par les distributeurs.
Du côté wallon, on s’en tient à ce qui est proposé dans le plan de lutte contre la pauvreté. L’accès garanti à l’eau passe encore toujours par le Fonds social de l’eau. Ses moyens ont été doublés en décembre 2014 et cela devrait servir notamment à «développer des mesures de prévention et d’éducation visant à consommer cette ressource avec parcimonie» et à éditer un guide de procédure pour uniformiser les pratiques des CPAS et des distributeurs. Rien de très révolutionnaire donc.
Alter Échos n°406 : «L’eau potable et le principe de pollueur-payeur», Céline Gautier, juillet 2015.