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Economie

Belfius: le piège à comptes

En un an, le tarif des comptes bancaires sociaux (Belfius) a doublé. Il se chiffre désormais à 25 euros au lieu de 13. Le tout à charge des CPAS. Dans son dernier rapport, Financité dénonce cette augmentation et pointe le risque de voir les bénéficiaires de ces comptes définitivement exclus.

En un an, le tarif des comptes bancaires sociaux (Belfius) a doublé. Il se chiffre désormais à 25 euros au lieu de 13. Le tout à charge des CPAS. Dans son dernier rapport, Financité dénonce cette augmentation et pointe le risque de voir les bénéficiaires de ces comptes définitivement exclus.

Créé dans les années 90, le compte bancaire social permet aux bénéficiaires de l’aide sociale d’ouvrir un compte en banque s’ils n’en ont pas ou s’ils sont surendettés, par exemple. Il s’agit également d’un compte à vue destiné au paiement du revenu d’intégration sociale ou de toute autre forme d’aide octroyée par les CPAS à des personnes privées (assistance psychologique, judiciaire, médicale ou en matière de règlement de dettes…). Les avantages sont nombreux: gratuité pour le titulaire, impossibilité d’aller en négatif et protection des montants versés sur le compte vis-à-vis du recouvrement d’un éventuel découvert. Ce compte, bien qu’ouvert au nom du bénéficiaire de l’aide et géré exclusivement par ce dernier, ne peut être accordé qu’à la demande du CPAS. Celui-ci le propose si l’enquête sociale laisse apparaître que le bénéficiaire connaît un problème d’endettement. Un des grands avantages de ce compte est qu’il n’est pas stigmatisant. Le titulaire peut s’en servir en grande surface ou à la banque sans que personne ne sache que cette carte émane du CPAS. «Le compte d’aide sociale reste un outil qui joue un rôle indéniable d’inclusion financière en Belgique en permettant à des personnes en situation précaire de devenir gratuitement titulaires d’un compte et d’une carte bancaire», rappelle d’ailleurs le réseau Financité dans son dernier rapport sur l’inclusion bancaire.

En diminution constante

L’association pointe aussi que l’ensemble des comptes sociaux proposés aux CPAS par la banque Belfius reste important malgré leur diminution. Depuis 2010, le nombre de personnes bénéficiant des comptes d’aide sociale a diminué de 49% avec 41.102 bénéficiaires contre 21.022 en 2015 (dont 10.600 en Wallonie et à Bruxelles). Pour Financité, il s’agit du score minimum observé depuis six ans. Cette baisse importante récente s’expliquerait par deux raisons. «La première étant l’accès au compte en général, qui s’est globalement amélioré: bon nombre de personnes aidées par les CPAS disposent déjà d’un compte bancaire ordinaire ou sont aptes à en ouvrir un. Les comptes sociaux se positionnent alors comme alternative spécifique lorsque l’usage d’un compte privé ordinaire n’est pas possible. La seconde raison serait la nouvelle tarification du forfait annuel, qui a plus que doublé. Les budgets des CPAS n’étant pas extensibles, les services sociaux ont dû répondre négativement à des personnes qui voulaient bénéficier de ces comptes», lit-on dans le rapport.

« (…) ce service devient trop onéreux et moins utilisé. Ce qui est dommage au vu des nombreux avantages qu’il procure», explique Olivier Jérusalmy, chercheur au réseau Financité

Si l’information n’est pas confirmée par les fédérations wallonne et bruxelloise des CPAS, cette hypothèse est confortée, selon Financité, par la diminution constante des CPAS qui font appel à ce service: ils étaient 556 en 2010, contre 486 en 2016.

Ce nombre reste toutefois significatif par rapport à l’estimation du nombre d’exclus bancaires en Belgique, soit près de 95.000 personnes. Mais depuis l’augmentation importante du coût du produit, bon nombre de CPAS risquent de ne plus y avoir recours, craint Financité. «En effet, les fonds alloués pour les bénéficiaires de comptes sociaux doivent plus que doubler si les centres veulent maintenir le nombre de bénéficiaires constants. Or les budgets des CPAS ne sont pas extensibles. Dès lors, ce service devient trop onéreux et moins utilisé. Ce qui est dommage au vu des nombreux avantages qu’il procure», explique Olivier Jérusalmy, chercheur au réseau Financité, pour qui le doublement du prix remet complètement en question la pertinence et le principe de ce type de compte.

«Il s’agit d’une participation dans les coûts et donc pas un objectif de profit sur ces produits. À noter que les tarifs, même avec l’augmentation, ne suffisent pas à couvrir les coûts», porte-parole d’Ulrike Pommee, Belfius

Quant à Belfius, la banque justifie sa décision: «Depuis la création de ce produit, l’environnement a fort changé. L’accès à la bancarisation s’est développé, avec même des comptes gratuits sur le marché – ce qui facilite l’accès à un compte bancaire, y compris pour les personnes en difficulté recevant des aides via un CPAS, explique la porte-parole, Ulrike Pommee. Nous avons également remarqué que les comptes d’aide sociale, initialement prévus uniquement pour permettre des retraits et des paiements par carte, sont de plus en plus utilisés comme des comptes à vue classiques à part entière, pour effectuer tout type d’opération, par exemple des domiciliations, des virements, des dépôts… Ce qui n’était pas l’objectif de ces comptes lorsqu’ils ont été créés.»

Belfius veut continuer à proposer ce service aux CPAS, «mais pour les cas où cela reste nécessaire.» La banque précise qu’avec la chute des taux, elle a été contrainte, pour pouvoir maintenir ce service, à revoir certains tarifs pour ces comptes. «Il s’agit d’une participation dans les coûts et donc pas un objectif de profit sur ces produits. À noter que les tarifs, même avec l’augmentation, ne suffisent pas à couvrir les coûts», poursuit la porte-parole.

Peu de réactions des CPAS

La banque se défend de vouloir faire disparaître ces comptes. «Ils restent une solution appropriée quand la personne n’est pas directement apte à procéder d’elle-même à l’ouverture d’un compte bancaire ordinaire, ajoute Ulrike Pommee. Puis, cette décision n’a pas été prise unilatéralement. Il y a eu concertation avec les CPAS avant l’entrée en vigueur de la hausse du tarif. À la suite de nos explications, nous avons eu très peu de réactions.» D’ailleurs, du côté des CPAS que nous avons interrogés, l’utilisation du produit bancaire de Belfius n’est pas remise en cause, malgré son augmentation. Pour la simple raison qu’aucune alternative n’existe sur le marché…

«Désormais, les CPAS ont tout intérêt à offrir un compte en ligne, entièrement gratuit. À nos yeux, tout cela ne paraît ni logique ni éthique de la part de Belfius.», Olivier Jérusalmy, chercheur au réseau Financité

Selon la banque, les CPAS ont adapté leur approche concernant les demandes d’ouverture de compte d’aide sociale: ils en demandent moins systématiquement l’ouverture pour le versement d’allocations sociales. «Quand la personne aidée est apte à ouvrir et utiliser un compte ordinaire, les allocations sont versées sur un compte ouvert par la personne dans la banque de son choix», explique encore la porte-parole de Belfius.

Pour Olivier Jérusalmy, chercheur au réseau Financité, les explications de Belfius sont peu convaincantes. «Ce tarif est supérieur au tarif qu’on fait supporter aux usagers pour l’accès à un tarif bancaire de base. Désormais, les CPAS ont tout intérêt à offrir un compte en ligne, entièrement gratuit. À nos yeux, tout cela ne paraît ni logique ni éthique de la part de Belfius. Cela reflète surtout une mauvaise gestion de ce type de compte de la part de l’institution bancaire, en permettant des transactions aux bénéficiaires qui n’étaient normalement pas possibles. C’est une explication cousue de fil blanc, qu’on balance pour faire propre et gentil, mais cela n’a pas beaucoup de sens…»

Le fait de réduire un accès à un service peu coûteux qui rencontre un besoin essentiel d’un public vulnérable n’est vraiment pas un bon signe, reproche encore Financité. «Surtout que nous n’avons aucune information sur les anciens bénéficiaires de ces comptes. Accèdent-ils vraiment à des services bancaires classiques? Sont-ils mieux bancarisés qu’avant? On ne le sait pas…»

Pierre Jassogne

Pierre Jassogne

Journaliste

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