Directeur du Service droit des jeunes (SDJ1) de Bruxelles depuis plus de vingt ans, rédacteur en chef du Journal Droit des jeunes (JDJ), membre fondateur etprésident de l’organisation Défense des enfants international Belgique (DEI) et membre fondateur du Centre interdisciplinaire des droits de l’enfant (Cide), entre autres,Benoît Van Keirsbilck est une figure incontournable du secteur de l’aide à la jeunesse. Portrait.
Il nous parle de l’aînée de ses trois enfants qui fera bientôt un stage en prison dans le cadre de ses études d’infirmière – bon sang ne sauraitmentir… – et l’on revoit ses estimations à la hausse. Benoît Van Keirsbilck aurait donc dépassé la quarantaine, mais que l’on nes’étonne pas de son air juvénile : près de vingt-cinq ans au service de la jeunesse, forcément, ça conserve ! Cette carrière consacrée àdéfendre les jeunes, il la doit presque à un hasard.
C’était un temps que les moins de vingt ans ont heureusement peu connu : celui où Roger Nols sévissait comme bourgmestre à Schaerbeek. 1985. Benoît VanKeirsbilck, vingt ans et des poussières, assistant social frais émoulu de l’école de la rue de la Poste2, n’a pas trop le goût de l’uniforme,ni celui de la tonte réglementaire. Il souhaite effectuer un service civil. « Je vivais dans la commune la plus rétrograde de Belgique à l’époque et lebourgmestre refusait systématiquement de valider les demandes d’objection de conscience. Je lui ai tenu tête et j’ai finalement échappé au service militaire.C’est l’une de mes grandes fiertés ! » Plutôt que d’apprendre à marcher au pas, il servira fort civilement Infor Jeunes (IJ) Bruxelles, vingt mois durant,de 1985 à 1987. « En tant qu’assistant social, je n’avais que l’embarras du choix concernant l’association où je pouvais effectuer mon service civil. ChezInfor Jeunes, le contact passait bien, et l’association avait une image très dynamique. C’était la grande époque : certains après-midi, il y avait une centainede jeunes qui passaient par les bureaux ! », se souvient-il. Cette entrée en matière lui tiendra lieu de vocation. La directrice d’IJ lui propose de relancer une petite asblmi-dormante, mi-moribonde : le Service droits des jeunes (SDJ). L’expérience est formatrice, le réseau des travailleurs de terrain se développe tout comme le conceptd’aide en milieu ouvert (AMO). « Je me rendais compte que la mission d’Infor Jeunes était trop limitée. Il manquait un suivi des jeunes, d’oùl’ambition de mettre en place un véritable accompagnement. »
Victoires amères
À la fin de son service civil, Benoît Van Keirsbilck continue plusieurs mois comme bénévole au SDJ. « J’étais en quelque sorte sponsorisé parmon épouse qui, elle, avait un travail rémunéré », plaisante-il. En attendant, le SDJ fait parler de lui. « Nous faisions des procès aux écolesqui pratiquaient des renvois arbitraires, nous n’étions pas très fréquentables. » Pourtant, un agrément comme AMO et des premiers subsides permettent dedévelopper au minimum l’association et de lui offrir son premier contrat de travail en bonne et due forme : de bénévole, Benoît Van Keirsbilck devient directeur duSDJ Bruxelles. Hormis un juriste engagé à 1/6 temps (!), il est seul pour « tout faire ». À l’époque, les questions de droit scolaire représententla majorité des dossiers. L’arbitraire règne et le SDJ imprime sa marque. À force de procès retentissants contre des directions d’école peuscrupuleuses, les mentalités évoluent. Les effets pervers aussi. « Nos actions faisaient peur au point que certaines écoles ont organisé une journéepédagogique sur la manière de se défendre face au SDJ. Un homme politique m’a même confié qu’une formation allait être payée aux directeursafin de leur apprendre à mieux bétonner leurs dossiers d’exclusion d’élèves ! »
Sur le plan formel, Benoît Van Keirsbilck est plutôt fier des actions menées. « Nous avons marqué des points. En quelque sorte, le décret missions estl’une des conséquences de notre action. » Mais sur le plan concret, l’homme ne cache pas son amertume : « Les écoles n’ont pas cherché àéviter l’échec que représente une exclusion mais à lui donner une forme légalement acceptable. Donc effectivement, les dossiers d’exclusion sontaujourd’hui mieux bétonnés. J’aurais préféré que les efforts portent sur les moyens préventifs, sur les alternatives à l’exclusion.» Et de constater avec une pointe de regret : « Au début, au SDJ, on nous prenait pour des terroristes. Aujourd’hui, il y a un consensus général sur les droitsdes jeunes, mais c’est un consensus mou ! Il faut aller plus loin dans la réflexion : les droits de l’enfant, ça doit se pratiquer avant de se théoriser. »
Ambitions internationales
À la fin des années ’80, une nouvelle problématique émerge en Belgique, celle des mineurs étrangers non accompagnés (mena) et son cortège de droitsbafoués : centres fermés, expulsions, difficultés d’accès à l’école et à l’aide sociale, de manière générale.« Aussi fou que cela puisse paraître, il n’était pas acquis pour tout le monde que ces enfants avaient aussi le droit d’aller à l’école…» Des préoccupations qui pousseront plusieurs associations à créer la Plate-forme mineurs en exil en 1999, dans laquelle il s’investit fortement.
À travers le SDJ mais aussi le Journal Droit des jeunes dont il reprend la rédaction en chef en 1995, Benoît Van Keirsbilck martèle les principes fondamentaux desdroits humains et ceux de la Convention internationale des droits de l’enfant. C’est cette même logique qui prévaut lorsque les différents SDJ unissent leurs effortspour dénoncer l’enfermement des mineurs. Ils multiplient, comme dans les affaires de droit scolaire, les procès de principe. Ainsi, ils étaient parvenus à fairecondamner la Belgique par la Cour européenne des droits de l’homme dans « l’affaire Bouamar »3. « Mais c’était une victoire à laPyrrhus ! Sitôt l’article abrogé, le Sénat et le Parlement ont voté la création d’Everberg, en vingt-quatre heures. Le lendemain matin, les bulldozersétaient déjà sur le terrain pour construire les bâtiments. » D’autres que lui se seraient découragés. «
; J’ai parfois le sentiment denager à contre-courant. Mais je ne me laisse jamais abattre très longtemps », réplique l’empêcheur d’enfermer en paix.
En 1992, Benoît Van Keirsbilck a internationalisé le débat en créant la section belge de l’ONG Défense des enfants international (DEI), dont il deviendra leprésident en 2000 et même le trésorier de la section internationale basée à Genève, en 2005. Dans la foulée, il sera aussi membre fondateur etprésident de la Coordination des ONG pour les droits de l’enfant (la Code) pendant dix ans, de 1994 à 2004 et il assure, en parallèle, les formations au SDJ. Uneaccumulation de mandats qui ne pèse que sur son temps personnel – « ils sont effectués à titre bénévole ! » – et ne le décourage pasde se lancer dans de nouveaux projets.
« Des chercheurs de l’UCL ont travaillé pendant plus de dix ans sur les droits de l’enfant. Je trouvais dommage que cette expertise académique ne profite pas auxgens du terrain. » En 2007, il réunit donc ses partenaires du DEI et de l’UCL pour fonder le Centre interdisciplinaire des droits de l’enfant (le Cide) et boucle la boucle eninstituant les trois pôles d’activités du centre : la recherche, la formation et l’action. Le pôle formation se concrétisera dès la rentrée 2008sur les bancs de l’UCL avec un certificat post-universitaire, un master international et une université d’été en droits de l’enfant.
Avec un tel parcours, on s’étonnerait presque de ne pas le retrouver comme Délégué général aux droits de l’enfant… dont le siègeest situé à quelques centaines de mètres des bureaux du SDJ Bruxelles. Benoît Van Keirsbilck esquisse un sourire. « En seize ans, je n’ai mis qu’une seulefois les pieds dans ces bureaux. Je ne partageais pas vraiment les vues de Claude Lelièvre sur la fonction, c’est pourquoi j’avais été candidat, il y a quatre ans.Cette fois, je ne me suis pas présenté, j’ai pris des engagements avec la DEI, le Cide et je tiens à les respecter. Mais je suis optimiste quant àl’évolution de l’institution. Je pense que nous allons pouvoir établir des synergies. »
Garder la foi
Avec bientôt un quart de siècle d’expériences au SDJ et autant d’années à cumuler les expertises (DEI, Cide, Code, Plate-forme), des rythmes detravail infernaux – « les 35 heures, je les fais deux fois par semaine ! » – les désillusions qui succèdent aux victoires, Benoît Van Keirsbilck pourraitparfois se prendre pour le Don Quichotte des droits des jeunes. D’autant plus qu’il lui a souvent fallu se battre avec peu de moyens. En vingt-trois ans, l’effectif du SDJ estpassé de une à dix personnes. « La courbe de croissance est plutôt lente par rapport à d’autres AMO. Je crois qu’il n’y a pas de hasard. J’aiun jour été reçu dans un cabinet ministériel et le message a été on ne peut plus clair : « Si tu arrêtes la publication du JDJ, on double tessubsides. »
Face aux pressions, mais aussi aux réactions émotionnelles, aux faits divers montés en épingle, aux tabous qui tombent – « avec le ‘mosquito’,ce répulsif anti-jeunes, on est en pleine dérive fasciste ! » – comment l’homme parvient-il à garder la foi ? Il souligne les victoires dont chacune, mêmela plus modeste, est une raison de poursuivre le combat. « Les suites de l’affaire Tabitha4 ou la libération d’un centre fermé, il y a quelques jours,d’une famille albanaise, ce sont des victoires qui font que ça en vaut la peine. » Reste tout de même un questionnement, sans doute celui qui lui sert de moteur depuis autantd’années : quelle place notre société laisse-t-elle à la jeunesse ? Il s’inquiète du seuil de tolérance sociale qui semble diminuer àl’égard des jeunes ou du moins, de « certaines catégories de jeunes ». Il rappelle que l’émotion populaire n’a que peu de rapport avec laréalité, « le nombre de crimes commis par des enfants n’a pas changé depuis 150 ans ! » et termine par une pirouette. « La délinquance des jeunesn’augmente pas, elle change simplement de visage. Pour paraphraser un sociologue français, on peut évidemment estimer qu’il y a 100% plus de vols de gsm aujourd’huiqu’il y a trente ans ! »
1. Service droit des jeunes de Bruxelles
– adresse : rue Marché-aux-Poulets, 30 à 1000 Bruxelles
– tél. : 02 209 61 61
– courriel : bruxelles@sdj.be
– site : http://www.sdj.be
2. Il a suivi un graduat à l’Institut supérieur de formation sociale.
3. Arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme qui a condamné la Belgique le 29 février 1998 pour l’article 53 de la loi du 8 avril 1965 qui permettaitd’emprisonner un mineur pour une durée de quinze jours maximum. L’article sera abrogé treize ans plus tard et remplacé par la loi du 1er mars 2002 relativeau placement provisoire de mineurs ayant commis un fait qualifié d’infraction et qui permet de placer un mineur dans un centre fédéral fermé pour une durée de deuxmois et cinq jours.
4. L’État belge a été condamné par la Cour de Strasbourg à verser 35 000 euros à la fillette, pour « privation indue de liberté » et« traitement inhumain ». Tabitha, cinq ans, avait été enfermée pendant deux mois, seule, avant d’être expulsée vers la RDC.