Combien de sans-abri sont retrouvés morts de froid dans les rues berlinoises chaque année ? Aucun, à en croire les principales organisations allemandes oeuvrant dans le secteur. Ce phénomène ne relève pas du miracle mais d’une excellente collaboration entre les différents acteurs de l’aide aux SDF. La Berliner Kältehilfe, dispositif créé en 1989, est mise en place depuis le 1[x]er[/x] novembre dans la capitale allemande. Retour sur un succès qui ne se dément pas.
Soumise à un climat continental, Berlin peut connaître des hivers extrêmement rudes, capables de plonger la ville, de novembre à mars, sous une neige qui ne fondra pas, tant le thermomètre stagne continuellement dans le négatif. Une situation critique pour les SDF ? Ce n’est pourtant pas de froid qu’ils mourront. Au plein cœur de l’automne, tandis que les premiers frileux chaussent leurs bottes d’hiver, les associations se préparent d’arrache-pied à lutter contre les pires températures, pour venir en aide aux 500 à 600 sans-abri qui peupleront la capitale cette année encore.
La Kältehilfe : arme de destruction massive contre le froid
Chaque 1er novembre débute à Berlin la Kältehilfe. Le dispositif, déployé cinq mois durant, est assuré par les Églises catholique et protestante via les associations Caritas et Diakonie, travaillant de concert avec la Deutsches Rotes Kreuz (la Croix-Rouge allemande). But de l’opération ? Ne laisser aucun SDF mourir de froid dans l’une des innombrables rues de la capitale. Pour atteindre cet objectif, trente établissements ouvrent leurs portes à ceux qui n’ont plus de logement : seize hébergements d’urgence et quatorze cafés « nocturnes ». En tout et pour tout, 430 lits seront disponibles pour cette saison 2012-2013. Afin d’amener les sans-abri à bon port dans l’un des centres, la Berliner Stadtmission – membre du réseau Diakonie et principale organisation venant en aide aux SDF – sillonnera la capitale au volant de ses deux « kälte Busser ». Par moins 10° C, nombreux sont les SDF n’ayant même plus la force de se rendre dans l’un des hébergements de la ville. L’utilisation de ces véhicules permet d’effectuer d’incessants va-et-vient à la recherche des âmes perdues. S’ajoute également le bus de la Croix-Rouge, qui distribuera sacs de couchage et boissons chaudes.
L’aide est en partie financée par les deux grandes communautés ecclésiales allemandes, via l’impôt destiné aux églises, que paie tout employé rattaché administrativement à l’Eglise catholique ou à l’Eglise protestante. L’Etat, par l’intermédiaire des mairies de quartier, fournit également un budget de deux millions d’euros par an. Mais selon Ortrud Wohlwend, porte-parole de la Berliner Stadtmission, si Berlin peut se vanter de ne pas laisser ses sans-abri mourir de froid par des hivers aussi durs, c’est avant tout grâce à la générosité de ses habitants ! Des sacs de vêtements affluent tout au long de l’année. « Il n’y a même plus besoin de demander, les Berlinois ont le réflexe de donner », confie la porte-parole. Autres qualités dont peuvent se prévaloir les habitants de la capitale : une attention et une vigilance à toute épreuve. « Ils gardent les yeux ouverts, explique Ortrud Wohlwend, lorsqu’ils voient quelque chose qui cloche, ils appellent tout de suite le numéro d’urgence pour qu’on vienne voir ce qu’il se passe. »
La Berliner Stadtmission : un accueil sur mesure
La Berliner Stadtmission, le plus grand centre d’accueil de la capitale, est situé près de la Berlin Hauptbahnhof – gare principale de la ville. À partir du 1er novembre, il ouvre ses portes chaque soir de 21 h à 22 h. Sur la pancarte qui orne la porte d’entrée de l’établissement, le message d’accueil est inscrit en plusieurs langues afin d’être compris par tous. Depuis plusieurs années, on note en effet une arrivée massive de personnes provenant des pays de l’Est (Ukraine, Russie, Pologne…) mais aussi des Balkans. Tous ces êtres dans le besoin savent que Berlin fournit une aide aux SDF efficace. À la Berliner Stadtmission, comme dans les autres hébergements de la ville, tout le monde est accueilli sans distinction : aucun papier d’identité n’est demandé pour franchir les portes. « Le besoin ne connaît pas de frontières », comme le rappelle Ulrike Costa, présidente de Caritas. Premier geste effectué par ces « visiteurs d’une nuit » : donner à l’entrée leurs effets personnels afin d’éviter de se les faire dérober pendant la nuit. Ils reçoivent alors un jeton qu’ils rendront le lendemain pour récupérer leurs affaires. Une fois dans le réfectoire, les convives choisissent un repas chaud parmi les menus préparés grâce aux denrées collectées par les Berliner Tafel (équivalent berlinois des Restos du cœur). « Nous faisons toujours tout en grande quantité, indique Ortrud Wohlwend, tout le monde doit quitter la table le ventre plein, aussi bien le soir qu’au petit-déjeuner. »
Une fois le repas pris, les visiteurs se dirigent vers les dortoirs. Avant d’accéder à la chambre, ils doivent impérativement passer une visite médicale, assurée par la doctoresse Jutta Herbst-Oehme qui, depuis des années, exerce le jour dans un des quartiers les plus chics de la ville, et le soir en tant que bénévole pour la Berliner Stadtmission. Les examens, poussés, visent à déceler toute maladie éventuelle. Les SDF ne disposent plus de couverture sociale depuis bien longtemps… Que se passe-t-il si l’un d’entre eux nécessite des soins d’urgence ? « Un seul hôpital les accepte gratuitement », répond la porte-parole qui ne nous fournira pas le nom de cet établissement qui, en procédant ainsi, se place dans l’illégalité !
Les dortoirs se situent dans la Jugendhaus. L’établissement a deux fonctions : sur plusieurs étages, il joue un rôle d’auberge de jeunesse classique accueillant familles, groupes d’amis, classes en excursions, backpakers. Dans ses sous-sols, se trouvent les diverses pièces utilisées pour le logement des sans-abri : trois chambres pour les hommes, une pour les femmes, une pour les malades et la dernière destinée à recevoir les SDF accompagnés de leur chien. Pour Ortrud Wohlwend, il est important d’éviter la ghettoïsation des sans-abri. « Ils font partie de la ville », renchérit-elle. Dans ce même complexe, se trouve donc également un « home » où vivent des jeunes volontaires et des étudiants montant toutes sortes de projets avec l’organisation.
Un suivi possible, mais rarement souhaité
Les sans-abri doivent quitter l’accueil de nuit à 8 h du matin, après le petit-déjeuner. Ils ont alors la possibilité de s’entretenir avec les conseillers sociaux présents sur place. Parmi les centaines de SDF qui atterrissent à la Berliner Stadtmission chaque année, seule une dizaine parvient à s’extraire du monde de la rue. « S’il le souhaite, n’importe quel SDF peut se retrouver avec un toit sur la tête et un vrai lit en moins de 24 heures », affirme Ortrud Wohlwend. Malheureusement, ces perspectives optimistes sont constamment empêchées par des difficultés psychologiques très poussées. Les organisations réclament d’une même voix la mise en place d’un véritable suivi psychologique pour les sans-abri.
Si le système d’aide aux SDF est sur plusieurs points perfectible, il n’en demeure pas moins l’un des meilleurs d’Europe. Engagement financier de l’État, solidarité citoyenne continue et efficacité logistique semblent être les ingrédients de cette recette gagnante !
Le dispositif Kältehilfe a été fondé en 1989. Sous la RDA, celui qui ne payait pas son loyer n’avait que faire des lettres de rappel : il savait qu’il ne craignait rien car il ne serait jamais mis dehors. À la chute du Mur, de nombreux démunis ont poursuivi dans cette voie, se gardant de prendre au sérieux les avertissements qui se succédaient en cas d’impayés. Erreur… La sentence fut sans appel : la réunification de deux Allemagnes fit exploser le nombre de sans-abri à Berlin. Si la tendance a fini par s’inverser à la fin des années ’90, elle repart à la hausse depuis quelques années en raison de la montée du chômage et d’une augmentation significative des loyers : + 8 % entre 2009 et 2011.
http://www.kaeltehilfe-berlin.de