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Regard critique · Justice sociale

Emploi/formation

Bernard Clerfayt: «Les gens ont envie d’être maîtres de leur destin»

Après Didier Gosuin – entre 2014 et 2019 -, c’est un autre sociétaire de DéFi qui a pris les rênes de l’Emploi et de la Formation à Bruxelles. Bernard Clerfayt a répondu à nos questions, quelques mois après son entrée en fonction comme ministre.

Après Didier Gosuin – entre 2014 et 2019 –, c’est un autre sociétaire de DéFi qui a pris les rênes de l’Emploi et de la Formation à Bruxelles. Bernard Clerfayt a répondu à nos questions, quelques mois après son entrée en fonction comme ministre.

Alter Échos: Vous voilà ministre alors que vous étiez confortablement installé dans votre siège de bourgmestre de Schaerbeek depuis presque 20 ans. Qu’est-ce qui s’est passé?

Bernard Clerfayt: Il y avait un challenge. On m’a demandé de tirer la liste et je me suis pris au jeu. Je suis encore très attaché à ma commune. Je n’ai pas quitté Schaerbeek, je la vois depuis ma fenêtre ici dans ce bureau. J’y rentre tous les soirs, je m’y promène le week-end. Je suis bourgmestre en congé mais j’accompagne l’équipe qui est en place pour les grands choix, les grandes orientations. Ce poste de ministre, c’est un nouveau challenge, un nouveau défi, c’est passionnant. Parfois, depuis la maison communale, je me disais: «Ah, ce serait mieux si la Région travaillait sur tel ou tel point.» Eh bien, voilà, c’est l’occasion de mettre cela en pratique et de voir de l’intérieur comment on peut contribuer à ce que cette Région réussisse mieux que ce qu’elle n’a fait par le passé. Et si la Région va mieux, Schaerbeek ira mieux aussi.

A.É.: Vous avez l’Emploi et la Formation, comme votre prédécesseur Didier Gosuin, mais plus l’économie, qui est passée entre les mains de Barbara Trachte et s’appelle désormais transition économique…

B.C.: Ils ont effectivement coloré l’économie du mot transition qui est le nouveau terme qui remplace le développement durable… Il s’agit d’une transition vers une nouvelle manière de produire, de travailler, de consommer. Cela aurait peut-être été plus cohérent d’avoir aussi l’économie. Mais le choix de répartition des compétences dépend de tellement d’impératifs, des rapports de force entre les partis politiques, du besoin de satisfaire les envies de tout le monde dans l’équilibre global des choses. Il y a des ordres de tirages, des mécaniques particulières, etc. Je n’étais pas dans la négociation sur les compétences.

A.É.: Par contre, vous avez la transition numérique…

B.C.: Oui, et il s’agit quand même d’un enjeu fondamental qui a un lien très fort avec la formation professionnelle et les emplois de demain. La digitalisation de l’économie va bouleverser notre manière de travailler.

A.É.: Quelle lecture faites-vous de la situation du marché de l’emploi à Bruxelles?

B.C.: S’il y a bien quelque chose qui est fondamental pour la citoyenneté au sens large, c’est le fait que chacun puisse trouver un emploi, que chacun puisse maîtriser son projet de vie. Bien sûr, ça n’interdit pas qu’il y ait d’autres mécanismes qui viennent en aide à ceux qui sont en difficulté, au chômage le plus temporairement possible. Tout cela doit exister, mais les gens en général ont envie d’être maîtres de leur destin, de dire: «J’ai une place dans la société parce que j’exerce une fonction qui est utile à la société.» C’est fondamental, surtout en Région bruxelloise où le chômage touchait 20% de personnes il y a cinq ans, 15% maintenant.

A.É.: On est quand même encore à près de 90.000 demandeurs d’emploi à Bruxelles…

B.C.: Bruxelles est une ville où il y a encore, pour beaucoup de raisons, un taux d’emploi qui est très faible. La ville est plus jeune, et les jeunes étudient… C’est aussi dû au phénomène migratoire qui fait que, dans certains milieux, il existe une prégnance de visions plus patriarcales qui font que les femmes ne se projettent pas encore comme des actrices de leur propre vie professionnelle. Avec le temps, cela change, mais c’est un fait qui marque Bruxelles. Nous en sommes à presque 57% de taux d’activité alors que l’Europe a fixé un objectif de 75% (NDLR: via la stratégie 2020). L’enjeu à Bruxelles, ce n’est pas de créer de l’emploi, il existe 800.000 emplois, 100.000 postes sont ouverts chaque année. L’enjeu, c’est de faire en sorte que les Bruxellois puissent être gagnants dans les entretiens d’embauche.

A.É.: Il faut aussi parfois être capable de les «accrocher», ces Bruxellois. Dans la déclaration de politique générale, vous dites vouloir vous pencher particulièrement sur les Neet’s (Not in employment, education or training), ces jeunes qui ne sont ni à l’emploi, ni aux études, ni en formation. Or ces jeunes semblent particulièrement insaisissables vu qu’ils ne sont «enregistrés» nulle part. Comment comptez-vous vous y prendre?

B.C.: Je n’ai pas la solution miracle. Par contre, il y a une volonté très forte de s’attaquer au problème. On ne va pas réinventer la poudre, on va s’inspirer de ce qui se fait ailleurs, au niveau de l’OCDE, au niveau européen. Et surtout, nous allons nous appuyer sur les associations de terrain qui, plus que les grandes structures comme Actiris, sont susceptibles d’être en contact avec ce public-là.

A.É.: Justement, même les structures de terrain sont en difficulté avec ce public…

B.C.: Je vais vous raconter une expérience issue de mon expérience locale. À Schaerbeek, nous avons une mission locale, comme dans toutes les communes, dont la mission est de traiter, au plus près des quartiers, les problématiques d’emploi et de formation professionnelle. Via un contrat de quartier, nous nous étions demandé comment, à travers ce mécanisme très concentré d’intervention publique sur quatre ou cinq îlots, nous pouvions tenter de trouver une solution au problème de l’accroche des Neet’s. Mais la mission locale n’était pas intéressée. Elle nous avait dit: nous sommes à 800 mètres de là, dites aux jeunes de venir chez nous. Or comme il s’agit d’un bâtiment qui est trop institutionnalisé pour ces Neet’s, les jeunes ne s’y rendaient pas. C’est finalement un long travail de proximité qui les a raccrochés via le secteur associatif local. Il faut sortir du programme institutionnel, il faut un travail plus souple, travailler avec le réseau associatif. On ne va pas en inventer un nouveau, il existe déjà et il faut collaborer avec lui.

A.É.: Il semble que vous souhaitiez orienter plus précisément les organismes d’insertion socioprofessionnelle sur cet enjeu, tout en renforçant leurs moyens. Vous avez les budgets?

B.C.: Parler de budget est un peu trop tôt parce que nous découvrons l’état de la situation qui est un peu plus tendu que nous le pensions. C’est très bien, ça va nous amener à faire des choix. C’est peut-être plus facile de jouer à Saint-Nicolas et de distribuer de l’argent à tout le monde mais ce n’est pas comme ça qu’on fait les politiques les plus efficaces et les plus intelligentes. L’objectif, c’est bien de parvenir à analyser quelles sont les formations qui ont les plus forts taux de réussite en termes d’insertion par l’emploi.

A.É.: Vous dites effectivement dans la déclaration de politique générale que vous voulez faire une évaluation du taux d’insertion dans l’emploi à l’issue des formations.

B.C.: Nous allons demander à view.brussels d’évaluer quelles sont les formations qui ont le plus fort taux d’insertion ou de retour à l’emploi. Et sur la base de cela, nous ferons un travail qui va guider nos choix. Je ne dis pas que nous allons nécessairement supprimer les formations qui ont le taux le plus faible. Il existe bien sûr des formations qui sont des formations préqualifiantes comme l’alphabétisation… Mais il s’agit d’orienter les moyens au mieux.

A.É.: Pour cela, vous semblez vouloir aussi insister sur la coordination des différents acteurs de la formation et de l’emploi. Une volonté qui était déjà présente en 2014 dans la déclaration de politique régionale du gouvernement précédent. C’est compliqué?

B.C.: C’est très compliqué. Cela fait plus de 15 ans que l’on parle de politiques croisées, de faire travailler ensemble le secteur de l’économie, de l’emploi, de la formation. On l’annonce à peu près à chaque déclaration gouvernementale depuis le début du siècle. Et cela reste compliqué parce que le contexte institutionnel bruxellois est complexe. La volonté de le dépasser ne signifie pas qu’on avait tous les moyens pour aller au bout de la logique. La bonne nouvelle, c’est que depuis le gouvernement précédent – NDLR: avec Didier Gosuin –, il y a à chaque fois un ministre qui a les compétences emploi et formation entre ses mains. Mon prédécesseur a d’ailleurs déjà fait un énorme travail de mise en commun de certaines choses. Il a ainsi réuni le service d’analyse statistique d’Actiris et de Bruxelles Formation au sein de view.brussels qui coordonne l’analyse des chiffres pour impulser des orientations générales aux politiques d’emploi et de formation. Sous Gosuin, Actiris a été le prescripteur de formations à Bruxelles Formation ou au VDAB. C’est une forme de coordination bien plus forte que celle qu’il y avait auparavant.

A.É.: Concernant les opérateurs de terrain, comme les ALE, les CPAS, les missions locales, il y a aussi une volonté de mieux les coordonner et, de nouveau, cette volonté se trouvait aussi dans la déclaration de 2014…

B.C.: C’est un dossier qui n’a pas encore beaucoup avancé. Parce qu’il est compliqué, qu’il y a des résistances, qu’il y a des craintes. Je n’ai pas encore entendu une proposition qui entraîne tout le monde dans un enthousiasme extraordinaire. C’est un enjeu important: comment conjuguer l’efficacité et la cohérence d’une vision et d’une gestion régionale centralisée, d’une analyse des besoins, des emplois de demain, des formations qui l’accompagnent, et être en même temps assez proche du terrain pour pouvoir intégrer tous les quartiers, toutes les populations dans une dynamique d’inclusion vers l’emploi. Je n’ai pas encore la solution.

A.É.: Vous insistez beaucoup sur la formation en alternance, comme votre prédécesseur Didier Gosuin d’ailleurs.

B.C.: 85% des jeunes qui s’inscrivent en formation en alternance trouvent un emploi dans les six mois. Soit dans l’entreprise qui les a accueillis en formation, soit dans une autre entreprise. C’est assez exceptionnel. Didier Gosuin a simplifié les procédures par le passé, en donnant une série d’incitants pour encourager cette filière-là. Et pour l’entreprise, c’est aussi un avantage. Je ne cesse d’insister auprès des entreprises pour leur dire qu’il s’agit pour elles d’une excellente occasion de former la personne en fonction de leurs besoins propres.

A.É.: Les entreprises ne sont pas toujours très motivées à l’idée d’accueillir un jeune en formation en alternance…

B.C.: J’ai déjà fait des discours devant les entreprises à quatre reprises, et quatre fois j’ai parlé de la formation en alternance. Je leur en parle systématiquement, je fais la retape du système. Il s’agit d’une réponse parfaite à la complainte qu’on entend parfois de la part des entreprises qui disent qu’elles ne trouvent pas les bons travailleurs. Ce n’est pas vrai: il y a des tonnes de jeunes qui ont envie de travailler. Et la formation en alternance est une solution à ce problème.

A.É.: Toujours concernant les jeunes, vous dites vouloir étendre la garantie jeune, qui se fait fort de proposer un emploi, une formation ou un stage à tous les jeunes de moins de 30 ans dans les six mois suivant leur inscription, à tous les demandeurs d’emploi. Est-ce réaliste, notamment d’un point de vue budgétaire?

B.C.: La garantie jeune a très bien fonctionné. C’est en partie grâce à cela que nous sommes arrivés à avoir une baisse régulière du taux de chômage des jeunes en Région bruxelloise. Étendre ce dispositif est donc une bonne idée. La dernière question, c’est de savoir si on aura les moyens de le faire. Je ne peux pas décider à l’avance quel sera le contexte budgétaire et de combien d’emplois supplémentaires nous pourrons doter Actiris pour réaliser l’accompagnement nécessaire. De plus, la garantie jeune est cofinancée par l’Union européenne. En 2021, nous allons devoir renégocier cela. Nous nous y préparons déjà.

 

Julien Winkel

Julien Winkel

Journaliste

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