Changement de pays, changement de décor. Radical. On quitte le Rwanda, ses routes bitumées, ses sentiers bien entretenus, sa pauvreté sous contrôle, pour laRépublique démocratique du Congo et son chaos. Le terme n’est pas exagéré : dès le passage de la frontière, le choc est brutal.
Fallait-il s’attendre à autre chose ? Le Congo mérite tous les superlatifs dès lors que l’on s’attarde sur les conditions de vie de seshabitants. Un niveau de pauvreté parmi les plus élevés au monde – 84% de la population vit sous le seuil de pauvreté –, une espérance de vie quidépasse à peine les quarante ans, la malnutrition qui touche près d’un enfant sur deux, les pandémies (sida, malaria…) qui déciment lesfamilles1. Dans ce contexte, les enfants (qui représentent plus de la moitié de la population !) sont les premières victimes du délabrementgénéralisé : moins d’un sur deux a accès à l’école, des centaines de milliers vivent dans ou de la rue et parmi eux de nombreux orphelins,environ 30 000 ont été enrôlés dans les forces armées et des milliers de fillettes sont contraintes à la prostitution. Le tableau de la jeunesse pourraitdifficilement être plus sombre. « Kinshasa, c’est devenu très difficile, il y a une grande pauvreté, mais le pire du pire, c’est à l’Est, dans leKivu », nous dira une jeune femme congolaise, venue se soigner au Rwanda, « parce qu’au Congo, on ne trouve pas tous les médicaments ».
Le contraste est d’autant plus frappant que la frontière entre les deux États est poreuse pour les habitants de la région. Ainsi, les Rwandais vontétudier à Goma, « parce que l’université est beaucoup moins chère qu’au Rwanda » et les Congolais vont se soigner ou acheter des denréesalimentaires à Kigali. La route qui passe des villes jumelles de Gisenyi la rwandaise à Goma la congolaise est bitumée d’un côté, boueuse et caillouteuse de l’autre.Goma, ville martyre s’il en est. Des flots de réfugiés fuyant le génocide rwandais, aux flots de déplacés fuyant la fureur du volcan Nyiaragongo, puis les exactionsdes diverses factions armées (de Kabila à Nkunda, en passant par les Forces de libération du Rwanda), la ville n’a pas été épargnée. Ses camps deréfugiés ont compté des centaines de milliers de personnes et subi des épidémies de choléra meurtrières.
Ce n’est pas un hasard si la ville est devenue l’un des endroits au monde où l’on croise le plus de personnel humanitaire et d’associations d’aide à l’enfanceau mètre carré. Inutile de les citer, ils sont tous là, dans ce chef-lieu d’une région où vivent environ 5,5 millions de personnes, passant les frontières enfonction des massacres, des mouvements des belligérants ou des rumeurs.
Goma, donc. Quelques routes se souviennent vaguement qu’elles ont été recouvertes de goudron un jour. Le reste n’est que pistes où se mêlent détritus divers,caillasses et boue. Des bâtiments officiels en dur et des banques, quelques édifices en construction, rivalisent avec les milliers de baraques en planches ou en terre recouvertes detôles, des maisonnettes sans eau ni électricité où l’on ne sait trop s’il faut parler de quartiers pauvres ou de bidonvilles tant la misère suinte de toutes parts.Et partout, des affiches rappellent qu’il ne faut pas violer les femmes, ni enrôler les enfants dans les armées. Bienvenue à Goma.
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Photos : Agence Alter asbl, Bruxelles.
1. Selon les chiffres de la Croix-Rouge Internationale, 84 % des gens vivent avec moins de 2 dollars par jour, l’espérance de vie est de 43,5 ans et 47,2 % de la populationa moins de quinze ans.