L’espace P veut faire se rencontrer deux univers que tout oppose en apparence : les prostituées de la Gare du Nord et les populations majoritairement musulmanes qui vivent dans le quartier.
« Avant, quand une femme musulmane passait devant une vitrine, elle baissait la tête. Aujourd’hui, on voit des habitantes et des prostituées se dire bonjour », se réjouit Delphine Rigolet, assistante sociale à l’Espace P1 Dans la foulée du contrat de quartier Aerschot-Progrès lancé en 2002, l’Espace P est désigné sur le volet social pour travailler la cohabitation entre les habitants et les prostituées du quartier. L’art et la culture s’imposent rapidement comme un moyen de se faire rencontrer ces univers. Dans une dynamique participative, deux expositions, intitulées « Neon Nord », sont organisées sur le thème de la prostitution. Une bande dessinée est réalisée avec les étudiants de l’école voisine de Sint-Lukas.
Un disque est également enregistré avec les prostituées et les jeunes fréquentant le Cedas, une asbl voisine. « Au début les jeunes ne voulaient pas les rencontrer. Pour eux, les prostituées n’étaient que « des fainéantes », des femmes « qui ne méritent pas le respect ». Pourtant, le jour de la première réunion, ils ont été une bonne quinzaine à faire le déplacement. Après avoir écouté l’une de ces femmes raconter son histoire, le leader du groupe s’est levé pour s’excuser publiquement », se souvient Delphine. « Dans son témoignage, elle est partie du fait qu’en tant que musulmans, ces jeunes étaient victimes de discriminations, tout comme elle. D’une certaine façon, il s’est reconnu dans son histoire ». Depuis lors, ils ont gardé des liens et organisent ensemble des modules de sensibilisation sur la prostitution !
Faire tomber les étiquettes
Bien sûr, les choses ne sont pas toujours aussi simples. Les clichés ont la vie dure et le public reste difficile à mobiliser de part et d’autre. « Ce sont les habitantes qui ont le plus de questionnements sur notre public. Elles ne savent pas comment aborder la question avec leurs enfants, elles s’inquiètent pour leurs maris », remarque Delphine. De leur côté, la majorité des prostituées qui participent sont des femmes militantes, indépendantes, implantées dans le quartier et désireuses de le faire évoluer. Les jeunes femmes originaires des pays de l’Est qui travaillent dans les bars, dans des conditions parfois très éprouvantes et sous la coupe de réseaux, restent difficiles à toucher. « Et puis, pour les prostituées, le temps c’est de l’argent. Elles n’ont pas toujours la disponibilité de venir à nos activités », ajoute Delphine.
En 2006, l’Espace P réalise une enquête sur les problématiques du quartier. Là où les sondages menés précédemment pointaient la prostitution comme principale source de nuisance du point de vue des habitants, elle ne figure plus qu’en cinquième place, après la propreté ou la sécurité. Ce qui incite l’association à choisir précisément ces deux enjeux pour travailler la cohésion sociale. Une campagne d’affichage sur la propreté publique est organisée et des travailleurs d’espace P se forment à donner des cours de « self defense » aux riveraines et aux prostituées. « Ce sont des moments où les étiquettes tombent. Il ne s’agit plus de musulmanes ou de prostituées, mais de femmes qui parlent de ce qui les préoccupe de façon commune. »
1. Espace P
– adresse : rue des Plantes, 116 à 1030 Schaerbeek
– tél. : 02 219 98 74
– courriel : espacepbxl@hotmail.com
– site : http://www.espacep.be