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Citoyenneté

Bourrés et repus, mais citoyens

Altérez-vous est un « café citoyen » situé à Louvain-la-Neuve. Détail qui tue : la structure est constituée en coopérative et tente de promouvoir la consommation responsable et locale. Avant d’exporter son modèle ?

(c) Nastassja Rankovic

«Altérez-vous» est un café citoyen situé à Louvain-la-Neuve. Détail qui tue: la structure est constituée en coopérative et tente de promouvoir la consommation responsable et locale. Avant d’exporter son modèle?

«Faites tous chier! Y’en a marre ici!» Surgi presque de nulle part, l’homme tient une chaise au-dessus de sa tête, dans un geste de défiance. Alors que tout le monde se fige, il la projette soudainement sur la table en face de lui, avant de sortir comme si de rien n’était. Le silence retombe dans le café encore fermé, mais dont les portes bâillent aux quatre vents. Il fait chaud et on avait donc pensé qu’il serait bon d’aérer un peu… Une aubaine pour le garçon – visiblement un peu agité – qui continue ses imprécations à l’extérieur, à destination des passants. «On le connaît, c’est un des deux ou trois originaux du quartier», lance Sorina Ciucu, sans perdre son calme. L’événement aurait pu casser l’ambiance, mais il n’en est rien. Dans ce petit établissement situé au cœur de Louvain-la-Neuve, on prépare le service du midi à la fraîche. Les travailleurs se taquinent, une voisine vient demander un nettoyeur haute pression à prêter. Et Sorina Ciucu touille dans son thé, un sourire aux lèvres.

«On était bénévoles Oxfam, on allait à des débats et on voyait toujours les mêmes personnes.» Sorina Ciucu

Voilà sept ans que cette jeune femme originaire de Roumanie a lancé «Altérez-vous», un «café citoyen», avec l’aide de son compagnon et d’autres comparses. Constitué en coopérative à finalité sociale, l’établissement propose une carte «à 90% bio» ou équitable, de saison, issue en grande partie de producteurs locaux. Mais parce que les principes ne nourrissent pas toujours leur homme, «Altérez-vous» essaie aussi «de faire de bons plats, qui plaisent aux gens et qui ne sont pas intéressants juste parce qu’ils proviennent d’une structure d’économie sociale», précise celle qui s’occupe aujourd’hui de tout ce qui a trait à l’opérationnel, la gestion journalière de l’endroit. Une vie de tous les jours qui comprend aussi d’autres formes d’activités: des concerts, des ateliers ou des tables de discussion pour le côté convivial. De l’impro, des goûters solidaires ou des brunchs documentaires pour le versant sensibilisation. Et un service traiteur.

Une petite dose de crânerie

Si aujourd’hui l’affaire semble rouler – «nous devrions être à l’équilibre cette année», explique Sorina –, les débuts ont parfois été plus compliqués. À 22 ans, pas facile de se lancer dans une affaire alors que l’on n’a pour soi parfois que ses rêves et ses envies. «On était bénévoles Oxfam, on allait à des débats et on voyait toujours les mêmes personnes, les convaincus, tu vois ce que je veux dire», lance notre interlocutrice avec un clin d’œil. Germe alors l’idée de créer un endroit où on pourrait se retrouver pour boire un verre après des débats enflammés sur le chocolat ou le thé équitable. Et pourquoi pas prêcher aussi la bonne parole auprès de ceux que le sujet ne passionne pas au premier abord. Après tout, on est à Louvain-la-Neuve.

En 2008, la bande met la main sur un endroit, place des Brabançons, où les commerces ferment les uns à la suite des autres. C’est la crise, «et c’est vrai que c’était un moment un peu bizarre pour lancer quelque chose», admet Sorina. Pourtant, le projet démarre, avec une petite dose d’incertitude et de crânerie. «Ici les gens ne prennent pas de risque, ils sont très frileux, juge Sorina. Et quoi? Il ne faut pas attendre que la coopérative amène tout l’argent avant de se lancer…» Le groupe joue donc son va-tout et met 50% des fonds de départ de sa propre poche. Les 50 autres pour cent proviennent d’un prêt chez Crédal pour une moitié et de l’apport des coopérateurs pour l’autre.

Aujourd’hui, la structure comprend onze équivalents temps pleins, dont huit sont rémunérés à 100% par Altérez-vous.

Au début, l’établissement ne sert qu’une petite restauration végétarienne et à boire, pour presque pas un rond. Il prend aussi son rôle d’évangélisation solidaire très à cœur. Les animations se multiplient, les débats s’enflamment à un rythme démentiel. Au point «de faire fuir les gens. On nous prenait pour une secte», rigole Sorina Ciucu. Résultat: seuls les mêmes motivés «oxfamiens» osent encore fréquenter les lieux, les fameux convaincus… Bye bye donc l’ouverture aux moins convaincus…

Conscients qu’ils vont droit dans le mur, Sorina et sa bande décident donc de changer leur fusil d’épaule. Et de tenter une approche par les flancs… La structure s’organise, apprend à communiquer, se professionnalise. Elle centre son approche sensibilisation sur «trois ou quatre projets toute l’année». Des happenings d’improvisation ont ainsi lieu régulièrement afin de sensibiliser les gens sans les bousculer. «Nous nous sommes rendu compte que les gens venaient chez nous parce que c’était bon, pas parce que nous sommes une coopérative», note Sorina. Des goûters solidaires tentent aussi de rendre le public plus mixte. Le système est simple. Lors de ces goûters, le café renonce aux pourboires, qui sont collectivisés dans une caisse. Le café rajoute ensuite le double pour pouvoir financer par après au minimum un goûter/par personne chez «Altérez-Vous» à destination d’un public fragilisé: étudiants étrangers, réfugiés, etc.

«Nous nous sommes rendu compte que les gens venaient chez nous parce que c’était bon, pas parce que nous sommes une coopérative» Sorina Ciucu

Résultat des courses, le projet s’ancre doucement dans le terreau de Louvain-la-Neuve. «Nous voulons travailler de plus en plus avec des cultivateurs locaux», explique Sorina Ciucu. Avant de rajouter, un sourire en coin: «Nous avons même créé une bière avec une brasserie.» Aujourd’hui, la structure comprend onze équivalents temps pleins dont huit sont rémunérés à 100% par «Altérez-vous». «Notre projet attire pas mal de monde de par ses valeurs, explique Sorina Ciucu. Nous avons eu ainsi pas mal d’‘intellectuels’ qui ont voulu travailler ici. Mais sur le terrain de l’horeca, ils ne tiennent pas souvent le coup. Aujourd’hui, nous engageons donc plus du personnel ayant une expérience dans l’horeca. Et puis nous essayons de leur transmettre les valeurs solidaires et d’économie sociale», sourit malicieusement la jeune femme.

À parler d’économie sociale, la coopérative compte 140 coopérateurs parmi lesquels on trouve certains travailleurs ainsi que certains producteurs collaborant avec Altérez-vous. Si l’assemblée générale se réunit deux fois par an, des brunchs de coopérateurs et des groupes de travail sont organisés régulièrement.

Bientôt un réseau?

Altérez-vous a également un gros dossier sur le feu: la création d’une sorte de réseau de cafés solidaires. Depuis sa création, les porteurs du projet sont régulièrement sollicités par d’autres personnes intéressées par le modèle. «Nous avons donc réfléchi à créer un réseau», explique Sorina. Si des structures éventuelles sont intéressées par le fait de s’inspirer de l’expérience d’«Altérez-vous» et de s’inscrire dans le réseau, elles seront ainsi libres de le faire. Mais à une condition: signer une charte. Six autres structures sont aujourd’hui partantes. Une réunion a d’ailleurs déjà eu lieu. Vous pourrez donc bientôt manger et picoler solidaires un peu partout.

Julien Winkel

Julien Winkel

Journaliste

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