La mobilisation contre le service communautaire ne faiblit pas. Même s’il n’est pas obligatoire, les associations poussent les CPAS à exprimer clairement leur opposition et à le boycotter. Un geste purement symbolique? Ou une indispensable réaction politique? Et avec quels résultats?
La généralisation du PIIS (Projet individualisé d’intégration sociale) a été, avec la levée du secret professionnel, l’une des mesures les plus controversées prises par le gouvernement dans sa politique des CPAS. La contestation porte surtout sur le service communautaire, cette faculté laissée aux CPAS d’engager un allocataire pour prester un travail bénévole auprès d’une association ou d’une institution dans le cadre de son PIIS. La circulaire donne quelques exemples: intervention dans une maison de soins, participation à la garderie d’enfants, entretien d’un espace naturel… Les CPAS peuvent aussi utiliser le service communautaire pour leurs propres activités.
Les CPAS avaient exprimé leur hostilité à l’égard du service communautaire. Une étude préalable au projet de loi avait aussi mis à mal la proposition du ministre, mais Willy Borsus a passé outre ou presque. Le service communautaire n’est pas obligatoire, mais, s’il est accepté par l’usager, il est formalisé dans son PIIS. Par ailleurs, et c’est là que résident les dérives possibles, il est, selon l’AR, un moyen de prouver la disposition au travail, une des conditions pour obtenir et garder le RIS. Le ministre a présenté le service communautaire comme relevant de la loi sur le volontariat. Une «imposture», disent les opposants car la loi définit le volontariat comme une activité sans rétribution ni obligation. De fait, Willy Borsus s’est attiré une critique cinglante du Conseil d’État qui l’a contraint à retirer cette référence au volontariat dans sa loi comme dans l’arrêté royal mais pas dans la circulaire envoyée aux CPAS.
Très vite, bien même avant la publication de la loi, une très large plateforme associative et syndicale (plus de 60 organisations) s’est mise en place pour appeler au boycott du service communautaire considéré comme une forme de travail forcé. Un courrier a été adressé aux associations pour qu’elles ne répondent pas aux sollicitations éventuelles des CPAS. Cette réforme, dit la lettre, «suscite de nombreuses interrogations. Aujourd’hui, cela concerne les allocataires sociaux. Demain les chômeurs? Quels risques pour la disparition potentielle d’emplois associatifs?».
«C’est une mesure inutile parce que le volontariat est déjà permis pour les usagers du CPAS.», Stéphane Roberti, président du CPAS de Forest
«Nous avons aussi écrit à tous les CPAS pour leur demander de se déclarer ‘hors service communautaire’, explique Aurélie Nisot, pour le Rassemblement wallon de lutte contre la pauvreté. Une vingtaine nous ont répondu, la majorité pour dire qu’ils ne l’appliqueraient pas.» Mais le geste fort, symbolique consistant à voter une motion en ce sens n’a pas le succès escompté (trois ou quatre CPAS). La victoire la plus emblématique pour la plateforme a été obtenue à Liège, où le PS a évincé son partenaire MR et a mis en place une majorité alternative (avec Écolo, le PTB et Vega) pour se déclarer officiellement «hors service communautaire». À Charleroi, malgré la pression de la plateforme, le conseil communal a rejeté une motion en faveur du boycott présentée par le PTB. Le président du CPAS, Éric Massin, qui s’est pourtant battu au parlement fédéral contre la loi Borsus, a fait preuve d’un certain attentisme avant d’assurer qu’il n’appliquerait pas le service communautaire et qu’il avait donné des instructions en ce sens aux assistants sociaux. Pourquoi cette hésitation, alors? Pour ne pas «faire péter» la majorité avec le partenaire MR, a expliqué Éric Massin aux représentants associatifs.
Une posture idéologique
Il n’est pas le seul à se retrouver dans cette situation délicate. La composition des majorités communales joue un rôle évident dans l’adoption ou non d’une motion en faveur du boycott. Plusieurs évoquent les pressions du MR sur les élus locaux. «J’ai assisté à une conférence du ministre qui brandissait des menaces sur les CPAS qui se déclaraient hors service communautaire, explique ce président wallon. En faisant ce genre de déclaration, ces CPAS priveraient les candidats au service communautaire d’une possibilité d’insertion. Et se mettraient donc dans l’illégalité. Cela ne tient pas la route, mais on est clairement dans une posture idéologique de la part du ministre.»
Adopter au conseil communal une motion pour se déclarer «hors service communautaire» est bien sûr aussi un positionnement politique. Qui n’apparaît pas indispensable à plusieurs présidents de CPAS même à ceux qui se sont pourtant engagés contre le service communautaire. «C’est une position symbolique et médiatique», disent-ils. Cette ambiguïté («oui, on est contre le service communautaire, mais, non, on ne va pas plus loin») agace les partisans du boycott qui estiment indispensable de poser un geste fort. Stéphane Roberti (Écolo), président du CPAS de Forest, ne voit pas où est le problème. «J’ai été clair depuis le début, non? Je suis un des premiers à avoir annoncé que je ne l’appliquerais pas.» Et Stéphane Roberti de préciser à la fois son opposition et la nécessité de lutter contre le service communautaire: «C’est une atteinte au droit du travail. C’est une mesure inutile parce que le volontariat est déjà permis pour les usagers du CPAS. Ma position rejoint celle de la plateforme. Je veux éviter que ce soit un pied dans la porte. Que le service communautaire finisse par devenir automatique puis obligatoire. Comme le PIIS qui, au départ ciblé sur les jeunes, s’est étendu à tous les nouveaux usagers.» Mais le président du CPAS de Forest rappelle aussi que cet engagement vaut pour cette législature et qu’il ne peut forcément pas s’engager à ce que Forest soit «hors service communautaire» après 2018. À Bruxelles, poursuit-il, la question du service communautaire n’agite guère les autres CPAS, malgré la campagne de la plateforme. «On n’en parle pas. On en avait beaucoup discuté avant le vote de la loi. Plus après. Mais je sais que certains CPAS appliquent le service communautaire même si leur président avait annoncé qu’il ne le ferait pas.»
Agitation wallonne
La situation est toute différente en Wallonie, où la Fédération wallonne des CPAS s’est sentie obligée de prendre position face aux très nombreux appels qu’elle a reçus de la part de CPAS s’interrogeant sur le boycott du service communautaire. Dans un communiqué, la Fédération rappelle que la disposition légale existe mais que rien n’oblige un CPAS à proposer ce service et insiste sur le fait que refuser un service communautaire dans le cadre d’un PIIS ne peut être considéré comme un refus de travailler. La Fédération ajoute aussi, ce qui apparaît comme un avertissement: «Il appartient maintenant aux services d’inspection du SPP-IS de veiller à ce qu’aucun usager ne se retrouve contraint (même par un simple rapport de forces) à s’engager dans ce type de contrat contre sa volonté.»
«Nous avons voulu couper le feu, explique Alain Vaessen, directeur général de la Fédération. Nous avons constaté que le nombre d’appels ne cessait de prendre de l’ampleur. On nous demandait comment réagir face à l’appel au boycott. Il nous a semblé donc indispensable de préciser à nouveau notre position.» «Le sujet est très sensible, très polémique, poursuit le directeur. Ceux qui sont contre disent redouter que ce qui est aujourd’hui une faculté devienne une automaticité et soit au maintien du RIS. Mais en même temps plusieurs CPAS craignent également qu’en se déclarant publiquement ‘hors service communautaire’, on les accuse de se mettre potentiellement dans l’illégalité.»
«Les échos que nous avons du terrain montrent que très très peu d’usagers désirent travailler gratuitement dans le cadre d’un service communautaire», Alain Vaessen, directeur général de la Fédération des CPAS wallons.
«Nous sommes restés très ‘descriptifs’ dans notre communiqué parce que la Fédération doit respecter les sensibilités différentes», précise Luc Vandormael, président de la Fédération des CPAS wallons et président du CPAS de Waremme, un CPAS qui a décidé de ne pas appliquer le service communautaire. «Nous n’avons jamais caché, comme Fédération, notre hostilité au projet de loi du ministre, mais la loi a été votée et s’impose à nous. Le PIIS est désormais obligatoire pour tous les nouveaux usagers, le service communautaire ne l’est pas, mais il existe et il peut être appliqué. On sait qu’il existe des sensibilités différentes dans les CPAS à ce sujet, y compris chez les travailleurs sociaux. Certains y voient un outil d’insertion sociale. Pour moi, le service communautaire n’a rien à voir avec du volontariat. Même si on ne contraint pas un usager, on sait que les rapports de force entre celui-ci et le CPAS ne sont pas égalitaires.» C’est la «liberté contrainte» vécue par bien des usagers et que dénonce régulièrement l’Association de défense des allocataires sociaux (Adas). «Nous avons été informés de l’existence de services communautaires imposés où les usagers ont dû signer un contrat, témoigne Bernadette Schaeck pour l’Adas. Nous avons des témoignages de dérives.» Ou à tout le moins de pratiques qui posent question, comme à Soignies où le CPAS local met des allocataires sociaux à la disposition de maraîchers et d’agriculteurs locaux.
Selon Alain Vaessen, pourtant, «les échos que nous avons du terrain montrent que très très peu d’usagers désirent travailler gratuitement dans le cadre d’un service communautaire». Très peu? Combien d’usagers ont-ils accepté un service communautaire? Officiellement aucun chiffre. Mais dans le mémoire déposé par l’avocat de l’État belge contre le recours introduit par la Ligue des droits de l’homme auprès de la Cour constitutionnelle, l’avocat évoque, en février 2017, 300 services communautaires conclus pour l’ensemble du pays dont 200 dans le cadre d’un PIIS étudiant. C’est beaucoup, estime Bernadette Schaeck, surtout quand on sait que la disposition n’était alors active que depuis trois mois.
Les chiffres sont tout aussi «bons» pour le ministre en ce qui concerne les PIIS. Dans une interview à Sudpresse, en mai dernier, Willy Borsus annonçait que 30.000 PIIS ont été réalisés depuis la mise en application de la loi le 1er novembre, soit 22% des bénéficiaires du RIS. Les bons «clients» se situent surtout en Flandre mais aussi à Bruxelles, Mons, Tournai, Namur et Waremme où plus de la moitié des usagers auraient souscrit à un projet individuel d’intégration sociale. Le ministre a insisté sur la bonne performance de Waremme, la commune du président de la Fédération des CPAS, ce qui n’est sans doute pas un hasard. Les PIIS, autrefois imposés aux seuls jeunes de moins de 25 ans, sont devenus obligatoires pour les nouveaux bénéficiaires, mais, selon Bernadette Schaeck, ils sont de plus en plus souvent imposés à tous. Il est vrai que les CPAS reçoivent une aide financière supplémentaire du fédéral pour les PIIS, ce qui est un puissant argument pour convaincre les travailleurs sociaux de leur utilité. Avec ou sans service communautaire.
En savoir plus
Alter Echos (site), «Levée partielle du secret professionnel: les CPAS très inquiets», Marinette Mormont, 9 février 2017