Les politiques d’aide à l’acquisition de logements favorisent la gentrification. C’est un des constats d’une récente publication de Brussels Studies1.
Si le Belge a une brique dans le ventre, le Bruxellois a l’estomac plutôt léger. Seuls 40 % des Bruxellois sont propriétaires, alors qu’à l’échelle nationaleon en compte 70 %. Pourtant, la Région bruxelloise octroie des aides pour accéder à la propriété privée. Mais atteignent-elles vraiment leursobjectifs ? Brussels Studies se penche à son tour sur cet épineux dossier. À qui profitent les politiques d’aide à l’acquisition de logements à Bruxelles? présente le résultat des recherches menées par Alice Romainville, géographe à l’Institut de Gestion de l’environnement et Aménagement du territoire del’ULB.
Une mixité sociale unilatérale
L’étude s’attarde tout d’abord sur les différentes « aides » régionales sur le marché acquisitif, les investissements consentis, le nombre delogements produits et le nombre de ménages aidés. On connaît l’action menée par la SDRB (Société de développement de la Région deBruxelles-Capitale) en ce sens. Elle produit des logements moyens dans des quartiers populaires, afin d’y faire revenir des investisseurs privés et des populations à revenus plusélevés. Mais elle est loin de satisfaire la demande : quelque 10 000 candidats attendent leur tour. Le Fonds du logement s’adresse, quant à lui, à des revenusmodestes à précaires. Il octroie des prêts hypothécaires à faible taux pour l’acquisition de logements. Il satisfait les demandes. Toutefois, « la haussedes prix dans l’acquisitif (…) pousse les ménages à acquérir des logements de plus en plus petits, et le plafonnement des montants prêtés rend de plus en plusinévitable, pour les candidats acquéreurs, la recherche de financements complémentaires », constate Alice Romainville. Les abattements fiscaux octroyés lors del’achat d’un logement sont accessibles à tous, mais grèvent le budget régional. Enfin, les primes à la rénovation peuvent s’avérer une aide utile, àcondition de s’y retrouver dans les méandres des démarches à accomplir. En gros, l’auteur estime que « ces aides à la propriété ont permis, pourbeaucoup de ménages, une nette amélioration de leur situation, mais elles n’ont connu jusqu’à présent qu’un succès tout relatif. »
Par ailleurs, elle constate un certain détournement des politiques publiques. Ainsi, « entre 1991 et 2007, 20 % des logements SDRB ont par ailleurs été acquispar des « acquéreurs investisseurs » qui les ont mis directement en location, et 15 % du reste des acheteurs dérogeaient également aux critères d’octroi. De tellesclauses font aussi défaut dans le cadre des contrats de quartier, où les pratiques spéculatives sont notoires. Un meilleur contrôle de la Région semble dèslors indispensable si l’on souhaite s’assurer que l’aide publique ne serve pas la spéculation immobilière – et la flambée des prix qu’elle entretient. »Concernant l’impact sur les quartiers concernés, il semblerait que ces politiques contribuent au phénomène de gentrification déjà en place.
Elle fustige aussi l’aspect unilatéral de la mixité sociale : « L’impératif de mixité sociale jouit, lui aussi, d’un remarquable consensus au niveaupolitique, qui contraste étrangement avec les vives critiques qu’il suscite dans le monde scientifique. Le concept de mixité fait appel à un modèled’intégration plus que douteux, selon lequel les populations défavorisées « s’élèveraient » socialement grâce à la proximité spatiale avecles classes moyennes et supérieures. L’usage qui est fait de ce concept aujourd’hui suggère d’ailleurs qu’il suffit d’amener des ménages aisés dans les quartiers pauvrespour « produire de la mixité », ce qui reste pour le moins hypothétique. De très nombreuses études s’accordent d’ailleurs à reconnaître « l’échecpersistant des stratégies de mixité” ; plusieurs d’entre elles ont montré que la proximité spatiale ne se traduit pas par une proximité sociale, etencore moins par une amélioration des conditions des plus défavorisés. » En fait, ce serait davantage la spécialisation ethnique de ces quartiers qui poseraitproblème aux pouvoirs publics.
Peut-être faudrait-il repartir de la réflexion de Jacques Donzelot, maître de conférences en sociologie politique à l’Université de Paris X. Lors ducolloque bruxellois « Demain la ville », en 2007, il suggérait de retourner le concept de mixité. Pour lui, rien ne sert d’imposer une mixité réactive pourlutter contre les différentes formes de cloisonnement, qu’il s’agisse de relégation ou de gentrification. Il insiste sur la nécessité de réfléchir àune mixité proactive pour que les groupes réfléchissent à un développement de la ville.
1. L’étude est téléchargeable sur le site : www.brusselsstudies.be