Juste avant la COP21, la ministre bruxelloise de l’Environnement Céline Fremault dotera Bruxelles d’un plan «Air-Climat-Énergie». Celui-ci rendra-t-il le ciel plus clément pour les personnes défavorisées?
Cet article a initialement été publié le 4 novembre 2015.
Le plan bruxellois «Air-Climat-Énergie» (PACE) est sur le point d’être d’adopté. Soit neuf axes et une grosse cinquantaine de mesures afin d’intégrer, en un seul document, un ensemble d’actions destinées à répondre aux défis de la hausse des prix de l’énergie et de la dépendance énergétique de la Région, à diminuer l’exposition de ses habitants à la pollution atmosphérique et à faire face au réchauffement climatique (voir encadré). Les impacts des politiques énergétiques et climatiques sur les personnes précarisées sont au cœur du dernier et neuvième axe du plan, intitulé «dimension sociale». Ce dernier suffira-t-il pour donner au plan un caractère social? À la lecture de l’avant-projet soumis à une consultation publique l’été dernier, les avis du terrain associatif sont mitigés.
Le plan bruxellois «Air-Climat-Énergie» (PACE)(1) repose sur une série de principes fondateurs: les principes du pollueur-payeur, de précaution, de prévention, de standstill (le fait de ne pas réduire sensiblement le niveau de protection offert aux citoyens par les décisions existantes) et de réparation (l’obligation, en cas de dommage, de rétablir l’environnement dans son état original). Il s’articule autour de neuf axes: bâtiments, transports, économie, planification urbaine, modes de consommation et usage des produits, adaptation aux changements climatiques, surveillance de la qualité de l’air, mécanismes de participation aux objectifs climatiques et de production d’énergies renouvelables, et dimension sociale.
En Région de Bruxelles-Capitale, 70% de la consommation d’énergie est générée par les bâtiments. L’amélioration de leur efficacité énergétique, via des incitants (primes et aides) ou un cadre normatif plus exigeant, constitue un grand défi et le premier axe du plan de Céline Fremault. Une des nouveautés, saluée par Inter-Environnement Bruxelles (IEB) et la Cellule énergie de la Fédération des services sociaux (FdSS): le fait de proposer des primes et aides aux propriétaires bailleurs, lesquelles ne touchaient jusqu’ici que les propriétaires occupants. L’objectif? Inciter les propriétaires à rénover leur bien, sachant que ce seront les locataires qui bénéficieront directement des travaux.
Pour venir à bout du problème, le plan suggère entre autres de répercuter le coût des travaux effectués par le propriétaire sur les charges locatives payées par les locataires. La condition: que cette répercussion reste inférieure à l’économie réalisée sur la facture d’énergie du locataire, de sorte que le coût d’occupation n’augmente pas. Outre les barrières administratives qui pourraient faire obstacle à cette mesure, une des craintes du secteur associatif réside malgré tout dans les potentielles hausses de loyers qui pourraient en découler: car si le plan bruxellois prévoit que le loyer ne pourra être augmenté à la suite des travaux durant le contrat de bail, ces protections seront-elles toujours effectives au moment d’un changement de locataire?
Nous voici au cœur des critiques émises par Inter-Environnement Bruxelles (IEB) et le Réseau Habitat quant à la partie «habitat» du plan. «Certaines mesures vont impacter directement le loyer. Comme celle de la possible répercussion, dans ce dernier, du prix des travaux économiseurs d’énergie. Cela ne peut s’envisager de manière déconnectée de la réalité du marché locatif bruxellois», dénonce le Réseau Habitat, une structure qui regroupe dix associations œuvrant à l’amélioration du cadre de vie des ménages précarisés(2).
«Tant que les mesures ne seront pas couplées à des mesures de régulation du marché du logement, avec des grilles de loyers qui tiennent compte des revenus des locataires, il y aura une insuffisance», renchérissent Claire Scohier et Stéphanie D’Haenens, d’IEB.
Autre réserve importante: la difficulté d’une partie des ménages propriétaires à pouvoir assumer les nouvelles règles, plus contraignantes, en termes de standards énergétiques pour les logements neufs et rénovés. «Beaucoup de propriétaires que nous accompagnons ont un profil socioéconomique similaire à un locataire, explicite le Réseau Habitat. Ils sont aussi démunis et disposent de peu de moyens d’action face à la précarité énergétique.» «Il y a un risque à corser trop les exigences, confirme François Grevisse, coordinateur de la cellule énergie de la FdSS. Cela pourrait rebuter les gens à un point tel qu’ils ne feront pas les rénovations ou seulement par petites touches.»
«L’évolution des normes concernant les bâtiments est imposée par des directives européennes, explique le cabinet de Céline Fremault. La Région bruxelloise n’a donc pas le choix concernant les objectifs à atteindre. Plus vite cette évolution sera réalisée, plus vite le marché pourra la digérer et offrir des prix qui iront en diminuant.»
Tarification progressive: une mesure mort-née?
Souvent considérée comme une mesure sociale, la tarification progressive de l’électricité est prévue par la législation bruxelloise pour 2018 et envisagée dans l’avant-projet du plan «Climat» sous réserve des résultats d’une étude menée sur la question.
D’un point de vue statistique, les ménages à bas revenus consomment moins que les autres. D’où l’idée de faire payer moins ceux qui consomment le moins (l’idée étant que moins on consomme, plus les tarifs au kilowattheure sont bas). Mais ce serait oublier l’existence d’écarts importants entre les ménages. Un bâti mal isolé, des équipements obsolètes… toute une série de raisons peuvent expliquer une consommation importante.
L’étude menée récemment par le Bureau Sia Partners, à la demande de Brugel, le régulateur bruxellois de l’énergie, montre en effet que 14% des ménages les plus modestes, soit 150.000 ménages bruxellois, se verraient pénalisés par la tarification progressive plutôt que d’en bénéficier. Si elle était mise sur pied, la mesure alourdirait leur facture d’électricité de 6 à 12%.
Partant de ce constat, la ministre vient de décider de faire marche arrière toute. Sa volonté est aujourd’hui de procéder dans les plus brefs délais à la modification de la législation afin de supprimer le principe même de tarification progressive avant que cette dernière ne soit mise en œuvre, nous annonce son cabinet. Une volonté qui n’est pas encore approuvée par le gouvernement.
La tarification progressive doit-elle être abandonnée? Si elle peut avoir des effets pervers pour les ménages à bas revenus, «la tarification dégressive actuelle est une très mauvaise chose», rappelle François Grevisse. «La tarification progressive do
it être aménagée pour que les problématiques sociales et environnementales se rencontrent», argumentent Claire Scohier et Stéphanie D’Haenens (IEB).
Un plan trop brumeux
Si le plan «Climat» regorge de bonnes intentions pour limiter la casse des politiques environnementales et énergétiques en termes sociaux, son caractère flou est mis en exergue par l’associatif bruxellois. Peu de détails, de précisions méthodologiques ou budgétaires. «Le plan est très mal ficelé», conclut IEB. «Il y a un gros bogue, ajoute Claire Scohier. Nous sommes toujours sans PRDD (Plan régional de développement durable, NDLR). Aujourd’hui, nous sommes face à une multitude de plans, mais il n’y a à Bruxelles aucun cadre pour articuler les questions urbanistiques, environnementales et sociales. On a aussi l’impression d’être sur une île. Il n’y a dans ce plan aucun aspect interrégional.»
Le plan «Air-Climat-Énergie» a fait l’objet d’une consultation publique qui s’est clôturée en juillet dernier. Il est aujourd’hui en cours d’adaptation et devrait être adopté de manière définitive dans la seconde quinzaine du mois de novembre. Reste à voir si ces adaptations le rendront plus… social.
Pour agir sur l’impact environnemental du secteur économique, le plan «Climat» de Céline Fremault entend, dans son axe 3, «développer un véritable programme d’économie circulaire en vue d’une économie locale performante qui s’inscrit dans les objectifs environnementaux». Réaction d’Inter-Environnement Bruxelles? Le développement de nouvelles activités technologiques dans les domaines de l’environnement, l’écoconception ou encore l’écodesign risque peu de créer un emploi adapté à la réalité bruxelloise. «Notre argument est qu’il faut maintenir dans la zone du canal des activités économiques productives qui puissent accueillir une main-d’œuvre peu qualifiée, explique Claire Scohier. Bruxelles ne manque pas d’emplois de manière absolue mais d’emplois peu qualifiés. La capacité d’emplois productifs est limitée, il faut la préserver là où c’est possible.» La zone du canal, argumente IEB, se voit aujourd’hui affecter une fonction de logement (qui plus est, un logement de luxe), qui ne pourra pas cohabiter avec une activité d’économie productive. «En outre, si aucune mesure n’est adoptée pour maîtriser le foncier bruxellois, seules les multinationales pour encore payer le prix d’une implantation à Bruxelles», ajoute l’association environnementale.
Réponse du cabinet: «Le Programme régional d’économie circulaire (PREC, qui devrait être adopté avant la fin de l’année, NDLR) est un des chantiers de la Stratégie 2025 du gouvernement. Ce programme portera sur l’enseignement, la formation, l’insertion, la mise à l’emploi, la stimulation économique (…). Donc oui, le PREC est là pour créer des emplois moins qualifiés au profit des Bruxellois en relocalisant notre économie (…) notamment dans trois secteurs prioritaires pourvoyeurs d’emplois moins qualifiés: la construction durable, les déchets et la logistique.»
L’interview de Razmig Keucheyan, «Le changement climatique va radicaliser les inégalités», Manon Legrand, 30 octobre 2015
En savoir plus
(1) L’avant-projet du plan peut être consulté sur http://www.environnement.brussels/sites/default/files/user_files/planacefr_ep_20150420.pdf.
(2) L’avis du Réseau Habitat (juillet 2015) est consultable sur http://www.ieb.be/IMG/pdf/pace_avis-reseau-habitat_17juil15.pdf.