Our City, un film de Maria Tarantino explorant Bruxelles et la grande diversité culturelle qui l’habite, était projeté au Bar Bravo par le Cafébabel. L’occasion de s’interroger sur les enjeux de cette diversité.
Des enfants qui jouent dans la neige, des joueurs de criquet, un ex-réfugié politique iranien maintenant taximan et poète à ses heures perdues, une jeune créatrice de bijoux d’origine Touareg, des travailleurs portugais, l’aristocratie russe, des employés du quartier européen et des jeunes molenbeekois… Tout ce beau monde et bien plus encore est représenté dans le film documentaire Our City de Maria Tarantino (Lire son interview, «Bruxelles plurielle», sur le site d’Alter Échos). Avec un nom pareil, vous vous direz, on ne peut que faire du cinéma. Pourtant, la réalisatrice a d’abord étudié la philosophie. Peut-être la raison pour laquelle le film prend une forme si poétique: une balade urbaine à travers les paysages de Bruxelles ainsi que ses habitants, accompagnée d’une bande sonore originale et flottante permettant de passer d’une séquence à une autre sans avoir le tournis. En plus de la bande son, la musique des langues. Ici, le portrait kaléidoscope d’une ville cosmopolite aux multiples visages.
Plus d’un an après sa sortie en salle, c’est lors d’un ciné-débat organisé par le Cafébabel, un média européen en ligne, que Maria Tarantino et Hamel Puissant, formateur au Centre Bruxellois d’Action Interculturelle (CBAI), ont pu discuter de la célèbre «Bruxelles multiculturelle». En 2015, un rapport de l’Organisation internationale pour les migrations (OIM) établissait un classement des grandes villes du monde selon leur taux de population née à l’étranger. Bruxelles était deuxième avec un taux de 62%. Le fait d’être la capitale européenne joue bien sûr un rôle là dedans. De nombreuses personnes migrent vers Bruxelles «car elles s’imaginent pouvoir trouver du travail dans un lieu considéré comme ‘mythique’» déclare Hamel Puissant.
Des lieux de rencontres multiculturels
Selon la réalisatrice, «À Bruxelles, les cultures ne se côtoient pas. Le partage, c’est une problématique à Bruxelles. Il y a des questions qui se posent en terme de gestion de l’espace commun, quelles occasions partager, comment se faire rencontrer ces cultures pour qu’elles laissent de côté les impressions négatives qu’elles ont les unes des autres?»
Hamel Puissant et le CBAI voient les choses différemment. Ils estiment que les gens se rencontrent: «Les gens se côtoient, qu’ils le veuillent ou non: ils vivent ensemble sur le même territoire, se croisent dans les transports en commun, les files d’attente, les lieux de loisirs, les parcs, le travail etc…Si on prend la définition sociologique du mot ‘ghetto’, il n’y en a pas à Bruxelles. Pour qu’il y ait ghetto, il faut que plus de la moitié de la population d’un quartier soit homogène. Je connais seulement deux quartiers de Bruxelles qui répondent à ce critère: le quartier américain à Auderghem et le quartier japonais à Woluwe.»
Mais Maria Tarantino considère que vivre sur le même territoire ne suffit pas car des barrières invisibles existent, des barrières presque physiques imposées par la manière dont chacun voit la ville: «Des lieux de rencontres multiculturelles physiques il n’en existe que très peu. Les gens voient leurs villes de manière restreinte selon leur classe sociale et leurs attaches. De plus, il existe cet auto-exil, ce manque de confiance qui fait que les gens ont peur d’aller dans d’autres quartiers.»
Interculturalité
Si le représentant du CBAI et la réalisatrice s’accordent finalement sur un point, c’est sur le fait d’encourager la mixité culturelle, l’interculturalité. La multiculturalité seule ne suffit pas.
Mais c’est quoi la différence entre multiculturalité et interculturalité? «La multiculturalité c’est simplement la présence de plusieurs cultures dans un lieu quelconque. On n’en fait pas du tout un synonyme de l’interculturalité qui implique la rencontre entre une personne avec des identités multiples et une autre personne avec d’autres identités. L’interculturel c’est des gens qui se sont rendus compte qu’il ne suffisait pas d’être ouverts et tolérants. Il faut s’intéresser à l’Autre et prendre conscience de la partie immergée de son iceberg culturel. C’est cette partie qui cause problème et sur laquelle il faut faire des compromis» explique Hamel Puissant.
Il ajoute: «Attention quand je dis qu’il y a rencontres, il en faut plus. Faire des festivals dans la rue etc., ça ne suffit pas, juste écouter la musique ou manger la nourriture de quelqu’un de culturellement différent ça répond à la partie visible de l’iceberg. Là où il faut travailler, c’est sur des choses plus profondes: les croyances et les conceptions. Ce n’est pas facile, mais c’est là que l’interculturel se joue.»