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Bruxelles: réglementera, réglementera pas?

Après Liège, Charleroi, Namur, autant de villes qui ont décidé de réprimer la mendicité, tous les regards se portent désormais sur la capitale. Mais qu’en est-il? Décryptage.

© Barbora Johansson Pivonkov

Liège, Charleroi, Namur, autant de villes qui ont décidé de réprimer la mendicité. Tous les regards se portent désormais sur la capitale. La Région condamne clairement ces interdictions. Du côté des communes, la réponse est parfois plus évasive.

La Ligue des droits de l’homme veille au grain

À la Ligue des droits de l’homme (LDH), on s’inquiète de ces nouveaux règlements adoptés un peu partout dans le pays pour sanctionner la mendicité, considérés comme de véritables retours en arrière. Car malgré la jurisprudence, la répression de la mendicité reste bien présente. Pourtant, la loi du 12 janvier 1993 a abrogé la répression de la mendicité en Belgique, en mettant en avant l’aide sociale. «Le mendiant n’est plus perçu comme un délinquant, mais comme une personne devant bénéficier d’aide, une personne défavorisée devant être socialement intégrée», explique Manuel Lambert, de la LDH.

Avec cette loi, «on pensait que c’était la fin de toute réponse répressive en la matière», ajoute-t-il. Or, en avril 1995, la Ville de Bruxelles décide via un arrêté l’interdiction de la mendicité sur le territoire communal et prévoit des peines de police en cas d’infraction. Cet arrêté a fait l’objet d’un recours en annulation devant le Conseil d’État par la Ligue des droits de l’homme et a été annulé. «Le Conseil d’État a estimé que cette interdiction générale, permanente sur tout le territoire, est disproportionnée, car s’il existe des problèmes liés à l’exercice de la mendicité, ils sont nécessairement localisés dans l’espace et limités dans le temps.»

Malgré cela, certaines communes ne désarmèrent pas. «Certes, elles ne peuvent plus interdire la mendicité, mais elles peuvent la réglementer, toujours sur la même base de la sauvegarde des salubrité, sécurité et tranquillité publiques. Mais elles détournent l’interdiction en réglementant la mendicité d’une manière telle qu’elle est rendue impossible ou difficile comme à Liège, Charleroi ou Namur.» D’où le recours lancé par la Ligue à l’encontre de la capitale wallonne et de son règlement.

Il a fallu s’accrocher, insister, pour poser au bourgmestre de Bruxelles, Yvan Mayeur (PS) cette question simple, mais essentielle, sur la répression possible de la mendicité dans les rues de la capitale. «Aucune décision n’ira dans ce sens. On va uniquement poursuivre le travail d’accompagnement social des SDF», nous a-t-il répondu. Quant à savoir ce que pense le bourgmestre de Bruxelles des actions menées dans les grandes villes wallonnes, on n’en saura rien…

Plus largement, dans les autres communes de la Région bruxelloise, la réponse était identique, y compris à Etterbeek, seule commune à avoir adopté il y a deux ans un règlement qui n’interdit pas la mendicité en rue, mais qui la limite. «Jusqu’ici, ce règlement n’a conduit à aucune arrestation et aucun de nos agents n’a dû l’invoquer», explique Vincent De Wolf (MR), bourgmestre d’Etterbeek. «Le but n’était pas d’interdire la mendicité, mais de disposer d’un cadre légal prévenant les troubles de l’ordre, en limitant dans certaines rues à quatre le nombre de mendiants.» De l’aveu de Vincent De Wolf lui-même, interdire la mendicité n’a pas de sens. C’est d’ailleurs interdit par la jurisprudence en la matière. Même sentiment pour Olivier Maingain (FDF), bourgmestre de Woluwe-Saint-Lambert: «Toute interdiction, toute mesure coercitive à l’encontre de la mendicité ne sert à rien et ne résout aucun problème. C’est surtout de l’effet d’annonce. Il faut au contraire mettre en place des règlements adaptés aux situations que les communes rencontrent pour accompagner au mieux ces personnes en difficulté.»

La Région rappelle le caractère illégal des interdictions

La ministre régionale en charge de la lutte contre la pauvreté, Céline Fremault (cdH), rappelle toutefois cette évidence, à savoir l’illégalité d’interdire et de sanctionner la mendicité. «Depuis la loi du 12 janvier 1993, les dispositions du code pénal punissant la mendicité ont été abrogées. Ainsi, les dispositifs pris par la Ville de Bruxelles en 1995 portant sur l’interdiction de la mendicité sur le territoire communal et prévoyant des peines de police en cas d’infraction, ont fait l’objet d’un recours en annulation devant le Conseil d’État par la Ligue des droits de l’homme, recours ayant abouti.»

En Région bruxelloise, la mendicité est interdite dans l’enceinte du métro, car elle figure dans la liste des incivilités énumérées par la STIB. «Mais il est clair que ces dispositions sont en contradiction avec l’esprit de la loi du 12 janvier 1993 qui a pour objectif de faire prévaloir des mesures d’aide sociale au dispositif répressif», estime encore la ministre.

Du côté de la Région, on rappelle par ailleurs la nécessité d’agir sur les causes plutôt que sur les symptômes. «Le nombre de mendiants augmente depuis plusieurs années, ajoute Céline Fremault. Il est donc indispensable de penser leur prise en charge via des politiques d’aide à l’intégration socioéconomique, et non pas en occultant la problématique via des mesures répressives.»

Les associations, quant à elles, restent vigilantes face aux différentes réglementations qui pourraient être mises en place à Bruxelles pour sanctionner la mendicité en rue. «Vigilant, car le sujet est dans l’air du temps. Les villes veulent se développer de façon propre, cosmétique, quel que soit l’impact social, en se basant sur un supposé ras-le-bol des riverains ou des commerçants, alors que la majorité des gens se taisent face à la mendicité en rue», explique-t-on au Forum bruxellois de lutte contre la pauvreté. «Puis, réglementer ou criminaliser n’ont résolu aucun problème de mendicité. On le voit par exemple à Liège où, en dix ans, ce type de règlement n’a eu aucun impact.»

 

Pierre Jassogne

Pierre Jassogne

Journaliste

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