«L’Union européenne (UE) se tient fermement et pleinement aux côtés de l’Ukraine et continuera de fournir un soutien politique, économique, militaire, financier et humanitaire fort à l’Ukraine et à sa population aussi longtemps qu’il le faudra.» À Bruxelles, durant la dernière réunion du Conseil européen en date, fin mars, les 27 chefs d’État et de gouvernement du Vieux Continent se sont, dans leurs conclusions, montrés déterminés à ne pas relâcher leur pression sur la Russie et ne pas réduire leur assistance à Kiev, notamment sur le plan humanitaire.
Au total, depuis le début de l’invasion russe en Ukraine le 24 février 2022, ce sont 630 millions d’euros qui ont été alloués par l’UE à l’aide humanitaire en Ukraine. Concrètement, la Commission européenne finance des «partenaires» sur place, triés sur le volet, afin qu’ils dispensent l’aide nécessaire dans bon nombre de domaines (alimentation, santé, éducation, accès à l’eau, etc.). Ces partenaires sont de trois types: les agences des Nations unies, la Croix-Rouge et certaines organisations non gouvernementales (ONG) internationales.
Au total, depuis le début de l’invasion russe en Ukraine le 24 février 2022, ce sont 630 millions d’euros qui ont été alloués par l’UE à l’aide humanitaire en Ukraine.
Ainsi, 7% du montant total est par exemple fléché vers la réhabilitation d’écoles sur le territoire ukrainien. L’UE finance notamment le Fonds des Nations unies pour l’enfance (Unicef), qui tente de garantir l’accès à la scolarité des enfants affectés par le conflit. L’Unicef prévoit aussi un soutien psychologique pour les élèves comme pour les professeurs ukrainiens. L’UE a notamment confié une enveloppe de 18,5 millions d’euros à l’Unicef pour restaurer plus de 1.000 «lieux d’éducation» (il y a des garderies, des écoles primaires, des écoles secondaires, etc.) dans les «oblasts» (comprendre: les régions) de Kiev, de Chernihiv, de Jytomyr, de Kirovohrad, de Vinnytsia, de Zaporijjia, d’Odesa et de Dnipro.
Se mettre à l’abri
À l’école maternelle «Zernyatko» (qui signifie «petite graine») de Dymer, une commune à cinquante kilomètres au nord de Kiev, l’Unicef a par exemple aménagé le sous-sol de l’établissement. Ce qui n’était longtemps qu’une cave «humide et glauque», comme s’en souvient Dimytro Sharaievskyi, qui travaille pour l’Unicef, a ainsi été transformé en une salle de classe souterraine chauffée, colorée et accueillante – malgré l’absence de fenêtres. Car, dès qu’une sirène annonce une potentielle attaque aérienne, personne n’y coupe: il faut se mettre à l’abri. Plus d’un an après le début de l’invasion russe, ces alertes sont encore quasi quotidiennes.
D’immenses tapis recouvrent le sol, des caisses de jouets sont alignées le long des murs, qui sont eux-mêmes recouverts de tableaux noirs. À la craie, des enfants y ont dessiné des cœurs. «Cette guerre ne doit pas voler l’enfance de ces jeunes pousses; notre devoir, c’est de faire en sorte que ces élèves puissent jouir d’une scolarité la plus ‘normale’ possible», témoigne Nataliya Andriivna, directrice de l’établissement, qui poursuit: «Entendre la sirène se déclencher fait partie de leur routine. Mais ils ne s’habitueront jamais au bruit des avions russes.»
«Cette guerre ne doit pas voler l’enfance de ces jeunes pousses; notre devoir, c’est de faire en sorte que ces élèves puissent jouir d’une scolarité la plus ‘normale’ possible»
Nataliya Andriivna, directrice d’un établissement scolaire
Non loin de là, à l’école de Demydiv, qui compte 22 classes et accueille des jeunes de 6 à 18 ans, Dasha, 13 ans, qui rêve de devenir éditrice, le confirme: «Les journées sans alerte sont rares; donc oui, nous sommes habitués à descendre ici. Malheureusement.» Dans son école (endommagée par des frappes russes le matin du 6 mars 2022), l’Unicef s’est prêté au même exercice: aménager l’ensemble du sous-sol. Les petits disposent de «coins jeux» et, pour les plus grands, il y a des tables et des chaises pour pouvoir poursuivre les leçons de mathématiques, de géographie et autres cours de langue. «Parfois, la sirène hurle en plein contrôle, et on doit poursuivre l’examen au sous-sol. On n’en profite pas pour autant pour tricher», promet-elle dans un rire bref.
Quand elle n’est pas en classe, Dasha aime «danser et lire, surtout des histoires de détective». Mais plus personne, à l’école, ne veut de livres en russe. Une vaste opération a donc été menée, sous l’égide de la directrice Galyna Mykolaivna (qui, elle-même, refuse désormais de parler ou de lire en russe, «pas même Pouchkine, que j’aimais tant, avant», précise-t-elle) afin d’envoyer au recyclage tous ces ouvrages. Avec les fonds récoltés, l’établissement a offert des bougies – «plus de 500!», s’exclame fièrement Dasha – aux soldats sur la ligne de front.
«Malgré la dure réalité de la guerre, mes collègues et moi faisons tout pour préserver le plus possible ces enfants. Le nom du président russe n’est jamais prononcé entre nos murs. Tous les enfants connaissent en revanche celui de Volodymyr Zelensky, notre président», ajoute Nataliya Andriivna.
Faire face à une crise humanitaire prolongée
Platon et Yevhen, eux, sont encore trop petits pour connaître ces deux noms. Ils les découvriront bien assez tôt. Ils sont nés en décembre 2022, le 1er et le 7, à la maternité de Chernihiv, à 150 kilomètres au nord de Kiev. Durant des semaines, les troupes russes ont encerclé la ville. L’hôpital a été visé par des attaques – des tirs de mortier surtout. Sur les murs, les projections métalliques des obus ont laissé une multitude de marques. Mais pas autant que dans les esprits. Un bunker atomique datant de l’époque soviétique a été utilisé pour mettre les patients à l’abri. Des opérations médicales – dont des accouchements – y ont été menées. Olesia et Inna, les mères de Platon et Yevhen, expliquent qu’elles ont, l’une comme l’autre, passé le plus clair de leur temps, durant leur grossesse, «sous terre, pour échapper à l’ennemi».
«On estime à 40.000 le nombre de femmes qui étaient enceintes quand la guerre a commencé», explique Jaime Nadal, représentant en Ukraine du Fonds des Nations unies pour la population (UNFPA), actif à la maternité de Chernihiv. Il tient à ce que les femmes ne soient pas «les oubliées» de cette guerre. Depuis Kiev, la Portugaise Claudia Amaral, à la tête du bureau qui chapeaute les opérations humanitaires de l’UE en Ukraine, partage cet objectif. Elle ne cache pas que des «signaux» montrent que l’Ukraine «fait face à une crise humanitaire prolongée et de grande ampleur», mais qu’en même temps, «les besoins ne diminuent pas» et les personnes vulnérables sont toujours plus nombreuses.
Les seniors, en Ukraine, sont aussi de ceux-là. À 63 et 65 ans, Olena et Anatolyi Kulinovich, habitants d’Horenka, dans la banlieue nord de Kiev, ont vu leur ancien immeuble bombardé par les Russes en mars 2022. Quand les combats se sont intensifiés dans leur ville, ils ont fui, se réfugiant à Vinnytsia, au centre du pays. Puis, lorsque l’armée russe a reculé, ils sont rentrés «chez eux», relatent-ils, à Horenka. Ils ont été relogés à quelques mètres seulement de leur appartement parti en fumée, dans un hébergement temporaire. Le couple craint d’avoir à y vivre «au moins deux ou trois ans». Même si leur chambre est exiguë, ils se disent «chanceux d’avoir un toit au-dessus de la tête». Et, surtout, «reconnaissants d’être en vie».
Depuis Kiev, la Portugaise Claudia Amaral, à la tête du bureau qui chapeaute les opérations humanitaires de l’UE en Ukraine, ne cache pas que des «signaux» montrent que l’Ukraine «fait face à une crise humanitaire prolongée et de grande ampleur», mais qu’en même temps, «les besoins ne diminuent pas» et les personnes vulnérables sont toujours plus nombreuses.
ACTED, l’ONG financée par l’UE à hauteur de 48 millions d’euros en 2022, organise la distribution d’aides dites «en espèces» (ou «cash assistance» dans le jargon humanitaire) afin de rendre disponibles des fonds aux citoyens ukrainiens affectés par le conflit. Ils peuvent ensuite utiliser cet argent de la manière qui leur semble la plus appropriée. Pour Olena et Anatolyi Kulinovich, ces enveloppes ont servi à payer des soins de santé. La hanche d’Olena a dû être récemment remplacée. L’ONG PIN, pour «People in need», dont le siège se trouve en République tchèque, se charge pour sa part de reconstruire les habitations d’Ukrainiens qui ont vu leur maison détruite par l’armée russe. Parmi eux, il y a Liubov Melnychenko, qui vit avec son époux, aveugle, dans le village d’Obukhovychi. Quand l’armée russe a envahi leur hameau au printemps 2022, elle a immédiatement reconnu le boucan des tanks et des camions militaires. «J’étais terrifiée, mais mon mari m’a dit de ne pas m’inquiéter, il pensait que ce bruit provenait des tracteurs des paysans du coin», se souvient-elle. Le couple, comme tant d’autres, a dû quitter Obukhovychi sans demander son reste. Sa maison a été mise à sac par les soldats. L’équipe de PIN a aidé à remettre les lieux en état. Dans la cour, un chien noir ne cesse d’aboyer. Son museau est de travers. Lui aussi a été blessé dans ce que Liubov Melnychenko décrit comme «une très sale guerre».
Plus goût à rien
Et malgré tout, il faut apprendre à «vivre avec», estime Tetiana Guliayeva, historienne de formation, qui poursuit: «C’est tellement injuste, l’Ukraine, elle, n’a jamais attaqué qui que ce soit, c’est un pays pacifique.» Fin mars, Tetiana Guliayeva a, comme une quinzaine d’autres personnes (des femmes, en majorité), participé à une session de «formation», dispensée par le Danish Refugee Council (DRC) à l’intention des populations civiles, afin de leur expliquer comment réagir face à la découverte d’une mine ou tout autre type d’explosif au détour d’une rue ou d’un sentier.
Trois règles primordiales sont martelées durant l’heure et demie de «cours»: ne pas entrer dans des zones qui peuvent être minées, ne toucher à rien et appeler, si besoin, le 101 – le numéro d’urgence en Ukraine, pour obtenir de l’aide. «On sait dans quels bois et forêts on peut marcher aux alentours, et lesquels sont dangereux. Quoi qu’il en soit, il y a beaucoup moins de promeneurs que par le passé», constate Tetiana Guliayeva. Elle-même aimait aller cueillir des champignons dans la nature, «avant». Et, dans un souffle, elle l’avoue: «Maintenant, c’est simple, je n’ai plus goût à rien.»