Les résidents permanents en camping sont nombreux. Parmi eux, des jeunes, avec des problématiques propres. Rencontre avec les services qui suivent ces jeunes, dans un microcosme faitde précarité, d’isolement et de solidarité.
Faire du camping en Wallonie, on le sait, est une activité populaire. Pour une frange non négligeable de la population, y résider est davantage synonyme deprécarité que de pétanque et barbecues, on le sait tout autant. Ils sont plusieurs milliers à résider en permanence dans des campings. En milieu rural, ce cadre devie, souvent précaire, entre isolement et vie communautaire, est devenu un abcès de fixation des phénomènes de pauvreté. Ce concentré deproblématiques a poussé les pouvoirs publics à intervenir à travers le plan habitat permanent, dont les différents objectifs ont été abordéssous toutes les coutures dans Alter Echos.
Parmi les résidents en camping, il y a aussi des jeunes qui pâtissent de ce cadre de vie hors-norme. Des services d’aide en milieu ouvert (AMO) interviennent dans certains campings,alors que des SAJ y font des apparitions lorsqu’une situation problématique leur a été signalée.
Car en camping, il arrive que des enfants soient en danger, victimes de négligence, ou du moins rencontrent des problèmes liés à l’insalubrité, à lamobilité ou à la stigmatisation par leurs pairs. Même si la situation dans ces campings n’est pas uniquement faite de drames et de difficultés, il n’est pas toujours faciled’y vivre sa jeunesse.
Des problèmes d’absentéisme scolaire récurrents
Aux alentours de Dinant, certains campings affichent complet toute l’année. Les touristes y croisent les habitués en été. Mais ces derniers traversent tout l’hiver dansleurs chalets ou mobile-homes. Marie-Jeanne Chabot, de par sa fonction de conseillère de l’Aide à la jeunesse1, connaît bien la problématique. En effet, sesservices sont régulièrement sollicités. L’équipe sociale du SAJ de Dinant se déplace de temps à autre dans les campings pour rencontrer des jeunes qui fontface à des difficultés, ainsi que leurs familles. Elle dresse un constat inquiétant : « Il y a beaucoup de familles dans les campings, qui vivent dans des conditionsmatérielles dures. Parfois dans des logements insalubres. Il y a peu de temps, une maman est morte dans son chalet. Il y a des familles qui viennent de Mons ou Charleroi qui fuient desdifficultés, qui quittent la ville pour des raisons socio-économiques. La population que l’on rencontre est de plus en plus précaire. Au nom de l’égalité deschances, nous intervenons. » Souvent, ce sont les écoles qui interpellent le SAJ, car des situations difficiles sont révélées dans l’institution scolaire, commenous l’explique Marie-Jeanne Chabot : « Les écoles nous interpellent parfois pour des problèmes d’hygiène, ou pour des cas d’absentéismerécurrent. »
Certains adolescents se sentent assez libres en camping, sans contrainte. Ils n’hésitent pas à brosser les cours. Mais pour d’autres, les obstacles qui sont dressés sur laroute de l’école sont une conséquence directe de leur lieu de vie. L’école buissonnière leur est plus ou moins imposée, et pour une raison évidente : les busscolaires ne s’arrêtent pas devant les campings.
Se rendre à l’école peut impliquer des déplacements à pieds assez conséquents, de quoi décourager les plus assidus des élèves. A Couvin, lesseuls bus qui font le détour par les campings sont ceux de l’enseignement spécialisé, créant de fait un incitant discriminant entre élèves, comme entémoigne Xavier Dupuis, directeur de l’AMO Ciac2 qui assoit sa présence dans les campings depuis bientôt sept ans : « L’isolement ici estgéographique. Les transports scolaires passent peu. La mobilité est un problème qui se cumule à d’autres. En camping, des gens se retrouvent sans domicile officiel et netouchent pas leurs allocations pendant quelque temps, ce qui accroît la pauvreté et l’insécurité ». A Hastière, commune d’environ 6000 habitants, on compteprès de 1200 résidents permanents, une proportion non négligeable. Là aussi, les problèmes d’absentéisme scolaire faisaient partie du tableau, surtout ausein de la population adolescente, si l’on en croit les mots de Benjamin François, responsable de l’antenne sociale du plan Habitat permanent de la Région wallonne dans lacommune3. Il met en avant le « proxi-bus », invention locale qui favorise la mobilité des jeunes résidents permanents et leur permet de se rendreà l’école sans trop de difficultés, « le bus affiche complet tous les matins », nous affirme Benjamin François. Une initiative bienvenue si l’onsouhaite faire sortir les habitants des campings et notamment les plus jeunes pour qu’ils s’acquittent de leur obligation scolaire.
« Des problèmes avant d’arriver là »
L’absentéisme scolaire est bien souvent le révélateur des difficultés de ces jeunes, parmi lesquelles on compte le plus de risques de marginalisation. Pour Marie-JeanneChabot, les enfants se sentent souvent rejetés parce qu’ils vivent dans un contexte de violence et que leurs parents sont stigmatisés et passent pour des personnes dangereuses. Il fautdire que l’ambiance n’est pas toujours au beau fixe dans ces campings. Selon Audrey Dannevoye, de l’antenne sociale du plan HP de Walcourt4, « il est parfois difficile detoucher les ados. L’ambiance se détériore depuis cinq ans, avec pas mal de violences, de représailles, ou de vols. Alors nous, notre objectif est de (re)créer du lien dansle parc, entre les gens mais aussi avec le village. »
Cette réputation sulfureuse des campings est difficile à porter, surtout lorsqu’elle imbibe la tenue vestimentaire des résidents. Ainsi, Benjamin François nousrévèle un détail frappant : « Il y a de la stigmatisation de ces jeunes, cela arrive. Les gens dans les caravanes se chauffent au pétrole, ce quidégage une odeur tenace, que l’on remarque aisément, et qui contribue à les cataloguer. » S’il admet bien volontiers que les résidents permanents sont parfoismontrés du doigt, il tient à nuancer son propos, afin de ne pas tomber lui-même dans le piège de la stigmatisation : « Lorsqu’il y a des contacts avec le SAJ,les interventions ne sont pas liées en premier lieu à l’habitation. Dans les campings, il n’y a pas plus de maltraitance, de négligence, de délinquance qu’ailleurs. Lesgens avaient des problèmes avant. La promiscuité, le lieu de vie est une donnée qui s’ajoute à une situation préexistante, surtout à l’adolescence, lorsqueles tensions sont dures à gérer, car il n’y a pas d’espace privé. Mais de manière g&
eacute;nérale, beaucoup d’enfants sont propres, vont à l’école, etje suis souvent agréablement surpris par l’attitude des résidents permanents. »
« En camping, il y a une certaine liberté »
L’existence de dynamiques positives en camping n’est pas niée par la conseillère de l’Aide à la jeunesse de Dinant. Lorsqu’un contrat d’aide est passé entre le SAJ etune famille, ou lors de l’examen d’une situation, il arrive que la solution d’un placement en internat soit proposée, mais cette option a rarement l’aval des différentes parties.« Un placement en internat est souvent mal vécu, car il y a un certain style de vie dans les campings, avec une grande liberté et souvent de la solidarité mêmesi l’on y trouve aussi beaucoup de souffrance. Donc nous faisons preuve de tolérance sur le mode de vie. Par contre, nous sommes intransigeants sur l’école. Nous travaillons beaucoupavec les écoles et les centres psycho-médico-sociaux. Nous proposons des programmes d’aide pour les devoirs, avec des partenaires. »
Les interventions du SAJ en faveur des jeunes en campings ne sont pas si différentes que dans d’autres poches de précarité. Le SAJ prend parfois en charge des stages oupropose des interventions de type éducatif, avec la collaboration de services d’aide et d’intervention éducative (SAIE). Bien souvent, les CPAS sont sollicités, par exemple pourdes factures de chauffage, même si Marie-Jeanne Chabot affirme que certaines communes sont dépassées par la situation et n’assument pas toujours les frais qui devraient leurincomber. Ce sont encore des interventions d’aides familiale qui sont demandées par le SAJ, en cas de problèmes d’hygiène notoires, qui ne sont pas rares. Dans tous les cas, elleaffirme que sa mission vise bien à « mettre l’enfant au centre », c’est pourquoi l’idée qu’elle poursuit est de trouver des solutions avec les parents etcertainement pas de placer à tour de bras.
Une vie quotidienne faite de déshérence
Quand on est jeune en camping, on n’a pas grand-chose à faire, et la curiosité s’érode peu à peu, au fil des mois, des années. Ce constat unanime jette unelumière crue sur la vie dans ces infrastructures touristiques. Une vie quotidienne tantôt faite de joie, tantôt de déshérence et qui pousse les jeunes au repli.Benjamin François, constate qu’à Hastière, on arrive pour certaines familles à la deuxième ou troisième génération d’habitants permanents encamping, ce qui génère un manque de dynamisme patent : « il y en a qui n’ont vécu qu’en « domaine », ce qui accentue la tendance générale à ne passortir. Les jeunes restent entre gens du domaine et n’ont plus envie d’aller voir plus loin. Souvent, ils se mettent en ménage entre eux, même lorsqu’on leur propose des démarchespour trouver un logement. Certains sont bien là où ils sont. Le modèle parental y est pour quelque chose, pareil pour la recherche d’emploi. » Au niveau culturel,cette spirale négative s’installe aussi. Elle met au jour un manque criant, un « vide » au quotidien, pour reprendre les mots de Benjamin François qui expliquenéanmoins qu’une réflexion est entamée pour organiser des sorties culturelles, via l’article 27.
« Recréer du lien entre les gens »
Si, dans la plupart des campings, l’absence d’activités est un vrai problème, dans certaines communes, des choses se mettent en place. A Walcourt, le plan HP, en partenariatnotamment avec l’AMO Jeunes 2000, propose des activités au sein du parc résidentiel du Bois de Thy à destination des jeunes. Des ateliers, entre autres de« cirque social », ont lieu une fois par semaine. Selon Audrey Dannevoye, l’objectif poursuivi par ces activités était de recréer du lien entre les gens,dans le camping et vers l’extérieur. De son propre aveu, les liens se sont surtout tissés au cœur du camping, bien plus qu’à l’extérieur. Les activitésrencontrent tout de même un franc succès, alors que ce n’était pas gagné d’avance, comme elle nous l’affirme : « Les jeunes ne sortent pas du parc et il y a unmanque total d’activités de base. Le cirque et les autres activités sont plus que bénéfiques. » Bénéfique aussi pour l’AMO qui cherche, par lebiais de ce projet, à toucher un autre public.
A Couvin, l’AMO Ciac intervient aussi en faveur des jeunes. Leur présence remonte désormais à plusieurs années. Au départ, la sonnette d’alarme avaitété tirée par de nombreux observateurs qui constataient un isolement total des résidents permanents (pas de visites ONE, absentéisme scolaire, etc.). Uneconcertation avait alors été organisée avec les centres PMS, le SAJ et l’ONE sur la situation de ces jeunes et de leurs familles. Les différents intervenants ontdécidé de mettre en place des actions communes, notamment dans le cadre des plans de prévention et de proximité. Aujourd’hui, l’AMO est toujours présente dans lescampings de la région et notamment au camping « Caillou d’eau » où elle propose des activités à destination des enfants, des adolescents et desadultes. C’est à travers des rencontres entre jeunes de camping et jeunes du village, ou à travers des exercices pratiques (bricolage) ou ludiques que l’AMO cherche à renouer lelien social. Xavier Dupuis, le directeur de l’AMO n’élude pas les problèmes qui persistent, mais il attire l’attention sur la plus-value que cette présencerégulière apporte aux résidents : « Il y a toujours beaucoup de dossiers suivis par le SAJ, et on ne peut pas dire que les situations problématiques ontdisparu, mais il y a une nette amélioration. De nombreux jeunes ont à nouveau le goût d’apprendre et le désir d’aller à l’école. Les familles ont moins peurde s’adresser aux services sociaux. Au fil des ans, un bon contact s’est établi, donc en cas de problème, on peut arriver à trouver une solution. » Une initiative qui,on l’espère, devrait en inspirer d’autres, pour rompre l’isolement dont certains résidents permanents pâtissent.
Les campings et leur lot de pauvreté contribuent à modifier le travail des services de l’Aide à la jeunesse dans des zones rurales comme celle de Dinant. Car au-delàdes campings, Marie-Jeanne Chabot estime que la précarité est devenue une problématique de l’Aide à la jeunesse. Pour s’y atteler, elle nous annonce un travail de fond surce thème, en 2011, en collaboration avec le Conseil d’arrondissement de l’Aide à la jeunesse (CAAJ) et avec la participation de travailleurs de CPAS.
1. SAJ de Dinant :
– adresse : rue Dupont, 24 à 5500 Dinant
– tél. : 082 22 38 89
– courriel : saj.dinant@cfwb.be
2. AMO Ciac :
– adresse : rue de la Marcelle, 72 à 5660 Couvin
– tél. : 060 34 48 84
– site : www.amo-ciac.be
– courriel : info@amo-ciac.be
3. Antenne sociale du plan habitat permanent de la région wallonne à Hastière :
– adresse : avenue Guy Stinglhamber, 6 à 5540 Hastière-Lavaux
4. Plan habitat permanent,Commune de Walcourt :
– adresse : place de l’Hôtel de Ville, 3 à 5650 Walcourt
– tél. : 071 61 06 20