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Regard critique · Justice sociale

Logement

Capteurs et créateurs de logement

L’asbl bruxelloise L’Îlot a mis en place depuis un an le projet «Capteur de logements». Son objectif: faire rencontrer les besoins de logement des personnes les plus démunies avec ceux de propriétaires de biens à louer.

L’asbl bruxelloise L’Îlot a mis en place depuis un an le projet «Capteur de logements». Son objectif: faire rencontrer les besoins de logement des personnes les plus démunies avec ceux de propriétaires de biens à louer.

Article publié le 2 mai 2016.

Bruxelles compte 2.063 personnes sans abri, sans logement ou mal logées, selon le recensement de la Strada, centre d’appui au secteur bruxellois d’aide aux sans-abri, réalisé début novembre 2014[1]. C’est 33% de plus qu’en 2010. Pour Ariane Dierickx, qui dirige l’asbl bruxelloise L’Îlot, venant en aide chaque année aux sans-abri (avec ses trois maisons d’accueil, un centre de jour et un service d’accompagnement à domicile), ce chiffre n’est pas près de diminuer: «J’observe aujourd’hui qu’il existe de plus en plus de portes d’entrée vers la précarité et de moins en moins de portes de sortie. Une situation causée par les politiques d’austérité, d’activation et d’exclusion, s’inquiète-t-elle. Ces politiques entraînent un appauvrissement des secteurs connexes au sans-abrisme (justice, aide à la jeunesse…). Notre structure n’est plus seulement une jonction, mais elle devient le réceptacle d’un public vulnérable divers – jeunes, personnes sorties de prison, public souffrant d’assuétudes – pour lequel les travailleurs ne sont pas toujours outillés, et les publics prioritaires n’ont plus de place dans les dispositifs d’aide.»

«Il faut désobéir, trouver les espaces et les brèches pour trouver des solutions.» Ariane Dierickx, directrice de L’Îlot

Pour la directrice de L’Îlot, deux possibilités existent pour tenter de leur trouver un toit: «Soit on attend qu’il y ait assez de logements sociaux (il faut aujourd’hui compter sept ans d’attente en moyenne pour un logement social à Bruxelles, NDLR), soit on met en place des solutions.»

Une action «désobéissante»

L’Îlot a choisi la deuxième option en lançant le projet «capteur de logements». Il n’aurait jamais vu le jour sans une petite manœuvre, Ariane Dierickx ne s’en cache pas: fin 2014, à la veille de l’hiver, la Cocom débloque des moyens pour l’urgence sociale. L’Îlot récupère une partie pour financer la première phase du projet: une recherche-action sur le projet «capteur de logements». «Il faut désobéir, trouver les espaces et les brèches pour assurer un logement aux personnes dans la rue», défend-elle. À la politique d’urgence privilégiée par les gouvernements successifs[2], Ariane Dierickx privilégie le long terme. Son leitmotiv: lutter contre le sans-abrisme plutôt que de le gérer. Prévenir plutôt que de mettre des pansements sur les plaies. Elle n’est pas la seule dans le secteur à critiquer la gestion saisonnière du sans-abrisme. À l’annonce des budgets du sans-abrisme pour 2016, majoritairement dévolus à la politique d’accueil d’urgence et particulièrement au Samusocial, Christine Vanhessen, directrice de la fédération des maisons d’accueil (AMA), expliquait dans nos pages: «La déclaration de politique générale de la Cocom contenait un gros volet urgence sociale. Ils ont fait ce qui avait été négocié au moment de la constitution du gouvernement. Nos craintes se confirment aujourd’hui. Il faut reconnaître que le Samusocial est un acteur important, mais nous aurions espéré pouvoir organiser les choses autrement. Chaque fois que l’on crée de nouvelles structures, elles se remplissent. Mais cela ne résout pas le problème du sans-abrisme.»

Penser à long terme

La recherche-action explore le terrain bruxellois du logement et ses acteurs. Si le concept est connu, puisqu’il avait déjà fait ses preuves à Namur et Charleroi[3], il fallait en comprendre toutes les spécificités bruxelloises (le parc social restreint, les logements vides…). Cinq mois plus tard, en avril 2015, L’Îlot présente à la presse son nouveau projet. La cellule «capteur de logements», constituée de deux mi-temps et d’un comité d’accompagnement, commence ses activités. «Nous agissons comme un intermédiaire entre des propriétaires soucieux de louer leur bien au juste prix, parfois désireux de venir en aide aux plus démunis, tout en ayant la tranquillité d’esprit que ce bien sera bien géré et entretenu», explique Samantha Crunelle, responsable du projet à L’Îlot.

«Nous agissons comme un intermédiaire entre des propriétaires soucieux de louer leur bien au juste prix, parfois désireux de venir en aide aux plus démunis.» Samantha Crunelle, responsable du projet «Capteur de logements»

Pour dénicher des logements, la cellule travaille sur deux plans. D’une part, elle fait des captations directes auprès des multipropriétaires, en passant par des agences immobilières sociales, «ce qui peut freiner certains propriétaires en raison de la chute des loyers», observe Samantha Crunelle. La cellule participe d’autre part au montage de projets immobiliers, en identifiant des «investisseurs sociaux». «Une option clairement privilégiée par L’Îlot», précise-t-elle, car elle permet de répondre davantage aux demandes du public: «On peut choisir l’endroit, veiller à ce qu’il y ait un restaurant social ou une épicerie à proximité… Ces paramètres favorisent le maintien de la personne dans le logement, notre principal défi.» L’Îlot a aussi lancé un chantier par rapport aux logements privés inoccupés, dont le nombre est estimé à 20.000. «Le problème n’est pas le manque de logement mais le manque de vision politique. Il nous faut donc trouver de nouvelles solutions. Notre projet est donc capteur mais aussi créateur de logements», souligne Ariane Dierickx.

En presque un an d’existence, huit personnes ont été logées grâce à la captation directe. Plusieurs projets immobiliers ont été initiés. Ils devraient sortir de terre en 2016. Dont un exemple de montage très concret: un immeuble entièrement financé par un propriétaire sensible à la question des démunis accueillera au rez-de-chaussée le futur supermarché coopératif Beescoop[4] et trois appartements d’une chambre à quatre chambres à l’étage. 

«Tout ça sur fonds propres», tient à rappeler Ariane Dierickx. Le projet a bénéficié de subsides pour la phase d’étude de faisabilité uniquement. «En principe, la cellule ‘capteur de logements’ ne coûte ‘rien d’autre’ que ses frais de fonctionnement, mais d’autres dépenses viennent s’ajouter, explique la directrice de l’Îlot, les services de guidance censés assurer la relation entre les locataires et les propriétaires sont tellement saturés qu’ils ne sont plus capables d’assurer le manque de suivi. Il arrive donc que L’Îlot doive prendre en charge le loyer de la personne.» L’Îlot demande d’ailleurs depuis longtemps le renforcement des services de guidance, afin de faire de la prévention. Cet hiver, l’association a elle-même mis en place un service de guidance mobile composé d’un agent immobilier et d’une assistante sociale. Leur mission consistait à faire le tour des services de jour en vue de préparer les personnes au logement. L’occasion aussi de repérer des marchands de sommeil. Elle s’est arrêtée fin de l’hiver, faute de subsides. Pour l’heure, L’Îlot attend toujours sa modeste enveloppe de 120.000 euros promise dans le budget bruxellois pour 2016.

1] Lire à ce sujet: «Sans-abri et mal-logés à Bruxelles: une augmentation de 33% depuis 2010», Fil d’infos d’Alter Échos, 20 mars 2015, Margo D’Heygere.

[2] «Le programme de lutte contre le sans-abrisme s’est vu attribuer pour 2016 une augmentation budgétaire considérable. La politique d’accueil d’urgence, et particulièrement le Samusocial, se taille la part du lion»à lire dans «Budget sans-abrisme à Bruxelles: un gâteau aux parts inégales», Alter Échos n°417, 17 février 2016, Marinette Mormont.

[3] Lire à ce sujet: «À Namur, un capteur à la pêche aux proprios», Alter Échos n°379, avril 2014, Maïli Bernaerts.

[4] Projet de supermarché coopératif et participatif, avec un accent donné clairement à la production locale et aux circuits courts, porté par le réseau Ades.

Aller plus loin

«Housing First. Le logement comme priorité. Pas comme récompense», Focales n°3, Martine Vandemeulebroucke, avril 2014.

«Le projet «Housing First Belgium» sera étendu à Namur», Fil d’info d’Alter Échos, 18 mars 2015, Rafal Naczyk.

Manon Legrand

Manon Legrand

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