Une carte blanche de l’asbl Transit.
Le dilemme entre protection des autres et protection de soi est permanent chez les travailleuses et les travailleurs du social. Depuis le début de la crise du coronavirus, il est source de tensions. La stratégie de confinement du gouvernement et le restez-chez-vous sont particulièrement inadaptés aux situations de vie précaire. Les publics des professionnels.elles du social n’ont pas de chez-eux. Ce sont des citoyens de la rue, sans domicile fixe, ils sont particulièrement vulnérables, plus encore face au coronavirus. Alors que faire, comment s’organiser?
Porter assistance aux plus démunis n’est pas un job comme les autres, il n’est pas celui que l’on exerce ni pour mener une vie confortable, ni pour asseoir un statut social. Il a cela de particulier ce métier, il est à haute valeur ajoutée, celle de la solidarité. A l’heure du combat contre le Covid 19, il est de ceux qui se révèlent être essentiels, comme l’ensemble des fonctions liées aux services publics, de santé et à la cohésion sociale.
Dans le domaine de la grande précarité, on croise beaucoup de ces travailleurs, tapis dans l’ombre la plupart du temps, aujourd’hui prêt à éteindre le feu sans scaphandre, sans lance à incendie. En milieu hospitalier, des voix s’élèvent pour alerter les autorités sur le risque de pénurie de masques de protection contre le virus. Personne n’imaginerait une prise en charge des malades à main nue, la bouche ouverte. Et pourtant, dans le secteur de la grande précarité, on travaille sans filet même en période de pandémie.
L’injonction n’est pas nécessaire pour envoyer les métiers du social au front, ils sont animés par des valeurs si fortes qu’ils y vont bien volontiers, même sans arme. Le dilemme est facilement tranché: arrêter de faire, c’est condamner les plus désœuvrés face au virus. Arrêter de faire signifierait à coup sûr une surcharge rapide des urgences hospitalières, une situation de crise que la stratégie de confinement actuelle vise précisément à éviter. Mais faire comme aujourd’hui, en l’absence de moyens supplémentaires et de matériel de protection c’est courir à la catastrophe.
La charge morale est grande dans l’aide aux personnes précaires, le conflit de valeurs est permanent, balancé entre intérêt personnel (protection des proches, de leurs familles) et intérêt général (protection des plus démunis et de la société). Actuellement on entend des travailleurs, conscients des risques, se mettre à l’écart de leur famille, de leurs amis pour éviter une contagion. Dans un élan de solidarité, ils continuent à prendre soin de ceux mis au banc de la société. La solidarité et le métier priment, mais à quel prix? La conscience des enjeux relève-t-elle à ce point de la responsabilité individuelle et du corps professionnel? Ou est-elle politique?
Les «laissés pour compte» sont les grands oubliés de la stratégie de confinement et des messages politiques. Il a fallu attendre l’initiative du cabinet Maron, le 17 mars dernier, pour qu’enfin leur situation soit prise en compte. Le ministre de la Cohésion sociale a annoncé la création de 15 places «d’isolement et de protection», d’un service mobile d’intervention et d’un dispatching interconnecté aux différents centres d’aide.
Cette annonce est encourageante, elle témoigne d’une solidarité et de la prise en compte effective mais tardive de nos publics par les autorités. Mais, l’enthousiasme s’estompe au regard des chiffres du recensement des personnes SDF, réalisé à l’automne 2018. Il y aurait au moins 4.187 citoyens sans-abri à Bruxelles, hors crise migratoire. Il faut craindre une surcharge rapide de cet accueil dans le cas d’une croissance exponentielle des contaminations.
Le cabinet du ministre Maron demande également aux institutions de maintenir les accueils et les hébergements. Mais, il n’évoque toujours pas la question de l’organisation de ceux-ci et la fourniture de moyens de protection tarde. Les travailleuses et les travailleurs du social restent livrés à eux-mêmes avec leur conscience et le sempiternel dilemme entre souci de l’autre et souci de soi. Mais ils continuent envers et contre tout. Cette situation est inadmissible.
La crise actuelle nous révèle à quel point notre système est fragile, nous n’y étions pas préparés. Nous espérons maintenant qu’elle permettra une prise de conscience, un changement vers plus de solidarité et un retour des investissements dans le service public. Mais, si l’on veut ces changements il faut commencer tout de suite. Hélas, sur le terrain du social la situation actuelle ne laisse rien présager de bon. Au jour 9 après la première conférence de presse du Conseil National de Sécurité nous, bon Samaritain des désoeuvrés, sommes toujours avec notre public les grands oubliés de la stratégie de confinement. Sortons de l’ombre pour eux, exhortons les gouvernements à encore davantage prendre en considération le sort des plus précarisés.
Prenons garde, actuellement nous désamorçons une bombe sociale dans une prise de risque maximale. Nos services manquent de tout, la ruée vers les denrées alimentaires, vers les biens de première nécessité appauvri aussi les réseaux de solidarité. La banque alimentaire manque de vivres. Bientôt, nous ne pourrons plus offrir de repas aux plus démunis. La limitation de l’accès à certains de nos services impacte directement le public précaire en termes socio-sanitaires.
Nous tirons la sonnette d’alarme, les travailleuses et les travailleurs de première ligne commencent à être infectés par le coronavirus. Bientôt, ils ne pourront plus aller au front de la précarité. Si nous n’obtenons pas rapidement du matériel de protection nous risquons d’être contraints de fermer totalement les services par manque de personnel. La bonne volonté des femmes et des hommes de terrain n’est pas un rempart contre la maladie.
Les directions du centre Transit et leurs équipes
Contact: Bruno Valkeneers
Chargé de communication
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