Depuis novembre, l’aide à la jeunesse a son conseil communautaire nouvelle version. Et une présidente fraîchement nominée : Isabelle Druitte. Rencontre.
Elle n’a appris sa nomination qu’au mois de novembre dernier, mais elle est déjà submergée par le travail. « Le CCAJ doit remettre des avis sur tous les textes qui vont être modifiés avant la fin de la législature… et il y en a beaucoup. »
Elle s’appelle Isabelle Druitte. C’est la nouvelle présidente du Conseil communautaire de l’aide à la jeunesse (CCAJ). Celle qui succède à Guy De Clercq s’apprête à passer ses week-ends et ses soirées sur des avis qui, certes, ne changeront pas la face du monde, mais peut-être celle du secteur de l’aide à la jeunesse.
La nouvelle présidente avoue avoir été « surprise » qu’on lui propose de tenir les rênes du CCAJ pour une durée de six ans.
Surprise, car le secteur qu’elle représente, celui de la formation continuée des travailleurs de l’aide à la jeunesse, ne siégeait même pas dans les anciennes assemblées du Conseil communautaire. « Nous avons toujours été considérés comme faisant partie de l’aide à la jeunesse… tout en étant à l’écart. »
Mais la récente réforme du CCAJ est passée par là, ouvrant le quorum des représentants à de nouveaux secteurs. « Avec mes collègues d’autres centres de formation, nous avons proposé trois noms pour siéger au Conseil. Puis le cabinet de la ministre Évelyne Huytebroeck m’a proposé la fonction de présidence. C’est pour moi un fameux défi, car la fonction est essentielle dans le secteur de l’aide à la jeunesse. »
« La reconnaissance d’un travail de vingt ans »
La nomination d’Isabelle Druitte a été une surprise de courte durée. La présidente n’est pas une inconnue du monde de l’aide à la jeunesse. « Cette nomination est pour moi la reconnaissance d’un travail de vingt ans dans le secteur », affirme celle qui fonda, en 1995, le Centre d’études et de formations (Ceform) à Chapelle-Lez-Herlaimont, qu’elle dirige toujours.
Les formations du Ceform s’adressent à différents secteurs, mais l’aide à la jeunesse y occupe une place prépondérante. On y forme des travailleurs aux enjeux du secteur mais on propose aussi des séances de supervision collective, « lorsque les équipes ont besoin de recul par rapport à des situations lourdes ou qu’elles ont besoin d’aide pour refaire le lien entre ce qu’elles font au quotidien et leur projet pédagogique ».
Des formations très demandées auxquelles assistent à la fois des membres de services privés de l’aide à la jeunesse et de services publics (les services d’aide à la jeunesse, SAJ, et services de protection judiciaire, SPJ).
Lors de ces formations, ou des supervisions, des doutes s’expriment. Des craintes aussi. Les vécus des équipes trouvent un canal d’expression. Dès lors, Le Ceform, à l’instar d’autres organismes de formation, devient « le réceptacle des difficultés des professionnels », nous apprend Isabelle Druitte. « Après vingt ans au contact quotidien avec les équipes de services de l’aide à la jeunesse, je me sens au cœur des préoccupations du secteur », ajoute-t-elle, comme pour mieux s’asseoir au fauteuil de présidente.
« À l’interface entre administration, services publics et privés »
Une chose est sûre, la nomination d’Isabelle Druitte ne doit rien au hasard. « En choisissant quelqu’un issu de la formation, on choisit quelqu’un qui n’est pas impliqué dans un des sous-secteurs de l’aide à la jeunesse, quelqu’un qui a peut-être un regard plus méta », nous confie Guy De Clercq, son prédécesseur à la présidence.
Un choix qui n’est pas anodin dans un contexte de tensions entre services publics de l’aide à la jeunesse (les SAJ et SPJ où l’on décide des prises en charge de mineurs) et les services privés (où les prises en charge ont lieu, qu’il s’agisse d’hébergement ou de suivi en famille).
Une position particulière que précise Isabelle Druitte : « Nous ne sommes pas directement impliqués dans les enjeux principaux, mais nous sommes à l’interface entre administration, services agréés et services publics. »
La présidente jouit ainsi d’un positionnement « un peu extérieur », qui lui permet de « connaître les difficultés des uns et des autres ».
Selon elle, les frictions du secteur soulignent le besoin d’une meilleure communication : « Certains rouages pourraient mieux fonctionner, comme la compréhension du travail de l’autre. Cela peut passer par des formations communes. Parfois, les services ne se rendent pas compte qu’ils suivent le même public, qu’ils subissent la même charge de travail. »
Concernant ce dernier aspect, Isabelle Druitte se fend d’un sourire amusé : « Depuis vingt ans, j’entends que la charge de travail est trop lourde et que les situations sont de plus en plus difficiles. » Très vite, elle nuance son propos : « J’ai noté une augmentation du nombre de problèmes dans les équipes. Mais est-ce lié aux situations des jeunes ? En partie, car certaines situations sont plus complexes qu’avant. Mais cette complexification est peut-être liée aux nombreuses normes du secteur, aux arrêtés. Et, il faut bien le dire, à la pression qui pèse sur l’aide à la jeunesse. »
« Ne voter qu’en dernier recours »
Isabelle Druitte s’attend bien sûr à des difficultés. La première d’entre elles concerne le nombre de personnes qui siègent au sein du CCAJ : « Le Conseil a été élargi. Il y a septante membres issus de différents secteurs. L’idée est d’avoir une vision plus globale, plus transversale. Il faut faire attention que le travail avec de vastes assemblées n’empêche pas d’arriver à des avis aussi précis qu’ils doivent l’être. »
Car son nouveau rôle, consiste justement à, « mettre les gens d’accord pour donner des avis sur tout ce qui touche de près ou de loin à l’aide à la jeunesse. L’idée est de travailler au consensus, et de ne voter qu’en dernier recours. »
Son premier exercice pratique concerne le débat sur les « capacités réservées » (proposition de la ministre Huytebroeck de réserver un certain nombre de places pour les autorités mandantes dans les services agréés d’aide à la jeunesse). Un avis qui sera suivi de bien d’autres. Il faudra bien suivre l’accélération législative qui précède les élections. Les avis sur les services de prestations éducatives ou philanthropiques (Spep), sur les services d’accrochage scolaire ou encore sur le service de placement familial sont attendus ces prochaines semaines.
Au-delà de l’urgence, Isabelle Druitte sait bien que son secteur est confronté à des enjeux touchant à son essence même. Et qu’il faudra s’y coltiner. Il y a bien sûr le manque de places dans les services agréés de l’aide à la jeunesse, notamment dans les services d’hébergement (SAAE). « Peut-être a-t-on été trop loin en 1999, en réduisant le nombre de lits disponibles », concède-t-elle. Elle évoque aussi volontiers cette multiplicité de services, cette « hyperspécialisation » des prises en charge spécifique à son secteur qui manque désormais de « services généralistes ».
Isabelle Druitte jette un regard craintif sur l’avenir. Selon elle, au vu du discours ambiant, le secteur devra rappeler haut et fort « la place à part, qu’occupent les enfants dans le système judiciaire ».
Aux détours de conversations qui abordent la « passion pour la pédagogie » puis la « déontologie » ou l’importance du « secret professionnel », Isabelle Druitte se prépare à ses prochaines échéances. Un avis sur les « capacités réservées » et des discussions qui s’annoncent houleuses. Tout un programme… qu’Alter Échos ne manquera pas de suivre.
En savoir plus
CCAJ – Conseil communautaire de l’aide à la jeunesse, Ministère de la Communauté française, Direction générale de l’aide à la jeunesse : tél. : 02 413 31 13 – courriel : nathalie.baugnet@cfwb.be