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Regard critique · Justice sociale

Culture

Ce samedi, on éteint l’ordi pour rallumer la culture

Ce samedi 20 février, Journée mondiale de la Justice sociale, des centaines d’actions de toutes sortes auront lieu à travers toute la Belgique pour ramener la question culturelle au centre des préoccupations. Pour recommencer, comme en appelle le mouvement à cette initiative Still Standing for Culture, à «faire culture», dès maintenant, sans attendre un «hypothétique printemps culturel». 

18-02-2021
Affichage d’amour, action d'Archipel 19 - Bruxelles. Infos ici : http://www.stillstandingforculture.be/affichage-damour/

Dimanche dernier, l’artiste Quentin Dujardin investissait une église pour organiser une série de concerts en petit comité – les 15 personnes autorisées – avant d’être interrompu par la police. L’artiste, en se réappropriant un lieu de culte à l’heure où les endroits de culture sont toujours porte close, a expliqué «avoir voulu pointer une absurdité et tenter d’ouvrir une brèche pour les artistes». Ce samedi, c’est d’un tas d’espaces à Bruxelles et en Wallonie – de la fenêtre de son habitation aux cinémas en passant par la rue, assurément, «partout où nous le pourrons malgré les importantes restrictions de libertés» – dont s’empareront artistes et citoyens animés d’une même envie, voire d’une nécessité, celle de «faire culture». Une action largement suivie – qui prendra de multiples formes : transformation de l’abbaye de Floreffe, où se déroule le festival Esperanzah! en parc artistico-zoologique, cinéma sans public, performances furtives, interventions dans des vitrines de bars fermés, la liste est longue – bref, un Carnaval Totaal (expression librement et solidairement empruntée au Cinéma Nova, de la partie dans cette action), avec son lot d’extravagance et de réjouissance, que nous explique Gwenaël Breës, de Still Standing for Culture, «rassemblement de circonstance qui réunit des travailleur·se·s de la culture, des lieux culturels et des fédérations artistiques».

AÉ: Quelles sont les revendications que veut faire passer Still Standing for Culture à travers ses actions, dont celle-ci, la troisième, qui se déroule ce samedi ?

GB: Still Standing veut ouvrir une discussion politique, sociale et culturelle sur ce que nous traversons. Nous revendiquons une approche de cette crise sanitaire qui tienne compte des risques sociaux, psychosociaux et économiques, de la santé mentale, et des enjeux démocratiques. L’idée, à travers cet événement, est de dire que ça n’est pas parce que les lieux sont fermés qu’il faut s’arrêter de «faire culture». Par «faire culture», on entend : raconter d’autres récits, porter des regards sur la crise, continuer de pratiquer son art, reprendre nos droits dans l’espace public. Aujourd’hui, on n’a plus le droit d’être dans des salles de spectacle ou de cinéma, mais on n’est pas autorisé non plus à faire culture dans la rue, même de façon limitée. Par exemple, le festival Namur en Mai, qui organise une action ce samedi à Namur, a été autorisé à y faire des prises de paroles, mais interdit d’artistes sur scène. C’est la même histoire que Quentin Dujardin. Le procureur du Roi entendrait verbaliser le concert, mais pas l’acte politique. Contre ces atteintes à nos libertés de s’exprimer culturellement, l’idée de cette action est aussi de chatouiller les règles et de commencer à regagner nos droits.

Par «faire culture», on entend : raconter d’autres récits, porter des regards sur la crise, continuer de pratiquer son art, reprendre nos droits dans l’espace public.

AÉ: En effet, vous communiquez votre envie d’«agir avec ingéniosité dans les limites étroites, les interstices et les zones d’ombre des règles actuelles» pour en révéler les limites et iniquités. Par exemple ? 

GB: Des files vont être organisées devant les cinémas ou les théâtres, contre-pied aux files qu’on voit devant les supermarchés et les grands magasins. On estime avec ces actions qu’on est dans notre bon droit mais mais il est impossible de connaître la réponse juridique précise. Si nous jouons de la musique en bulle de 4 en rue, est-ce interdit, ou autorisé ? Cela nous montre qu’on est aussi dans une situation où s’imposent des règles arbitraires que le citoyen ne comprend plus du tout. Il sera d’ailleurs intéressant de voir, au lendemain des actions les disparités de traitement qui leur auront été réservées.

AÉ: La ministre de la Culture (FWB) Bénédicte Linard a exprimé sur les ondes de la Première mercredi soir (CQFD) ne plus vouloir entendre parler de ce qui est «essentiel ou pas». Face à elle, Samuel Tilman, de  l’ Union des fédérations des travailleurs et travailleuses de la culture, expliquait aussi qu’il fallait «arrêter d’opposer les secteurs entre eux». Still Standing le revendique aussi dans son communiqué sur l’action de samedi que «la logique consistant à fermer « des vannes » pour permettre à d’autres de rester ouvertes à plein débit, doit cesser». 

GB: La notion d’essentiel ou de non-essentiel est indéfinissable et éminemment subjective. C’est donc un concept dangereux qu’on refuse d’utiliser. On peut bien sûr imaginer que dans un moment très grave on ne fasse tourner que certaines choses indispensables à notre survie. Nous ne sommes pas dans cette situation aujourd’hui. On l’a vu, ces derniers mois, cette distinction sert à faire tourner l’économie, le travail et l’école pour le travail. On ne peut plus justifier ce qui se passe maintenant par des mesures d’exception. Il faut imaginer et trouver une manière de faire en sorte que l’ensemble de la société puisse exister, et répartir équitablement le poids des efforts sur l’ensemble de la société. Si on illustrait par une image, ça serait par exemple les magasins de vêtements ouverts le lundi et mardi, les lieux culturels le mercredi et jeudi, l’horeca le vendredi et samedi, etc. C’est une image, mais elle dit qu’on doit trouver d’autres manières de gérer « les vannes ».

Si nous jouons de la musique en bulle de 4 en rue, est-ce interdit ou autorisé ?

AÉ:  Fin 2020, paraissait, à l’initiative du Cinéma Nova, une carte blanche qui entendait dénoncer le désastre tant pour les professionnels du secteur que pour la société dans son ensemble de la mise à l’arrêt du secteur culturel. Elle a été signée par plus de 700 organisations, représentant la culture au sens large, des fédérations d’artistes aux associations d’éducation permanente ou du social-santé. Est-ce que cette diversité sera aussi représentée samedi?

GB: L’appel à action est, contrairement à la carte blanche qui était ouverte exclusivement aux organisations, adressé à tout le monde. On peut donc s’attendre à une grande diversité. Sur le plan géographique aussi, les centaines d’actions sont prévues sur une centaine de localités dans le pays. Cette action pense donc la culture au sens large, comme une expression chorale de la culture, entendue comme nourriture nécessaire à notre vie, à notre santé mentale.

AÉ: Avez-vous une idée, même générale, de l’état du secteur culturel aujourd’hui. Comment vont les artistes, les lieux culturels, les initiatives culturelles ?

GB: Je n’ai pas de représentation précise. Le tableau est sombre, mais très inégal, notamment entre les lieux subventionnés et ceux qui ne le sont pas, entre les artistes qui ont le « statut » ou pas, même si pour ceux qui l’ont, il y a parfois eu des retards de payement de plusieurs mois. Cette crise a également fait apparaître des problèmes de fond qui préexistaient au Covid, comme si l’arrêt de l’activité avait fait rejaillir des problèmes préexistants, dans un contexte où les gens n’ont pas le moral, pas d’activité, et pas de perspective.

AÉ: Dans ce tableau culturel assez sombre, il y a quand même une bonne nouvelle, la culture a continué sur les ondes. Est-ce que des actions radiophoniques sont prévues ce samedi ?

GB: En effet, les radios n’ont pas été confinées. Still Standing sera aussi sonore. Par exemple, la toute récente web radio installée installée au KANAL-Centre Pompidou, Radio Campus et Radio Panik feront des émissions en direct.

AÉ: Still Standing c’est aussi de la culture dans le monde réel. Une façon de prendre ses distances avec le monde virtuel et ses «fausses» promesses ?

GB: Au début, on avait imaginé comme nom de l’action «Le 20 février, on arrête le streaming». La présence du virtuel pose en effet un tas de questions : il y a un risque qu’on s’habitue à « consommer » des artistes non payés, à l’écran plutôt qu’au vivant. Qu’est-ce que ça va produire et susciter en nous, à long-terme ?

Manon Legrand

Manon Legrand

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