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Regard critique · Justice sociale

Petite enfance / Jeunesse

Céline Delbecq: «J’ai beaucoup d’affection pour cette jeunesse rejetée»

L’Enfant sauvage, la pièce de Céline Delbecq, évoque le quotidien difficile des enfants et de leur famille d’accueil. La metteuse en scène s’inspire notamment de son expérience comme bénévole dans une institution.

© Pierre Jassogne

L’Enfant sauvage, la pièce de Céline Delbecq, évoque le quotidien difficile des enfants et de leur famille d’accueil. La metteuse en scène s’inspire notamment de son expérience comme bénévole dans une institution.

Alter Échos: Comment est né L’Enfant sauvage?

Céline Delbecq: Cela fait longtemps que j’y pensais. En 2002, à 16 ans, je suis entrée pour la première fois dans le monde des enfants du juge. Puis, l’année suivante, dans le monde des adolescents placés par le juge. À chaque fois, une nouvelle bataille face à ces jeunes, âgés entre 13 et 21 ans, et les yeux noirs de colère. Depuis treize ans, comme bénévole, je travaille avec ces adolescents en institution et il me semble que l’écriture peut permettre, le temps d’un spectacle, de remettre ces enfants et adolescents au centre de leur histoire.

A.É.: On imagine que le spectacle s’est construit avec vos différentes expériences avec les jeunes…

C.D.: Oui, d’autant plus que je connais le vocabulaire de ces jeunes, où ils évoquent leur famille d’accueil, leurs éducateurs référents, les juges, les psys… J’ai beaucoup d’affection pour cette jeunesse rejetée, oubliée, délaissée. Ce qui est intéressant, c’est que ces jeunes ne se censurent pas quand ils parlent. Ils aiment se foutre de la gueule du monde, c’est comme cela qu’ils existent. Ils ont dû s’endurcir. Je me souviens d’une discussion où l’un d’eux évoquait la façon dont il se faisait virer systématiquement de ses familles d’accueil. Les jeunes que j’ai rencontrés jouent à tester la durabilité du lien parce qu’ils ont toujours été rejetés. Ils ont toujours été abandonnés. Dès qu’ils ont une famille d’accueil, ils s’amusent à mettre le bordel, rien que pour se prouver à eux-mêmes qu’ils vont encore être abandonnés.

A.É.: Puis il y en a qui s’en sortent, d’autres moins…

C.D.: C’est vrai, ce n’est pas évident surtout pour des jeunes placés qui ont des troubles du comportement, qui sont plutôt difficiles, parfois violents, presque fichus d’avance, mais je reste persuadée que ce qui peut les sauver, c’est la famille d’accueil. Mais ce qui est terrible, par contre, c’est quand ils sont plus grands, ils ont beaucoup moins de chance d’avoir une famille. Il ne faut les oublier non plus.

A.É.: Comment expliquez-vous le rejet de ces jeunes?

C.D.: Tout simplement parce que beaucoup de gens ignorent cette réalité. Ils ne savent même pas que cela existe, y compris les spectateurs de cette pièce. Or, je suis convaincue qu’ils pourraient être de formidables parents d’accueil. C’est dû à un manque d’informations. J’en suis même persuadée, sans quoi il n’y aurait pas ce spectacle. C’est sans doute naïf de ma part, utopique même, mais j’ai envie de croire qu’en mettant un coup de projecteur sur cette réalité, les choses vont changer. C’est pour cela qu’à la place d’un programme traditionnel, on a créé des petits cartons d’informations sur les possibilités pour accueillir ces enfants, les différences aussi entre l’accueil d’urgence ou le parrainage, par exemple…

A.É.: Concernant votre travail de bénévole en institution, comment le conciliez-vous avec votre activité théâtrale?

C.D.: C’est pendant les vacances, une à deux semaines par an. Mais avec eux, je ne fais pas de théâtre. Je suis comme une éducatrice, et c’est l’occasion de faire des ateliers comme du slam, par exemple. Mais si l’initiative ne vient pas d’eux, c’est la croix et la bannière. Tout ce qu’il faut faire, c’est de les intéresser. Une fois, j’avais envie de les interviewer, et je me suis vraiment pris la tête pour voir comment j’allais pouvoir les convaincre. Parce qu’ils ne se livrent pas facilement. J’avais préparé une liste de questions et je sortais de temps en temps ma caméra, je les filmais, et puis l’un d’eux m’a dit en la voyant, si on pouvait faire des interviews. Puis, de fil en aiguille, on a évoqué leur rapport à la famille, mais il faut que cela vienne d’eux.

A.É.: Ce qui vous touche aussi, c’est que, à côté de la pièce, il y a des connexions qui peuvent se faire entre des institutions pour enfants, des parents d’accueil, des enfants ou de futurs éducateurs…

C.D.: C’est essentiel pour moi ce lien entre le social et l’artistique. Quand cela est permis comme avec L’Enfant sauvage, j’en suis heureuse. J’espère que les rencontres iront dans ce sens. Toutes ces associations permettent aussi à des spectateurs non habitués au théâtre de découvrir cet univers, et c’est magnifique parce qu’ils peuvent apporter un autre regard sur le travail de création. C’est tellement plus porteur, plus signifiant aussi.

La pièce

C’est parce que c’est une gosse qu’il s’est arrêté. Avec ses cris qui s’entendent au loin. Ce sont ceux d’une enfant sauvage perdue au milieu de la place du Jeu de balle. Dans la foule, un flot d’indifférence jusqu’à ce qu’un homme s’intéresse à elle. Ce qu’il raconte, c’est une nouvelle réalité qu’il découvre: accueil d’urgence, juge, paternité, administration, adoption… L’histoire, c’est celui d’un homme qui va démarcher pour être famille d’accueil. Porté par Thierry Hellin, l’acteur nous fait pénétrer une réalité sur ces enfants qui n’ont jamais été sujets de leur histoire. Par sa sensibilité, sa douceur, son empathie et, paradoxalement, sa colère ou sa force, cet homme simple et seul fait la découverte de la relation à l’enfant, mais aussi des procédures. C’est tout l’enjeu de la pièce de Céline Delbecq qui suit le parcours de ces jeunes depuis plusieurs années maintenant. Derrière cette histoire, il y a surtout une réalité cruciale, celle de la recherche d’une centaine de familles d’accueil en Wallonie et à Bruxelles. La demande de prise en charge en famille d’accueil est importante, et les familles prêtes à s’engager dans cette aventure manquent, tout simplement parce que cette démarche est encore trop peu connue. Actuellement, 4.700 jeunes francophones sont confiés chaque année à une famille, parce que le jeune ou ses parents connaissent des difficultés sur le plan social, psychologique ou matériel. Trois quarts d’entre eux sont accueillis dans leur famille élargie et un quart dans ce qu’on appelle une famille d’accueil externe. Depuis fin 2015, le ministre en charge de l’Aide à la jeunesse Rachid Madrane (PS), en partenariat avec la Fédération des services de placement familial, a lancé une campagne pour recruter de nouvelles familles d’accueil.

Une conférence autour de la pièce L’Enfant sauvage aura lieu le 5 février au Théâtre 140. Infos: www.theatre140.be 

Derrière l’histoire de L’Enfant sauvage

C’est en rencontrant Catherine Pierquin que Céline Delbecq a trouvé le thème de sa pièce. Éducatrice spécialisée à l’institution Les Glanures, à Hornu dans le Hainaut, Voilà une vingtaine d’années qu’elle travaille dans l’aide à la jeunesse. «On se rend compte qu’il n’est pas toujours possible de réinsérer un jeune dans sa famille. C’est de plus en plus courant, et cela doit faire appel à un service de placement familial, en essayant de réinsérer le jeune. Or, dans les faits, il n’y a pas de famille d’accueil disponible. C’est comme cela que j’ai eu le cas d
’une petite fille qui était sur liste d’attente depuis deux ans, et j’en ai parlé à Céline.» 
Face à ce genre de situations, et par la force des choses, Catherine a essayé de trouver elle-même une famille: «On en parle autour de nous, on essaie, on espère qu’on va trouver des gens pour les sensibiliser à la situation. C’est comme cela qu’on a trouvé une solution. C’est arrivé pour d’autres enfants.» Selon elle, il y a clairement un manque cruel d’informations et un manque de promotion de l’accueil familial. «Cela permettrait de libérer des places dans les institutions et offrirait surtout aux enfants accueillis la possibilité de grandir dans une famille chaleureuse et ouverte, tout en restant loyaux envers leurs parents biologiques. La famille d’accueil a une responsabilité particulière, puisqu’elle remplit un rôle éducatif et affectif sans remplacer les parents.»

A voir à Bruxelles, Atelier 210, jusqu’au 30 janvier, à 20h30. DInfos & rés. : 02.732.25.98, www.atelier210.be

Ensuite du 1er février au 12 mars (et la saison prochaine) en divers lieux de Wallonie et de Bruxelles. 

>3.02.16  Centre Culturel Jacques Franck (Bruxelles)
4.02.16  Centre Culturel de Beauraing
05.02.2016 Rencontre Théâtre 140 (Bruxelles)
6.02.16 Maison Culturelle d’Ath
15.02.16 Riches Claires (Bruxelles)
17>20.02.16 Théâtre Marni (Bruxelles)
22.02.16 Festival Paroles d’Hommes (Herve)
26.02.16 Centre Culturel d’Engis
2>3.03.16 Maison de la Culture de Tournai
5.03.16 Centre Culturel de Gembloux
10.03.16 Centre Culturel d’Ottignies – LLN
11.03.16 Centre Culturel du Brabant Wallon
12.03.16 Foyer Culturel de St Ghislain

Pierre Jassogne

Pierre Jassogne

Journaliste

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