Céline Fremault est la nouvelle ministre de l’Emploi et de l’Economie à Bruxelles, en remplacement de Benoît Cerexhe. Elle a répondu à nos questions. Morceaux choisis
A.E. : Vous avez dit lors de votre prestation de serment que vous vouliez vous battre pour l’emploi des jeunes.
C.F. : Bruxelles est la région la plus jeune du pays. (…) Un jeune Bruxellois sur trois qui se présente sur le marché de l’emploi est demandeur d’emploi (…). Une situation qui reste paradoxale parce qu’il existe près de 700 000 emplois sur Bruxelles mais que ces emplois ne profitent pas aux Bruxellois puisqu’un emploi sur deux est occupé par un non-Bruxellois. Deuxième paradoxe : la non-correspondance entre l’offre et la demande. (…) Un jeune chômeur sur deux a au mieux un certificat d’enseignement secondaire inférieur. Et la question des connaissances linguistiques est aussi importante. 90 % des offres d’emploi réclament un bilinguisme et 90 % des demandeurs d’emploi sont unilingues, ce qui vous donne une idée du gap.
A.E. : Que faut-il faire à votre niveau ?
C.F. : Vous connaissez les politiques qui ont été mises en œuvre. Il y a les centres de référence. (…) Il y a le plan langue. (…) Et le CPP.
A.E. : Quel bilan tirez-vous justement du CPP (NDLR contrat de projet professionnel rendu obligatoire pour les 18-25 ans) ?
C.F. : Il était essentiel d’avoir un service actif, personnalisé et de qualité. Je trouve que l’idée qui a sous-tendu sa mise en place, qui était de dire qu’il faut pouvoir booster les jeunes, les doper dans leur recherche d’emploi, se révèle objectivement pertinente. Concernant les premiers résultats, je ne vais pas dire que c’est la panacée, mais ils sont intéressants puisqu’on augmente les chances d’obtenir un emploi de près 10 % pour les jeunes qui sont plus qualifiés et de près 20 % pour les moins qualifiés.
A.E. : Certains opérateurs de terrain, comme les missions locales, craignaient que cela n’entraîne un afflux de jeunes dans leurs locaux. Qu’en pensez-vous ?
C.F. : Il y a un afflux des chercheurs d’emploi dans l’ensemble des services (…). Mais il ne faut pas non plus inverser les perspectives, l’accompagnement personnalisé n’est pas à l’origine de l’afflux. L’origine de l’afflux, c’est le chômage important et la décision de vérifier que les chercheurs d’emploi ont une démarche active, à laquelle je souscris. Je considère que le CPP est une avancée puisqu’on aiguille le demandeur de manière assez efficace. Et c’est dans ce même esprit que la mise en œuvre de l’ordonnance mission locale est discutée avec celles-ci. Il s’agit de définir le flux des chercheurs d’emploi qu’elles vont avoir la tâche d’accompagner (…) Maintenant, il y a une question de définition extrêmement claire de méthodologie dans le parcours des chercheurs d’emploi entre Actiris et les missions locales. Il y a des concertations qui ont eu lieu. (…) J’appelle de tous mes vœux pour que ces concertations, le contrat de gestion d’Actiris et l’arrêté du 8 mars 2012 (NDLR : relatif à l’agrément des structures) de l’ordonnance mission locale garantisse les engagements qui ont été pris et que les conventions soient acceptées de tous.
A.E. : Vous parlez de l’ordonnance missions locales. Où en est l’arrêté de financement ?
C.F. : (…) La question du financement est le point délicat. (…) La difficulté est de voir appliquer un traitement égal à des situations qui sont différentes à chaque fois et de ne léser personne. (…) On dégage des principes intéressants à ce stade, je reverrai la Febisp prochainement. Le but est d’avoir la garantie qu’on ne va pas demander aux missions locales plus que ce pour quoi elles sont financées. Je suis extrêmement claire là-dessus. On espère que les propositions feront consensus (…). Et j’espère que l’arrêté pourra passer en première lecture avant le 21 juillet.
A.E. : On sait que la question du CPP avait généré des tensions entre Monsieur Cerexhe et Emir Kir, en charge à l’époque de la Formation. Comment voyez-vous votre collaboration avec Rachid Madrane, le successeur de Monsieur Kir ?
C.F. : Elle est bien sûr indispensable. Nous nous voyons la semaine prochaine. Nous prendrons du temps pour faire le point sur les différentes collaborations. On a évidemment un intérêt mutuel à avoir des politiques croisées. Si les choses ont pu être tendues de temps à autre entre les titulaires précédents des deux portefeuilles, il y a quand même des choses qui ont avancé sur l’apprentissage des langues, les centres de référence, il y a eu les politiques croisées emploi-formation. (…) Et puis il y a la question de la réforme de l’Etat. Et là, il est clair que nous avons toujours eu la volonté de croiser un maximum de politiques entre l’emploi et la formation. Au CDH, nous avons d’ailleurs toujours été extrêmement clairs en disant qu’il faudrait idéalement que le même ministre soit en charge du portefeuille de l’Emploi et de la Formation.
A.E. : Vous évoquez les politiques croisées emploi-formation, lancées il y a un an et demi par Benoît Cerexhe et Emir Kir. On en a peu parlé depuis…
C.F. : Je vois justement Monsieur Madrane sur cette question la semaine prochaine.
A.E. : L’idée est de relancer la machine après la passation de portefeuilles ?
C.F. : C’est ça.
A.E. : Vous êtes aussi en charge de l’économie sociale. Quelle est votre opinion sur ce secteur ?
C.F. : En tant que mandataire publique j’ai eu recours au secteur. (…) C’est un partenaire qui est incontournable pour tous les défis qui sont à relever. Dans le cadre du boom démographique d’abord, avec tous les services qu’il y a à fournir dans le cadre des services aux personnes, des crèches, de l’aide à la petite enfance, de l’ISP des publics plus précarisés.
A.E. : Votre prédécesseur a fait passer une nouvelle ordonnance concernant le secteur.
C.F. : Elle a permis de souligner que c’est un modèle économique qui est d’avenir, innovant, adéquat, qui a fait ses preuves dans un bon nombre de secteurs. (…) Et puis, c’est porteur de plus-value sociale. (…) Je trouve que le texte a bien traduit cette finalité de service à la collectivité de façon générale, plutôt qu’une finalité de profit au premier sens. (…) L’ordonnance a eu beaucoup de mérite : faciliter l’insertion, la transition professionnelle, donner une définition de l’économie sociale, créer une plate-forme de concertation qui va être instaurée par arrêté. Il était nécessaire d’avoir une agora du secteur qui puisse relayer auprès du gouvernement les préoccupations, les désidératas, les perspectives (…). Les discussions à ce niveau sont en cours, il y a un groupe de travail élargi (NDLR : composé entre autres de représentants des EI, des Ilde, des ETA) qui discute pour l’instant. (…) L’arrêté va aussi mettre en place des principes de prévisibilité budgétaire, pour permettre aux structures de savoir combien de subsides elles vont pouvoir bénéficier l’année suivante, voire en projection pour les années d’après.
A.E. : L’opposition avait critiqué l’ordonnance, en affirmant notamment qu’il faudrait pouvoir disposer d’outils pour lever les obstacles de l’économie sociale, notamment le fait de pouvoir assurer une bonne formation des gestionnaires…
C.F. : L’ordonnance a répondu techniquement à des problèmes techniques, on n’a pas tout résolu. Mais ceux qui veulent résumer toute notre action à cette ordonnance-là oublient ce que nous faisons par ailleurs, c’est un processus global. Cela dit qu’il y ait parfois des gens insuffisamment formés qui se présentent, c’est probable. (…) Mais je ne mets pas en doute la sincé
rité des porteurs de projet. (…) Je voudrais d’ailleurs insister sur les vocations. (…) Il manque encore de gens qui portent des projets. Pour les aider, il y a les bourses Impulcera, un prix d’économie sociale. Ce n’est pas encore suffisant, on dit toujours que nous ne recevons pas assez de dossiers. C’est un appel direct que je lance au secteur : nous avons un dispositif, nous avons avancé sur le plan législatif, on va l’outiller sur le plan financier, il y a une plate-forme de concertation. C’est un secteur qui a fait l’objet de beaucoup d’attention, il ne faut pas avoir peur de s’y lancer, il y a de belles histoires, au-delà de l’aspect social.
A.E. : L’opposition reprochait justement à l’ordonnance de ne se centrer que sur l’économie sociale d’insertion et de n’être qu’une « béquille de l’emploi ». Une image dont le secteur de l’économie sociale essaie aussi parfois de se départir en insistant sur les réussites économiques du secteur.
C.F. : C’est une des attentions que j’aurai dans les mois qui viennent (…). Je n’aime pas l’image de béquille pour l’emploi. Et le secteur a raison de le dire. Il faut vraiment travailler sur la complémentarité des secteurs, entre le secteur de l’économie sociale et le secteur traditionnel là où certains peuvent imaginer des concurrences. Je ne dis pas que des concurrences ne peuvent pas exister, mais il y a des outils. On a mis en place des grappes d’entreprises qui mettent en présence des entreprises d’économie sociale et des petites PME.
A.E. : Dans le cadre des alliances emploi-environnement ?
C.F. : Tout à fait. Ce sont des choses à valoriser. Mettre les gens ensemble autour de secteurs, démontrer qu’il y a de la continuité, une ligne d’intervention qui puisse s’opérer, cela me semble fondamental. Je n’aime pas la segmentation. Les secteurs sont ce qu’ils sont, ils ont leur histoire (…) mais par rapport à l’ensemble des défis à Bruxelles, il est bien qu’ils puissent collaborer. Les clauses sociales sont aussi une manière de faire ce lien.
A.E. : Une circulaire pour faciliter l’usage des clauses sociales dans les marchés publics a en effet été présentée en décembre 2012. On parlait à l’époque également d’une ordonnance…
C.F. : Il y a deux propositions d’ordonnance qui ont été déposées au Parlement. (…) L’une concerne les clauses sociales et l’autre les clauses environnementales. (…) Nous ne sommes pas à la manœuvre en première ligne mais nous avons accompagné le processus pour que l’ordonnance s’inscrive dans la lignée de ce que nous avions adopté comme circulaire. (…) Nous rédigeons aussi un vade-mecum de la circulaire qui est prévu pour soutenir les acheteurs publics dans leur démarche. Il sera disponible en 2013.
A.E. : Un gros défi concerne la régionalisation de certaines compétences. Il y a notamment le transfert du contrôle des chômeurs à Actiris. Existe-t-il un risque de confusion entre cette nouvelle fonction et son rôle actuel d’accompagnement ?
C.F. : Il n’y a personne qui va se tromper de métier, l’activation ce n’est pas le contrôle. Il n’y a pas de ligne tendue entre les deux pôles, même si des interconnexions seront nécessaires entre les deux en terme de temps et d’efficacité. Mais je veux rassurer, nous n’avons pas travaillé à l’amélioration de l’activation pour la transformer en contrôle pur.
A.E. : Il y aura donc une distinction claire entre les deux rôles ?
C.F. : Oui, c’est une évidence. Même au niveau juridique, les cadres légaux actuels, je parle des cadres européens, ne nous le permettent pas (NDLR : de confondre les deux rôles).
A.E. : Les titres-services devraient également être régionalisés. Va-t-on conserver le système à Bruxelles ? Y a-t-il un risque de voir le prix des TS augmenter pour diminuer leur impact sur les moyens régionaux ?
C.F. : Il est prématuré de se prononcer sur la question.
A.E. : Idem pour les ALE, qui doivent aussi être régionalisées ?
C.F. : Nous n’avons pas la clef de répartition, je n’ai pas de boule de cristal à ce stade pour vous dire comment on va faire.