La prochaine mandature communale verra sans doute le secteur des centres culturels (CC) réformé en profondeur. Probablement sans pouvoir compter sur un refinancement majeur alors que les idées sont légion.
La salle du Centre culturel du Brabant wallon à Court-Saint-Etienne est bien remplie ce 18 avril 2012. Au menu, le rapport de la Commission des centres culturels, mais aussi la découverte d’une importante circulaire interprétative[x]1[/x] du décret régissant le secteur. On parle depuis longtemps dans le secteur d’une réforme du décret. Depuis plusieurs années, un moratoire sur les reconnaissances de nouveaux centres a été établi et sera prolongé jusque 2015.
Pourquoi une circulaire ? L’idée d’un nouveau décret perturbe bien sûr les opérateurs de terrain. « La circulaire concerne les invariants. Elle n’empiète pas sur le décret. Rappelons les règles en vigueur : le décret de 1992, l’arrêté de 1996 auquel s’ajoute la grille dite Mangot[x]2[/x] », explique Luc Carton, chargé d’inspection à la Direction générale de la Culture estimant que le secteur est en voie de dispersion. « Il manque un langage commun entre inspection, pouvoirs locaux et centres culturels. L’objectif doit être d’ancrer les centres culturels dans le développement territorial, en fait vers le développement culturel des populations sur un territoire », développe-t-il.
Pour Manu Paÿe, directeur du Centre culturel de la vallée de la Néthen, cette circulaire est plutôt positive. « On était dans l’interrogation sur l’avenir car le flou était total. C’est plus confortable pour avancer. Les projets que nous préparons seront dans notre prochain contrat-programme. Exemple : la Maison de la Mémoire et de la Citoyenneté que nous développerons dans le Plan communal de développement rural », commente-t-il. Pour lui, la circulaire précise les choses sans créer la révolution.
Animateur-Directeur : un oxymore ?
Eculé, le concept d’animateur-directeur qui dénomme le responsable d’un centre culturel ? La question est en tout cas lancée. « J’aime beaucoup le mot animateur. Anima, c’est l’âme. Mais il n’y a rien à faire, cela reste connoté animateur de plaine de vacances ou à Camping Cosmos », plaisante Manu Paye précisant qu’à son expérience, la quantité de travail administratif et de gestion a doublé au fil des années. « Il est certain que le titre de directeur renforcerait notre statut en termes de reconnaissance et de crédibilité dans nos recherches de fonds », souligne-t-il. Pierre Stembert, directeur à Verviers le dit plus radicalement. « Le terme d’animateur-directeur n’a plus de sens. Le centre culturel, c’est une équipe de 20 personnes, un budget de plus d’un million d’euros. Notre job est celui de gérer une entreprise », assène-t-il appelant par ailleurs à la constitution d’une assemblée des directeurs de centres culturels.
Fabrice Laurent nuance. « Le terme animateur-directeur me plaît bien. Il est… beau, même si c’est un oxymore. Il montre qu’on est plus dans une logique « Bottom Up » que « Top Down ». » Certains évoquent des difficultés de recrutement dans le secteur. « Les talents existent », estime Fadila Laanan, la ministre de la Culture en rappelant les formations dispensées qui préparent à cette fonction3.« Par contre, les procédures de recrutement sont parfois à questionner. Il importe d’inviter les candidats à définir les bases du projet qu’ils souhaiteraient développer. Comment apprécier sinon les réelles capacités d’un candidat à penser et porter un projet culturel ? », interroge la ministre.
Depuis 2002, Pierre Bolle avait obtenu de diriger à la fois le Palais des Beaux-Arts et le centre culturel régional sans que les institutions ne fusionnent réellement. Au bout de dix ans d’expérience, la ministre de la Culture a imposé l’engagement d’un directeur spécifique pour le centre culturel exigeant ainsi l’application stricte du décret. Le lauréat, Fabrice Laurent vient de prendre ses fonctions au 1er avril. Il salue cette circulaire cohérente avec son engagement. Il commente le récent lancement des Assises du développement culturel territorial à Charleroi. « Les aspects cartographiques et des flux de publics sont intéressants au-delà même des pratiques culturelles. Un exemple : 10 % de la population carolo qui travaille le fait à Bruxelles. Ce chiffre m’a impressionné. Par ailleurs, les flux des publics sont assez révélateurs. On voit que le public au nord de la ville va vers Bruxelles, celui de l’ouest vers Mons et le Centre, celui de l’est vers Namur et que c’est le public au sud, en Thudinie notamment, qui vient le plus vers Charleroi. »
Ces assises ont démarré il y a quinze mois dans quatre autres arrondissements. « L’innovation est d’envisager le développement culturel sous l’angle de son interaction avec les autres politiques publiques. Leur dimension est prospective », rappelle Fadila Laanan.
Dans son projet, Fabrice Laurent fait le constat suivant : la synergie PBA-Eden a créé une offre de spectacle intéressante. « Mais le rôle du centre culturel doit être renforcé pour favoriser les nouvelles expressions, les pratiques en amateur, la démarche d’éducation permanente, les aides services. Et pour dégager des moyens financiers et humains, il faut renforcer nos partenariats », suggère-t-il avec une nouvelle répartition des rôles : la programmation danse à Charleroi Danse, celle du théâtre répartie entre l’Ancre pour les esthétiques contemporaines et le centre culturel pour le Jeune public ; au PBA, le lyrique, le ballet et le cirque et au centre culturel, les musiques actuelles et l’action culturelle. « L’objectif est d’arriver après une saison de transition l’an prochain à dégager une offre unique de saison proposant un abonnement commun dans une brochure 2013-2014 », nous dit le jeune directeur. Au moment de nous quitter, Fabrice nous donne son adresse e-mail « @charleroi-culture » remplaçant @pba-eden. « C’est un détail. J’ai repris l’ancienne URL, mais le nom du site me questionne beaucoup », conclut-il. A lui d’utiliser l’imaginaire du virtuel pour plonger dans le réel.
Des catégories à réinventer
On dit envisager l’abandon de la différence entre CC locaux et CC régionaux et l’abandon des catégories actuelles pour se recentrer sur le projet autour d’un territoire de référence. La ministre estime, en effet, qu’on assiste à une course au changement de catégorie induite par le décret actuel. « Les centres culturels ne doivent pas tout assumer. Je ne défends pas une exigence quantitative, mais qualitative », souligne la ministre. Faut-il pour autant brûler les catégories ? La question n’est pas tranchée. Aucune piste envisagée ne fait l’unanimité. Irait-on vers une grille plus complexe ?
Directeur au Centre culturel Jacques Franck à Saint-Gilles, Thierry Van Campenhout propose une nouvelle nomenclature liée aux types de territoires : CC de quartier, CC métropolitain, CC transfrontalier, CC rural… Pour Manu Paÿe, cette proposition est intéressante. « Cela existe dans les faits. Les missions sont différentes selon l’environnement général. Cela ramène à ma propre réalité : Beauvechain est une commune rurale alors que Grez-Doiceau a plus un aspect péri-urbain, dans une conurbation avec Wavre et Ottignies, elles-mêmes liées au développement de Bruxelles », décrit-il. Une complexité pas facile à rencontrer…
Verviers présente un profil particulier. « Nous avons créé le Centre culturel régional en 1991. Il est clair qu’historiquement les autorités communales ont réclamé d’être en catégorie régionale car ils apportaient une grosse infrastructure qui est indéniablement un pôle régional. Cela permettait d’obtenir plus de subsides », rappelle crûment Pierre Stembert. Le CCRV développe néanmoins des projets sur l’arrondissement qui est très étendu (circulation de spectacles, coordination des fêtes de la musique…) en tenant compte des diversités. « Verviers est plus multiculturelle que le reste du territoire. On en tient compte », explique-t-il.
Fabrice Laurent estime pour sa part que les missions se complètent. « Nous sommes autant le centre local de Charleroi, ville de plus de 200 000 habitants, qu’un centre régional ayant vocation à couvrir un territoire beaucoup plus large », assume-t-il. Cette question n’est évidemment pas sémantique. Grinçant, un directeur bruxellois me glisse à ce moment que les trois principaux centres bruxellois reçoivent 202 000 euros pour une population de 120 000 habitants alors que 495 000 euros sont consacrés au centre culturel de Marche, ville de 17 000 habitants, chef-lieu d’un arrondissement de 54 000 habitants.
Des centres culturels intercommunaux ?
Au moment où l’on parle régulièrement des bassins de vie, la question de l’intercommunalisation des CC se pose même si les expériences sont assez rares. Fadila Laanan l’annonce clairement : « J’encouragerai les partenariats intercommunaux afin d’accorder la priorité au développement d’un projet culturel plutôt qu’au fonctionnement d’une nouvelle institution. » Manu Paÿe vit l’expérience avec Beauvechain et Grez-Doiceau. « On parle beaucoup des « bassins de vie » mais c’est encore un chantier dont les fondations ne sont pas établies. Nous travaillons actuellement sur une commune (Beauvechain) et un village (Néthen) où se trouve une infrastructure importante qui se trouve sur une autre commune (Grez-Doiceau). La salle est à Néthen, les bureaux à Hamme-Mille et nous travaillons beaucoup au Théâtre des Quatre Mains. On va vers une coopération renforcée », explique-t-il. La différence de taille des deux communes (Beauvechain compte 6 500 habitants et Grez-Doiceau, 13 500) peut inquiéter. « Leur implication historique dans le centre culturel est aussi différente. Lors de l’élaboration de notre précédent contrat-programme, on nous a demandé de conclure une convention avec Grez-Doiceau, ce que nous avons fait », relate Manu Paÿe.
Et demain ?
Selon Luc Carton, le décret sera adopté au mieux mi-2013, valable à partir du 1er janvier 2014 et mis en application à partir de 2015. L’idée est donc de prolonger les contrats-programmes jusque fin 2014 et d’avoir une phase de transition entre 2015 et 2020. « Cette période de transition permettra aux centres culturels de s’adapter et garantira leur financement actuel », rassure la ministre.
L’idée d’aller vers un schéma triple fait son chemin : allocation universelle pour tout centre complétée par des appels d’offres thématiques et des appels d’offres pour les territoires.
« Outre une mission de base commune à tous les centres, il est nécessaire de leur donner la possibilité de développer des missions spécialisées, en adéquation avec les autres politiques sectorielles de la culture et leurs réalités territoriales », plaide la ministre rappelant l’attention portée au secteur : 83 % d’augmentation sur une période de huit années, soit une moyenne annuelle de 10,38 %.
On dit que cette allocation minimale pourrait être de 100 000 euros. « Cela aiderait les petites structures. Je signe des deux mains ! », prend au vol Manu Paÿe. Réaction opposée à Verviers. « Impossible de fonctionner avec cela. Peut-être devrait-on aller vers la scission de la subvention : une pour le théâtre, l’autre pour le centre culturel », suggère Pierre Stembert rappelant que le centre culturel a élargi son activité en reprenant la section de Verviers de la Médiathèque. « C’est un métier supplémentaire. On devrait aller vers un comptoir unique reprenant centre culturel, bibliothèque, médiathèque et Tourisme », se plaît-il à imaginer sans trop y croire.
Pour Luc Carton, la référence à l’éducation populaire reste porteuse d’avenir. La circulaire est donc plus prospective que passéiste. « Le constat est qu’on n’est pas les pieds dans l’eau. On réaffirme les invariants et l’on permet aux équipes de travailler. La volonté reste de stabiliser, mais il faut reconnaître les insécurités budgétaires et les discussions institutionnelles qui pourraient faire évoluer la situation. Si l’avenir reste une terra incognita, la circulaire met des balises qui permettent de garder la sérénité », conclut-il.
Aller plus loin
Alter n° 254 du 19.06.2008 : « https://www.alterechos.be/index.php?p=sum&c=a&n=254&l=1&d=i&art_id=17906 Centres culturels : les David et les Goliath ? »