Les centres d’entreprises attendent les arrêtés d’exécution de leur ordonnance depuis plus de deux ans. Sa complexité, la rendant inapplicable pour certains,expliquerait ce retard. Plusieurs intervenants soupçonnent également Benoît Cerexhe1 (CDH), en charge du dossier, de chercher à gagner du temps.
Début juillet, le cabinet de Benoît Cerexhe, ministre de l’Emploi et de l’Économie de la Région de Bruxelles-Capitale, diffusait un communiqué de presseannonçant la décision du gouvernement bruxellois d’accorder une subvention de 620 000 euros aux huit centres d’entreprises2 (CE) de la région. Ce texte remettaità l’avant-scène des structures sur lesquelles Alter Echos s’était penché il y a deux ans (voir le n° 282 d’Alter Echos du 9 octobre 2009 : « Les centres d’entreprises bruxellois entre attente etdéveloppement ? »). A l’époque, le secteur attendait les arrêtés d’exécution de sa nouvelle ordonnance (qui concerne aussi les guichetsd’économie locale) tout en se posant certaines questions quant au mode de financement prévu par le texte. Celui-ci prévoyait de permettre aux centres de bénéficierd’un subside fixe et d’un subside variable proportionnel à leur taux d’occupation. Un taux qui correspond aux surfaces occupées par des entreprises qui existent ou ont étéreprises depuis moins de cinq ans selon les données de la Banque-Carrefour des entreprises.
Les huit centres d’entreprises bruxellois sont situés à Bruxelles-Ville (Dansaert et Les Ateliers des Tanneurs), Molenbeek, Anderlecht (Euclide et Pepibru), Schaerbeek (la Lustrerieet Brussels Village), et Saint-Gilles (Village Partenaire).
Au premier janvier 2011, d’après le cabinet de Benoît Cerexhe, 348 entreprises étaient installées dans ces centres, soit une progression de plus de 20 % par rapportà l’année précédente. En termes d’emploi, les centres d’entreprises représenteraient 955 postes de travail occupés (+ 17 %).
« Cette ordonnance risque, par ce fait, d’être inapplicable, déclarait à l’époque Merry Hermanus, directeur du centre d’entreprises de Molenbeek3.Si elle était appliquée, certains centres d’entreprises fermeraient leurs portes. Nous avons en effet beaucoup d’entreprises qui mettent parfois plus de cinq ans àréussir, à se développer… Le fait de conditionner les subsides à un taux d’occupation ainsi défini constitue donc un vrai problème. » D’autresopérateurs notaient également que beaucoup d’entreprises installées en CE sont à leur arrivée des « coquilles vides » nondéveloppées qui peuvent cependant exister depuis deux ou trois ans. Ce qui aurait laissé peu de temps aux CE pour les héberger avant de voir les subsides variables enprendre un coup.
L’attente toujours de mise
Deux ans plus tard, surprise : les arrêtés d’exécution ne sont toujours pas là, même si on s’y attendait un peu, le cabinet de Benoît Cerexhe ayantsemblé faire profil bas sur le sujet pendant tout ce temps. Une situation quelque peu interpellante, même si elle ne semble pas faire paniquer les centres d’entreprise, bien aucontraire. « Pour nous, ce n’est pas un gros problème, explique Ronald De Greef, directeur du centre d’entreprises Les Tanneurs4. L’ordonnance telle qu’elle étaitprévue posait en effet question au niveau du système de financement. » Un financement qui, à l’heure actuelle, fonctionne donc toujours selon l’ancien système,un système forfaitaire et « facile à justifier », d’après notre interlocuteur.
La situation prête à sourire. Voilà un secteur presque content de ne pas voir arriver les arrêtés d’exécution d’une ordonnance censée œuvrerà sa reconnaissance et à sa subsidiation. « Il est important que les centres d’entreprises soient reconnus dans le cadre d’une ordonnance, explique-t-on du côtéde Pepibru5, un centre d’entreprise situé à Anderlecht. Mais il faut que l’ensemble du secteur s’y retrouve. » Une manière polie de dire que d’autres chosescoincent ? Certaines sources autorisées affirment effectivement que d’autres points ne tourneraient pas rond dans le texte, le rendant quasi inapplicable à l’heure actuelle. Ainsi,une TVA de 21 % serait applicable à la partie variable des subsides, laquelle, en vertu de l’ordonnance, vise à financer l’encadrement assuré par les centres auprèsdes entreprises hébergées. Dans ce cas de figure, de l’argent en provenance d’une Région bruxelloise désargentée irait donc directement dans les poches dufédéral. Un problème, même si cette interprétation demande à être confirmée. Autre chose : le texte serait pour l’heure beaucoup tropcompliqué à appliquer, un dernier constat qui aurait notamment poussé l’administration à se manifester.
Ces problèmes expliquent-ils à eux seuls la lenteur avec laquelle le dossier semble se mouvoir depuis deux ans ? Interrogé à ce sujet, Benoît Cerexhe sembleconfirmer, par écrit, cette hypothèse. « J’ai la responsabilité de mettre en œuvre l’ordonnance telle qu’elle a été adoptée par legouvernement et par le parlement, et en respectant donc strictement l’ensemble de ses dispositions qui visent à assurer la pérennité des centres d’entreprises et des guichetsd’économie locale, explique-t-il. Dans ce cadre, je dois également tenir compte de la réalité de la situation sur le terrain et veiller, de façon préventive,à ce que les mécanismes prévus soient suffisamment flexibles et adaptables pour ne pas entraîner de conséquences dommageables pour l’une ou l’autre des structuresexistantes ; cette double responsabilité entraîne effectivement un important travail d’analyse préalable, d’anticipation et de rédaction, ce qui explique ledélai nécessaire pour la préparation de ces textes. »
Peur de Picqué ?
Néanmoins, si l’on s’attarde à la première partie de la réponse (« J’ai la responsabilité de mettre en œuvre l’ordonnance telle qu’elle aété adoptée par le gouvernement et par le parlement »), une autre hypothèse, soulevée par certains, f
ait également surface : BenoîtCerexhe chercherait à ménager Charles Picqué, le ministre-président du gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale. Pour rappel, ce n’est en effet pasBenoît Cerexhe que l’on trouve à l’origine du texte de l’ordonnance, mais bien Charles Picqué (PS). L’élu humaniste n’a en effet hérité du dossier que paraprès. « Et lorsque les conseillers de Cerexhe se sont penchés sur le texte, ils se sont rendu compte de sa complexité, explique une source anonyme. Et ils sont bienembarrassés, car ce texte, le cabinet Cerexhe l’a voté. Ils ne veulent de plus pas trop le critiquer ou l’amender car ils ont peur de détruire le travail du cabinetPicqué. » Et en effet, Benoit Cerexhe confirme qu’il n’est pas prévu, à l’heure actuelle, « […] de modifier les principes inscrits dansl’ordonnance ».
Le silence et l’attente semblent prévaloir dans le dossier. Certains n’hésitent d’ailleurs pas à affirmer que Benoît Cerexhe chercherait à gagner du temps. Sergede Patoul6, député bruxellois de l’opposition (MR/FDF), a interpellé le ministre au sujet de l’ordonnance le 18 mai dernier en commission des affaireséconomiques, chargée de la politique économique, de la politique de l’emploi et de la recherche scientifique. « Soit Benoît Cerexhe essaie de gagner du tempspour refiler le dossier à son successeur, soit il ne croit pas aux centres d’entreprises, soit il est tellement affolé par les coûts que pourrait engendrer le nouveausystème de financement qu’il essaie de mettre le couvercle sur la marmite. En tout cas, je ne sais pas comment il va pourvoir produire ses arrêtés, que je ne vois toujours pasvenir », explique-t-il avant d’enchaîner sur une étude réalisée il y a un peu plus d’un an par PriceWaterhouseCoopers (PWC) au sujet des centres d’entreprises et desguichets d’économie locale. « Sur base de mes informations, cette étude a été commandée pour voir comment mettre l’ordonnance en application. Il auraitété plus clairvoyant d’amender le texte de l’ordonnance et de faire quelque chose de réaliste. J’ai demandé à obtenir une copie de l’étude [NDLR lors de laséance du 18 mai], mais le ministre m’a refusé le texte, ce qui n’est pas normal car il n’a rien de confidentiel. »
Dans sa réponse en séance à Serge de Patoul, Benoît Cerexhe dément que l’étude puisse servir à envisager la manière dont l’ordonnancepourrait être mise en place. « Dès la reprise de ce dossier, j’ai pris conscience du fait que la question essentielle était de la mettre en application en veillantà perfectionner le système et en prenant en considération à la fois l’esprit du législateur et les intérêts et besoins spécifiques de chacun deces centres et guichets, affirme-t-il. Une telle démarche nécessite du temps, car elle ne peut être menée que moyennant une parfaite connaissance de la situation sur leterrain et sur la base d’une réflexion préalable menée en partenariat avec ces centres d’entreprises et guichets d’économie locale. C’est la raison pour laquelle j’aidécidé de commanditer l’étude citée, et de la faire réaliser par un consultant extérieur pour garantir au maximum cette objectivité. Toutefois,contrairement à ce que vous pensez sur la base des informations qui sont les vôtres, l’objectif de cette étude n’était pas en premier lieu d’analyser la manière dontil était possible de mettre en application l’ordonnance. Son premier objectif est décrit explicitement dans le cahier des charges établi à l’époque pour laprocédure d’appel d’offres. La mission consiste à « analyser la situation financière et organisationnelle actuelle des huit centres d’entreprises et des cinq guichetsd’économie locale subsidiés par la région et d’émettre, sur cette base, des recommandations à caractères stratégique, financier, structurel etorganisationnel pouvant amener ces centres d’entreprises et guichets à une optimisation et une standardisation de leur gestion et de leur fonctionnement ». » Le ministre explique queles conclusions et les recommandations émises par PWC « sont actuellement en phase d’analyse […]. Leur prise en considération, en concertation avec mescollègues du gouvernement, aura bien sûr un impact sur les arrêtés qui seront soumis à celui-ci. » Un dernier propos en légère contradictionavec ce qu’il a affirmé un peu avant, même si la nuance entre les deux citations est perceptible. Interrogé par nos soins à ce sujet, le ministre s’explique demanière assez assertive avant de lever un coin du voile à propos de la diffusion des résultats de l’étude. « La nuance est effectivement importante et saparfaite et totale compréhension permet de conclure sans réserve qu’il n’y a aucune contradiction dans mes propos ; comme je m’y suis engagé, les résultats del’étude seront présentés en temps utile devant la commission parlementaire compétente. »
Des arrêtés avant la fin 2011 ?
Néanmoins, pour Serge de Patoul, la réponse de Benoît Cerexhe datée du 18 mai est « un aveu non dit. On aurait dû faire un tel état des lieuxavant de rédiger l’ordonnance. On fait les choses à l’envers. Je vais essayer d’obtenir les conclusions de l’étude de PWC, parce que si le ministre ne dépose rien, je vaisle faire moi-même. » Il faudra que le député fasse vite, car Benoît Cerexhe nous affirme vouloir présenter les textes [NDLR les arrêtésd’exécution] en première lecture au gouvernement avant la fin 2011…
1. Cabinet de Benoît Cerexhe :
– adresse : rue Capitaine Crespel, 35 à 1050 Bruxelles
– tél. : 02 508 79 11
– courriel : info@cerexhe.irisnet.be
– site : www.cerexhe.irisnet.be
2. En plus de 250 000 euros aux cinq guichets d’économie locale.
3. Centre d’entreprises de Molenbeek :
– adresse : rue des Ateliers, 6-7 à 1080 Molenbeek
– tél. : 02 412 10 00
– site : www.c-entreprises.be
4. Centre d’entreprises « Les Ateliers des Tanneurs » :
– adresse : rue des Tanneurs, 58-62 rue des Tanneurs à 1000 Bruxelles
– tél. : 02 512 67 11
– site : www.ateliersdestanneurs.be
5. Pepibru :
– adresse : rue Bara, 173-177 à 1070 Bruxelles
– tél. : 02 560 21 11
– info@pepibru.be
– site : www.pepibru.be<
br>6. Serge de Patoul, secrétariat au Parlement de la Région de Bruxelles-Capitale
– tél. : 02 549 66 22
– courriel : sdepatoul@parlbru.irisnet.be
– site : www.depatoul.be