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Regard critique · Justice sociale

Justice

C’est arrivé près de chez vous

Ceux qui veulent de l’action seront déçus. Ici, c’est le quotidien, la vie banale des gens comme vous et moi. Enfin presque. Du conflit de voisinage à des problèmes de garde d’enfants, les inspecteurs de proximité ne connaissent pas la crise. Leur profession, elle, par contre, souffre d’un manque de moyens et de reconnaissance sans nom.

© Bram Algoed

On l’appelle souvent Adri, Adrien, monsieur Adrien, à la limite, mais rarement inspecteur Ymeret. Depuis 23 ans, Adrien Ymeret est inspecteur de quartier à Gesves, une petite commune champêtre dans le Namurois. Il est intarissable sur son métier, «une vocation» à ses yeux, même s’il n’est pas dupe sur les évolutions de sa fonction.

«C’est le premier contact qui est le plus important. Parce qu’écouter les gens, c’est gagner 50% de leur confiance. Je préfère qu’on me contacte pour quelque chose de minime que pour une chose qui va prendre une importance catastrophique.» Prévenir plutôt que guérir, en somme. «Votre uniforme est là pour protéger du bien du mal, on est bien d’accord, mais il est là aussi pour aider les gens. On est là avant tout pour écouter et on a plein de casquettes: juge, avocat, assistant social… C’est un métier très riche, avec tout son paradoxe: venir en aide, tout en ayant à l’esprit qu’on est une autorité.»

Des demandes toujours plus nombreuses

Pour Adrien Ymeret, la demande policière a considérablement évolué ces dernières années (lire aussi l’entretien de Vincent Seron): «Les citoyens viennent à la police au même titre que s’ils faisaient leurs courses. On vient ici pour tout, et parfois pour rien. Dans l’esprit des gens, la police est une solution à leur malaise.» Tout l’enjeu pour l’inspecteur est de pouvoir répondre à des demandes toujours plus nombreuses, qui concernent des domaines de plus en plus variés. «Il faut parfois se creuser la tête pour ne pas dire n’importe quoi aux gens…» L’inspecteur est aussi un point de contact vers d’autres services. Un travail de liaison essentiel, même s’il n’est pas toujours opérant à cause des lenteurs administratives.

«On est là avant tout pour écouter et on a plein de casquettes: juge, avocat, assistant social… C’est un métier très riche, avec tout son paradoxe: venir en aide, tout en ayant à l’esprit qu’on est une autorité.»

Aux yeux de l’inspecteur de quartier, il n’y a pas de petits ou de grands problèmes. Il n’y a que des problèmes. Même si l’inspecteur Ymeret rencontre des situations de plus en plus complexes à gérer. Récemment, l’agent a dû gérer une affaire de viol. «C’est parce que la personne avait confiance en moi, qu’elle a pu se confier. Quand on connaît vraiment les personnes, on arrive à travailler avec elles.» Un travail qui n’est pas à la portée du premier agent de police, reconnaît-il.

Si le contact avec le citoyen est l’ADN même du travail de proximité, force est de constater que ce contact se réduit à peau de chagrin. «Ce qui est hallucinant, mais il faut arriver à s’y faire, c’est que huit personnes sur dix ne savent pas qui je suis dans la commune.» Ces dernières années, la population a augmenté à Gesves. Qui dit augmentation, dit augmentation de dossiers, et avec elle, celle de la charge administrative. «Aujourd’hui, pour avoir un contact avec la population, et c’est malheureux de le dire, on ne peut en avoir dès lors qu’il y a une apostille (NDLR : une mission judiciaire à la requête des parquets), et éventuellement un problème déjà constaté.» Mais de cette difficulté, Adrien Ymeret veut en faire une force: «La moindre opportunité est une chance, et permet de renouer avec des citoyens qui rencontrent des problèmes.»

Comme dans d’autres zones de police, un effectif plus important permettrait à la zone des Arches, une zone pluricommunale de laquelle dépend Gesves, un meilleur service aux citoyens. Même si la zone tente de ne pas se limiter au quota d’agents imposé par nombre d’habitants, à savoir un agent pour 4.000 habitants. «Avec toute la charge administrative, ce n’est pas possible de tenir à ce niveau-là. Beaucoup de citoyens estiment qu’ils ne voient pas suffisamment leur agent de quartier alors que notre zone travaille avec un agent pour une moyenne de 2.500-3.000 habitants. Avec 4.000 habitants, je vous garantis qu’ils ne le verraient jamais», explique le commissaire Bruno Vanhees, responsable du service proximité de la zone de police depuis quatre ans. Et ce problème n’est pas près de s’arranger avec les années. Malgré cette difficulté, Adrien Ymeret ne compte pas s’arrêter en si bon chemin et continue de tracer sa route: «Un agent de quartier, vous comparez cela à une fourmi. Elle avance tout le temps. Un travail de quartier, c’est pareil. Vous avancez, vous avancez… Il faut tenir sur la longueur.»

Éviter l’incendie

Tenir sur la longueur, c’est que fait aussi le commissaire Alain Parmentier après 30 ans de carrière. Depuis un an et demi, il est responsable du service de proximité de la zone de police Hesbaye. Lui aussi il a vu l’évolution de ce métier de proximité dans une zone qui a vu sa population augmenter de 20 % en dix ans. «À l’époque, sans être péjoratif, on était encore de vrais agents de quartier parce qu’on avait le temps, beaucoup plus qu’aujourd’hui pour être en contact avec la population. On connaissait les gens, leurs habitudes. On était alors une mine de renseignements. On était le policier de terrain par excellence. Beaucoup de services extérieurs s’appuyaient d’ailleurs sur les renseignements que possédaient les agents de quartier», raconte-t-il avec nostalgie et désarroi. À l’heure d’aujourd’hui, c’est de moins en moins possible alors qu’un agent de quartier, plus qu’un autre, devrait connaître le milieu dans lequel il va évoluer, d’autant que les affaires se multiplient. «Quand on travaille dans un service d’intervention, on vous appelle pour une urgence comme pour éteindre l’incendie. L’agent de quartier, lui, est là pour éviter l’incendie ou pour reconstruire sur les braises. C’est un travail qui demande plus de profondeur, plus de suivi. À force de travailler comme cela, on commence à connaître les gens.»

«Ce qui est hallucinant, mais il faut arriver à s’y faire, c’est que huit personnes sur dix ne savent pas qui je suis dans la commune.»

Jongler avec les fonctions

Car le cheval de bataille d’un bon agent de quartier, c’est la prévention. À partir du moment où celle-ci est assurée, la répression va perdre du terrain. Le calcul paraît simple. «Mais aujourd’hui force est de constater, vu l’augmentation du nombre d’interventions policières, que la prévention perd du terrain et le travail de l’agent de quartier semble de moins en moins efficace.»

Aux yeux du commissaire Parmentier, parmi les fonctionnalités de la police locale, le service proximité devrait être la plus importante, celle qui devrait être mise le plus en avant. «À partir du moment où cette fonction de proximité serait valorisée, en disposant des moyens nécessaires, je suis certain que d’autres fonctionnalités (interventions, recherches…) auraient moins de travail. La prévention se ferait en amont d’une manière plus efficace», avance-t-il, en dénonçant aussi les beaux discours en matière de police de proximité. «On ne voit hélas pas d’évolution à ce niveau.»

Il n’est pas rare désormais qu’un agent de quartier fasse de l’intervention aussi.

En attendant, il faut jongler avec les fonctions. Il n’est pas rare désormais qu’un agent de quartier fasse de l’intervention aussi. «Ce n’est plus possible de se consacrer uniquement à sa spécialité, et le policier devient un touche-à-tout, notamment dans des petites zones de police comme la nôtre.»

C’est la raison pour laquelle la zone de police a décidé de donner au public les numéros de GSM des agents de quartier pour renforcer ce lien, un peu comme la SNCB ou la Poste avec leurs guichets électroniques. «Cela ne remplacera jamais le contact humain, soyons clairs! Cela ne remplacera jamais la présence de l’agent sur le terrain. Mais c’est l’un des seuls  moyens pour rester présent auprès des citoyens.»

 

Pierre Jassogne

Pierre Jassogne

Journaliste (social, justice)

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