«Tout s’est mis pour que ça se plante.» Au téléphone, Nathalie Vandenbrande n’en est qu’à la moitié de son récit. Pourtant, on a déjà presque envie de sourire tant l’histoire qu’elle conte fait penser à une mauvaise blague. Celle d’un type qui essaie de se relever, mais qui à chaque fois se prend les pieds dans une corde, une chaise, voit son visage giflé par une branche d’arbre, avant de recevoir un pot de peinture sur la tête. Sauf que ce coup-ci, en fait de type, il s’agit plutôt de l’ALE de Jette et ses 75 travailleuses titres-services, dont Nathalie Vandenbrande devint la présidente en novembre 2019. Une ALE qui, malgré plusieurs tentatives pour redresser une situation financière cataclysmique, a accumulé les déboires avant de finir par se prendre le coronavirus en pleine tête. Et de faire faillite…
Dans le gouffre
Quand elle prend la tête de l’ALE de Jette, Nathalie Vandenbrande sait que «la situation financière de la structure n’est pas reluisante». Pourtant, elle se trouve vite confrontée à un patient dont l’état de santé est carrément «catastrophique et alarmant». Les arriérés ONSS se montent à plus de 300.000 euros. L’ALE doit rembourser un emprunt de 100.000 euros pour des travaux qu’elle a fait effectuer afin de rénover un local de repassage. Ajoutez à cela quelques autres broutilles par-ci par-là, et c’est près de 500.000 euros de dette que l’agence locale pour l’emploi de Jette traîne derrière elle.
Pourtant, jusqu’à la mi-2019, personne ne semble vraiment au courant de ce qui se passe. «Le cas de l’ALE n’a jamais été évoqué au conseil communal», s’indigne Myriam Vanderzippe, conseillère communale DéFi, qui affirme avoir eu la puce à l’oreille au détour d’une banale conversation. «Vous savez, dans une commune, on se parle», lâche-t-elle. Si le conseil communal n’est pas au courant, c’est que rien n’oblige l’ALE à lui présenter ses comptes, argumente Michel Steurbaut, chef de cabinet du bourgmestre Hervé Doyen (CDH) et nouvel administrateur de l’ALE. Malgré leur conseil d’administration composé pour moitié de membres désignés proportionnellement par le conseil communal entre la majorité́ et l’opposition, les ALE ne sont pas des asbl communales… Résultat des courses, Michel Steurbaut affirme que ce n’est que vers la mi-2019 que le bourgmestre est mis au courant de l’état de l’ALE de sa commune.
Très vite, il apparaît que la structure a vu trop gros. Sa section repassage titres-services, qu’elle a développée depuis quelques années, «était déficitaire pour des raisons de seuil de masse», explique pudiquement Michel Steurbaut. Nathalie Vandenbrande, forte «de son franc-parler», prend quant à elle moins de gants pour décrire la situation. «La section repassage avait entraîné l’ALE dans le gouffre.» Une situation qui n’avait pas empêché la structure d’investir 100.000 euros dans la rénovation d’un local de repassage qu’elle louait pourtant, ce que Nathalie Vandenbrande juge «surprenant pour une activité qui n’est pas rentable».
Victime de la crise
Malgré cette situation déjà mal embarquée, la commune sort l’artillerie lourde. Elle demande à l’ALE de fermer la section titres-services repassage. Lorsque Nathalie Vandenbrande fait son entrée en novembre 2019, elle assure donc «y croire» malgré «certains subsides Sine n’ayant pas été reconduits en Activa, des travailleuses qui étaient là depuis 10 ou 15 ans et coûtaient donc très cher, et un taux d’absentéisme qui constituait une habitude ancrée». La présidente a des raisons d’être optimiste: en décembre 2019, la commune de Jette consent un prêt de 100.000 euros à l’ALE. Un audit est prévu en avril 2020. Et un repreneur est intéressé. L’espoir renaît.
«Le candidat repreneur était un margoulin. Il voulait juste le listing des clients et les machines, sans garantie de réengager les travailleuses.»
Michel Steurbaut, chef de cabinet du bourgmestre Hervé Doyen (cdH) et administrateur de l’ALE
Mais très vite, Michel Steurbaut affirme se rendre compte que «le candidat repreneur était un margoulin. Il voulait juste le listing des clients et les machines, sans garantie de réengager les travailleuses». La piste est abandonnée. La situation empire. Nathalie Vandenbrande apprend ainsi que Sodexo cesse de soutenir l’ALE à la suite de son retard ONSS «phénoménal». Et quelques jours après, le Covid-19 débarque. Vu ses finances, l’ALE n’est pas en mesure de fournir à ses travailleuses du matériel de protection (masque, gel). De toute façon, rendus craintifs par la crise, les clients ne se pressent pas vraiment au portillon. Les travailleuses sont mises en chômage temporaire Covid-19. L’audit est annulé pour cause de confinement. Et, faute de rentrées, les comptes de la structure continuent de se dégrader. Cette fois, c’est la fin. L’ALE finit par être mise en faillite. Une situation qui pousse Michel Steurbaut à affirmer «qu’elle est une victime de plus de la crise».
Incompétence
C’est peu de le dire, mais cette dernière phrase a du mal à passer auprès de Pascal Freson. Président de l’ALE d’Evere, cet homme est aussi président de la plateforme bruxelloise des ALE titres-services. Et il jette un regard sévère sur la situation. «Cette faillite n’a pas grand-chose à voir avec le Covid-19. La commune a profité de la crise pour mettre la clef de l’ALE sous le paillasson», assène-t-il. Pour Pascal Freson, même si l’ALE ne constitue pas une asbl communale à proprement parler, le bourgmestre aurait dû être au courant de sa situation plus tôt. «Comment est-il possible que la présidence précédente de l’ALE n’ait pas alerté la commune? Comment est-il possible que le collège n’ait pas été chercher plus loin?», s’interroge-t-il. Nathalie Vandenbrande, elle, a une réponse. Pour la présidente kamikaze, il existe «toute une flopée d’asbl électrons libres qui tournent autour de la commune. Et celle-ci compte sur la bonne gouvernance de chacune d’entre elles pour que cela se passe bien». Ce serait donc le règne de la confiance… Une erreur, selon elle. «Il faut des contrôles systématiques. Dans le meilleur des mondes, la commune aurait dû être avertie, mais les administrateurs de l’ALE étaient-ils seulement en mesure de comprendre ce qui se passait», lâche-t-elle comme une bombe. Car, pour Nathalie Vandenbrande, toute cette histoire serait aussi et surtout une affaire d’«incompétence». «Dans le fond, il y a quelque chose qui doit être revu. Les nominations au CA sont politiques, elles ne sont pas liées aux compétences. Et cela me concerne aussi: je suis directrice de crèche, j’ai un mandat politique pour l’ALE, je n’ai pas été formée pour être lourdée dans une situation comme ça.»
Pourtant, cela n’empêchera probablement pas la présidente de rempiler. Chaque commune est en effet contrainte d’avoir une ALE sur son territoire. L’ancienne étant en faillite, la commune envisage d’en créer une nouvelle. Et c’est Nathalie Vandenbrande qui devrait en être la présidente. L’histoire n’est donc pas finie. Le type est en train de se relever…