C’est l’histoire d’un champ au cœur de Watermael-Boitsfort, où paissent des moutons, poussent les légumes et se rencontrent des habitants autour d’un projet d’agriculture urbaine. Le champ des Cailles est aussi un terrain régional destiné à la construction de logements sociaux. Et pour cause, sur cette parcelle de trois hectares, se joue aussi une bataille d’usages. Avec, en présence, la Société du logement de la Région de Bruxelles-Capitale, les élus communaux, régionaux, une association, un collectif, défendant des scénarios qui vont du «zéro construction» à des compromis avec trop ou trop peu de logements qui n’ont jusqu’à présent pas satisfait les différentes parties, aux différents niveaux de pouvoir. C’est dans ce contexte déjà tendu que l’Observatoire des inégalités, média indépendant en ligne porté pas des plumes académiques et associatives, publie «Défendre son pré-carré. Le conflit sur l’usage du terrain du champ des Cailles à Watermael-Boitsfort» (1) dans lequel les auteurs, dont Hugo Périlleux, chercheur-assistant en géographie à l’ULB, entendent – plus qu’opposer logement et environnement – interroger « à qui appartient la ville » et « au nom de la ville pour qui», se positionner pour ou contre des projets et créer des alliances… Quitte à agiter le spectre d’une guerre de tranchées que d’aucuns dans cette commune du (calme) sud- est bruxellois voudraient apaiser. Interview avec Hugo Périlleux.
Alter Échos: Pourquoi s’être intéressé spécifiquement au champ des Cailles?
Hugo Périlleux: Parce qu’il illustre l’opposition croissante à la bétonisation que l’on observe à Bruxelles et dans d’autres grandes villes. Je la mets en tension avec la dégradation des conditions de logement à Bruxelles, conduisant des personnes à se loger dans des conditions de plus en plus précaires. Je me suis donc demandé, pour ce projet, qui «occupait» ce terrain à bâtir public. Mais la question aurait pu, et doit aussi se poser pour des terrains privés, ou des terrains privés rachetés par le public comme le marais Wiels ou la friche Josaphat. On peut également poser la question de «la prairie pour qui?» à la campagne.
AÉ: Vous parlez de conflit entre, d’un côté, les défenseurs du logement et, de l’autre, de l’environnement. Ne faut-il pas justement dépasser cette tension parfois caricaturale?
HP: Il n’y a pas de doute que l’usage de ce terrain à bâtir est la source d’un conflit intense entre deux groupes: des habitants défenseurs de l’agriculture urbaine et ceux qui défendent la production de logements, supportés notamment par le PS au niveau régional. On a vu ce même type de conflit aussi aux Dames blanches à Woluwe-Saint-Pierre. Or, ces conflits sont euphémisés, gommés. Le titre de l’étude Symbiose agriculture urbaine logement environnement (SAULE), financée par Innoviris, l’illustre (2). Je n’oppose pas en tant que tel l’environnement et le social. Je relève des rapports de classe qui sont niés par une partie de l’écologie politique. Ce qui se joue au champ des Cailles pose la question de qui possède la ville, qui se l’approprie. J’ai notamment constaté que les usagers de ces terrains qui souhaitent y maintenir leur activité d’agriculture sont issus de classes plus aisées que ceux qui viendraient y habiter. Selon moi, la volonté de faire des espaces verts partout est l’un des outils de la petite bourgeoisie pour s’approprier la ville. Et il se fait qu’en plus, elle a les moyens de faire du bruit. Si l’on ne construit plus de logement dans les villes, on déplace le conflit et on crée d’autres types de conflits aux marges de celles-ci où l’on envoie les populations précaires de plus en plus loin.
AÉ : Vous passez au crible de la critique les arguments environnementaux, celui de la mixité sociale ou encore des bâtiments vides, mais aussi l’agriculture urbaine, au cœur du projet de la Ferme du Chant des Cailles, qui est selon vous «marginale», c’est-à-dire?
HP: Qu’entend-on par agriculture urbaine? Si l’on parle d’autonomie alimentaire, elle y est très relative. Entre nourrir 200 personnes ou faire loger des gens dans un logement pas trop cher et de bonne qualité, j’ai choisi. Je peux entendre les arguments de cohésion sociale qui sont portés de bonne foi dans ce projet, mais je déplore l’approche universelle de l’agriculture urbaine. Aussi, je tiens à différencier les projets d’agriculture urbaine tels qu’ils sont beaucoup médiatisés aujourd’hui, des potagers collectifs ou ouvriers où les gens se rencontrent, se retrouvent autour d’une passion simple à pousser des choses.
(1) À lire en intégralité et en accès libre sur https://inegalites.be/
(2) Projet auquel l’Agence Alter, dans le cadre de ses missions de production, avait réalisé un web-documentaire.