Fin février, une centaine de volontaires, personnel pénitentiaire, magistrats, avocats, ainsi qu’une poignée de journalistes triés sur le volet, se sont laissé enfermer un week-end dans la maison d’arrêt de Beveren pour tester les infrastructures et la sécurité avant l’inauguration des lieux. Le scénario n’émane pas du patron d’une chaîne locale en quête d’un concept de téléréalité pour animer son prime time, mais de la direction de Beveren elle-même. « Une jeune équipe dynamique qui déborde de créativité », se réjouissait le porte-parole de l’administration pénitentiaire dans la presse.
Au cours de nos recherches pour préparer ce dossier sur le Masterplan, les efforts de communication déployés autour de la construction de ces nouvelles prisons ne nous ont pas échappé. Après Fort Beveren, c’est la prose de la Régie des bâtiments autour de la « prison paysage » de Marche, pour reprendre les termes publiés sur le site nouvellesprisons.be, qui nous a chatouillé les oreilles. Jugez sur pièces : « La prison de Marche-en-Famenne est de type Ducpétiaux, c’est-à-dire constituée d’une série d’ailes rayonnant depuis un centre. Ce concept a toutefois été modernisé puisque le projet s’organise sur le schéma d’une fleur : le bouton et les pétales de la fleur, correspondant à la zone cellulaire, sont reliés au bâtiment d’entrée par un bâtiment central et une galerie couverte, représentant la tige. De part et d’autre de la “tige”, se trouvent les équipements communs hors zone cellulaire. » Dans la même veine, le projet de mégaprison de Haren nous est vendu comme un « village pénitentiaire », le cahier des charges prévoyant, certes, que les 1 200 détenus soient répartis entre plusieurs petits bâtiments…
À force, quelques journalistes distraits ont fini par intégrer les euphémismes des communicateurs, voire, les devancer. Ainsi, avons-nous pu lire dans un quotidien qu’une prison attendait ses premiers « locataires »!
Malheureusement, il ne suffit pas de changer les mots pour changer les maux. Entre les licenciements collectifs qui deviennent « des plans de sauvegarde de l’emploi » et la précarité qui se la joue « flexisécurité », nous croisons tous les jours dans les médias (quelques-uns même nous ont sans doute échappé dans nos colonnes) ces petits mots qui, l’air de rien, décalent le regard que nous posons sur la réalité. « Avant, les pauvres, on les appelait “les exploités”. Puis, ce sont devenus des défavorisés. Dans un cas, vous pouvez penser la situation de la personne non pas comme un état, mais comme un processus qui s’appelle l’exploitation, avec nécessairement un exploiteur quelque part. Dans l’autre cas, le pauvre, c’est simplement quelqu’un qui n’a pas eu de bol », analyse Franck Lepage, dans son spectacle L’éducation populaire, Monsieur, ils n’en ont pas voulu. Cet ancien directeur français des maisons de jeunes et de la culture anime d’hilarants ateliers de désintoxication de la langue de bois. Oserions-nous suggérer aux architectes qui comparent les prisons à des petites fleurs d’aller y d’un faire un tour?